L’université ne peut attendre de prochaines échéances électorales

Publié le : 28/10/2010


L’université ne peut attendre de prochaines échéances électorales

Par Stéphane TASSEL, secrétaire général du SNESUP.

publiée dans l'Humanité du 28 octobre 2010:

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La mobilisation contre le projet de destruction des retraites prend un nouveau tournant. L’ampleur et la force déployées dans la rue s’ancrent dans la durée et dans les esprits. Dans le prolongement des actions diversifiées qui touchent le pays, l’engagement des personnels de l’enseignement supérieur va en croissant rapidement pour cette période de l’année universitaire. Le renforcement des mobilisations par la jeunesse, consciente des risques qui pèsent sur son avenir et sur l’emploi, laisse présager un enracinement durable dans la population de l’enjeu de société porté par ce mouvement. Exaspérée par l’arrogance d’un pouvoir refusant d’entendre ses revendications sur les retraites comme celles, exprimées en 2009, pour le supérieur et la recherche, la communauté universitaire, en nombre dans les cortèges, atteste sa capacité de résistance. En ce moment, se jouent des batailles dont les gains ne peuvent attendre de prochaines échéances électorales. 

Dans le même temps, écumant des plateaux télé complaisants, Valérie Pécresse met un zèle outrancier à travestir la réalité. Avec aplomb, la ministre distille sa vision du cataclysme imposé à la communauté universitaire depuis plus de trois ans. Non sans servir ses intérêts, à proximité d’un remaniement ministériel pressentant le départ du premier ministre, ces contrevérités ministérielles tentent de nourrir l’illusion d’une « réforme » réussie, présentée à l’instar des retraites comme un marqueur du quinquennat de N. Sarkozy. Cette surexposition médiatique ne trompe aucun spectateur averti. Le gouvernement, privé d’ambition scientifique pour les universités, n’a eu de cesse de les dépouiller des garanties de leur épanouissement pour la société. La destruction de la formation des maîtres, sautant maintenant aux yeux de la population, complète ce tableau calamiteux.


La ministre, fervente de chiffres pourvu qu’ils lui soient favorables, a récemment communiqué dans la presse écrite un classement choquant des universités sur la base de l’insertion professionnelle. Faut-il préciser que les cohortes d’étudiants sur lesquelles porte l’étude, témoignant au demeurant de bons résultats, étaient à l’université en 2007, antérieurement à la mise en œuvre de la loi LRU. À cela s’ajoutent une méthode statistique et des échantillons (étudiants et en formations) qui peuvent prêter à caution.


Confrontés à la multiplication des appels d’offres liés au « grand emprunt », la plupart des collègues s’efforcent de trouver les moyens pour ne pas rester sur le bord du chemin. Dans cette course aux ressources qui font défaut aux budgets de la plupart des établissements et des laboratoires, la « gouvernance resserrée » reste le critère dominant du processus extrêmement sélectif et opaque de désignation des lauréats. Refusant de revenir sur le crédit impôt recherche, le gouvernement a tout fait pour maintenir un mécanisme profitant essentiellement aux grands groupes et à leurs filiales. Admettant certaines dérives frauduleuses, il a décidé de préserver la deuxième niche fiscale (5Md d'euros, soit 20 % du budget de la Mires) du « coup de rabot » préconisé par Nicolas Sarkozy pour rassurer les marchés financiers.


Pour être sur les rangs des « EX » (Equipex, Labex, Inex…) triés sur le volet, les universités fusionnées, grands établissements (permettant la sélection des étudiants et l'élévation des droits d’inscription) ou Pres « renforcés » devront faire la preuve de reculs démocratiques. La mission interministérielle n’entendra pas ouvrir une possibilité de percevoir d’hypothétiques intérêts à un établissement dont l’exécutif pourrait échapper au contrôle tutélaire du MESR. Il n’y aura que très peu d’élus, beaucoup de déçus. La démocratie universitaire ne doit pas être la grande perdante.


À cet égard, cherchant à allonger la durée de contractualisation des établissements, le ministère a pris le parti de solliciter un à un les présidents des universités pour constituer une nouvelle vague d’habilitations. Ce procédé montre à quel point le ministère contourne toutes les instances de décision impliquant les acteurs de l’enseignement supérieur. Aucun des critères qui ont présidé à l'établissement du périmètre des universités touchées n'a été explicité. Les contraintes calendaires produites par de telles modifications, les risques de dysfonctionnement n'ont pas été mesurés, à commencer par le risque de l’absence d’actualisation des données d’évaluation de la recherche sur une durée portée de quatre à cinq ans.


À quand le moment où nous pourrons disposer de temps pour la recherche et pour toutes les formations du supérieur ? À quand le moment où nous serons libérés des carcans bureaucratiques nous empêchant de renforcer un lien formation recherche qui est facteur de réussite sociale, citoyenne et professionnelle des étudiants ? À quand l’élaboration d’un maillage territorial équilibré assurant proximité, coopération, collégialité et démocratie universitaires ? À quand une reconnaissance collective des diplômes de licence, master et doctorat ? Dès maintenant, ce sont nos rapports de forces qui permettront d’imposer, à l’instar des retraites, des choix qui relèvent d’un enjeu de société.


Stéphane TASSEL