Allocation d'ouverture du Congrès de Rouen

Publié le : 09/06/2016

Allocution d'ouverture du congrès d'études

(Rouen, le 31 mai 2016)

Monsieur le Président, chères et chers camarades, chères et chers invité.e.s,

Je remercie Monsieur Joël Alexandre, Président nouvellement élu de l'Université de Rouen de nous accueillir dans ces locaux, je remercie la section locale du Snesup-FSU ainsi que le personnel du siège pour l'organisation de cet événement ainsi que nos partenaires la CASDEN, la MAIF et la et la pour leur soutien.

Je vous remercie toutes et tous d'avoir répondu à l'appel à participer à ce congrès d'études qui revêt une importance particulière en cette période de mobilisation contre le projet de loi Travail, de préparation du budget 2017, de bilan de 4 années du quinquennat de François Hollande et de construction d'alternatives en vue des prochaines élections présidentielles de 2017.

En 2006 lors de la lutte contre le Contrat première embauche (CPE), Laurence Parisot, alors tout juste élue présidente du MEDEF, déclarait : « la vie est précaire, l'amour est précaire, pourquoi pas le travail ? ». Elle devait bien savoir ce qu'était la précarité, elle, héritière de la famille Parisot, une des 200 familles les plus riches de France ayant fait fortune dans le meuble et, par ailleurs, PDG de l'institut de sondage IFOP. La violence des propos de Pierre Gattaz à propos de la CGT qu'il a qualifiée de voyous et de terroristes montre que la position du MEDEF varie peu. Je souhaite au projet de loi travail le même sort que celui du CPE.

En septembre 2016, Thierry Mandon, nouveau secrétaire d'État à l'ESR l'affirmait : « 1 milliard supplémentaire pour le budget de l'enseignement supérieur (ES) et de la recherche (ESR), c'est souhaitable et c'est possible pour un pays comme la France, c'est un choix politique ». Force est de constater que ce choix n'a pas été fait et que malgré la priorité donnée à la fois à la jeunesse et à la recherche par le Président de la République, il a fallu que toute la communauté universitaire se mobilise (des élus du CNESER aux prix Nobel et médaille Fields en passant par les organisations syndicales et les conseils d'administration des organismes) pour obtenir une moindre baisse du budget de 123M€ au lieu des -256M€ programmés. Les 50M€ pris dans la réserve du budget de l'ES représente l'équivalent de 850 postes ou de 70% de la croissance annuelle de la masse salariale (GVT).

Depuis 2000, chaque années nous accueillons 25 000 étudiant.e.s de plus dans l'enseignement supérieur et ce à budget et masse salariale quasi constant. Depuis 2015 c'est même 40 000 étudiant.e.s supplémentaires qui nous ont rejoint et cela devrait se poursuivre durant encore 5 à 10 ans en tenant compte du pic démographique des enfants nés en 2000. Au cours de la première et de la deuxième étape de démocratisation de l'ES dans les années 60 (nous fêtons les 50 ans de l'Université de Rouen), puis dans les années 90, cette croissance c'est accompagnée de recrutements, de constructions immobilières et d'implantations d'antennes universitaires partout en France. Actuellement cette croissance se fait à effectif constant et alors que le contrat de plan État-région (CPER), principal instrument de financement de l'immobilier universitaire, est en baisse. Entre 2012 et 2014 nous avons accueilli 100 000 étudiants en plus alors que le nombre d'agents affectés à l'ESR a baissé de 688 ETP. Les regroupements COMUE et Fusions coûtent et seuls les gagnants aux PIA peuvent bénéficier de fonds, mais dont la répartition opaque génère des inégalités massives en négligeant des pans entiers de connaissances.
A l'heure actuelle pour assurer un taux d'encadrement comparable en classe préparatoire puis dans les grandes écoles d'une part, et en licence puis master dans les universités d'autre part, il manque 30 000 enseignant.e.s chercheur.e.s et 30 000 Biatss. Au lieu de cela, avec les lois LRU, ESR et les RCE, ce sont des précaires qui sont recruté.e.s, payé.e.s 40€ de l'heure de travaux dirigé, soit 10€ de l'heure réelle de travail, à la tâche et sans cotisation sociale.

Dans son supplément éco&entreprise du vendredi 13 mai, la chronique « Mutation » de Vincent Giret du journal Le Monde relayait trois scénarios pour l'avenir de notre État issus du dernier ouvrage Messieurs Algan et Cazenave préfacé par Emmanuel Macron intitulé « l'État en mode start-up ». Ils y expliquent que l'État doit réduire ses dépenses et que pour faire face à l'augmentation des besoins de services publics trois stratégies sont possibles :

  • la première, dite classique, c'est d'ajouter des fonctionnaires sans altérer l'organisation (elle conduit également à son corollaire austéritaire qui est la stratégie du rabot) ;
  • la deuxième, c'est le recours massif aux TIC, au numérique, à l'automatisation et aux robots i.e. à l'innovation technologique pour augmenter la productivité des agents et diminuer les coûts ;
  • la troisième, c'est la mobilisation des citoyen.ne.s et des usagers pour qu'ils coproduisent des services publics (sécurité, aide aux personnes âgées, déplacements, enseignement, ...), c'est-à-dire le recours à l'innovation sociale.

Ces scénarios sont intéressants car pour relever le défi de la massification, ce sont ceux qu'on nous impose dans l'ESR à travers les MOOC, les ENT, les projets, la formation par les pairs et in fine le non recrutement de fonctionnaires .

Face à ces stratégie issues du privé et dont l'ubérisation est devenu le substantif, il ne s'agit pas d'avoir une approche luddite comme les ouvriers anglais du 19e siècle qui cassaient les machines parce qu'elles leur prenaient leur travail, mais plutôt une approche marxiste et socialiste qui consiste à ne pas s'opposer au progrès technologique (même si nous devons le questionner) car il peut permettre une libération du fardeau du travail. Mais pour cela, il nous faut exiger que les gains de productivité permis par certaines de ces innovations technologiques ou sociales ne soient pas uniquement captés par le capital et, pour les fonctionnaires, par l'État, afin de réduire les impôts des plus fortunés, mais qu'ils profitent aux agents à travers la conquête de nouveaux droits et de nouvelles avancées sociales comme :

  • la réduction de la précarité dans l'ESR ;
  • la baisse du temps de travail et l'embauche de jeunes docteurs ;
  • le droit opposable à la recherche et à son financement ;
  • la hausse des salaires et leur indexation sur l'inflation ;
  • la hausse des cotisations sociales et leur réindexation sur le PIB ;
  • le financement par la sécurité sociale de la dépendance, l'arrêt des franchises etc... ;
  • la hausse du montant des heures de vacation ;
  • la reconnaissance des collectifs de travail ;
  • le financement des études doctorales ;
  • l'allocation autonomie pour tous les jeunes, voire le salaire à vie pour toutes et tous.

Les trois thèmes de notre congrès doivent nous permettre de questionner ces évolutions, de confronter nos réflexions, de construire des revendications et de proposer des modes d'action pour :

  • accueillir et faire réussir le plus grand nombre dans l'enseignement supérieur ;
  • remettre en cause le financement et le management par appel à projet (recherche, enseignement et de l'administration de nos établissements) ;
  • renouveler le syndicalisme afin de mieux porter nos revendications et de mieux accueillir et répondre aux attentes des jeunes générations de collègues.

Je remercie nos invités qui ont accepté de participer à notre congrès d'études et je vous laisse la parole pour le débat général.
Bon congrès à toutes et à tous !

Hervé Christofol
Secrétaire général