Assises de l’enseignement de la philosophie dans le secondaire et le supérieur 15 juin 2018 (Nanterre) - Contribution de Nathalie Lebrun

Publié le : 20/08/2018

 

Assises de l’enseignement de la philosophie dans le secondaire et le supérieur 15 juin 2018 (Nanterre)

Contribution de Nathalie Lebrun,
Secrétaire Nationale du SNESUP-FSU

 

Questionner l’avenir de l’enseignement de la philosophie dans le secondaire et le supérieur nécessite de comprendre les réformes éducatives successives qui nous ont conduit à la loi ORE (Orientation Réussite Etudiants) et à la réforme du lycée. Nous assistons aujourd’hui à un véritable changement de paradigme qui a pris sa source dans des réformes antérieures à la stratégie de Lisbonne en 2000, cette dernière institutionnalisant la marchandisation des diplômes et l’économie de la connaissance. C’est une société où la connaissance devient un bien économique. Avec ces réformes, et les deux lois LRU (Loi Responsabilité Université) 2007 et 2013 prônant l’autonomie des universités, l’employabilité, la flexibilité et l’adaptation sont devenues les maîtres mots du système éducatif. L’amendement Grosperrin introduit dans la loi ORE en est un exemple. L’article 1 Alinéa 8 de cette loi stipule que « La modification des capacités d’accueil prend en compte les taux de réussite et d’insertion professionnelle observés pour chacune des formations ». Les formations universitaires jugées inadaptées au marché du travail risquent de disparaître. Nous entendons pas « inadaptés » ne pas rendre employable des étudiants, c’est-à-dire non conforme à l’offre d’emploi locale.

La loi ORE et Parcoursup ne sont en aucun cas une réponse à un problème conjoncturel. Pour preuve seuls 22 000 places supplémentaires sont actuellement prévues par la ministre alors qu’à la prochaine rentrée ce sont près de 40 000 étudiants supplémentaires qui sont susceptibles de rentrer dans l’enseignement supérieur. De plus ces places supplémentaires ne seront financées qu’à seulement 50 % par des moyens réellement alloués. Le gouvernement, via la loi ORE et Parcoursup, n’a pas comme objectif d’augmenter le nombre de places dans les universités à la hauteur de l’évolution démographique. Bien au contraire, pour ne pas investir dans l’enseignement supérieur, le but du gouvernement est d’inciter les futurs étudiants à aller dans des institutions privées, à rendre les étudiants responsables de leur réussite universitaire et à ouvrir le marché de l’éducation. Parcoursup est le parfait outil pour réaliser ces objectifs.

Le SNESUP-FSU demande l’abrogation de la loi ORE. Il défend la création de nouvelles universités et demande des moyens à la hauteur pour accueillir tous les bacheliers désireux de poursuivre des études supérieures de leur choix. Concrètement il faudrait 17,5 milliards supplémentaires sur 10 ans pour accueillir dans (de bonnes conditions) les conditions actuelles, les jeunes dans l’enseignement supérieur (350000 bacheliers de plus sur cette période).

Cette adaptation des formations universitaires exclusivement au marché du travail et à l’économie de marché, prônée par le gouvernement, s’insinue dans la communauté
universitaire à « marche forcée ». Ces dernières décennies, le financement par appels à projets a pris le dessus, le financement récurrent s’amenuisant de plus en plus. Ce système de financement a d’abord débuté en recherche (comme par exemple les ANR, EQUIPEX, LABEX, etc), axant sur des problématiques répondant principalement à des enjeux sociétaux et/ou économiques. Aujourd’hui ce système de financement s’étend aux formations via le Programme d’Investissement d’Avenir (PIA3). Que retrouve-t-on dans ces appels à projet PIA3 concernant les licences ? Des parcours individualisés, flexibles basés sur des blocs de compétences à acquérir. Cette approche par compétences, relégue les savoirs au second plan et transforme les enseignants du supérieur en certificateurs. Indexer la formation à son (ses) utilité(s) future(s) et en réalité immédiates, c'est-à-dire non réfléchies, essentiellement d'ordre économique. C'est vouloir façonner une simple force de travail qui devra aller se valoriser sur le marché du travail. Dans ces mêmes appels à projet le ministère incite les universités à développer, à côté de ces parcours professionnalisants, des parcours axés sur les savoirs liés aux avancées de la recherche. Il y est clairement indiqué que ces parcours disciplinaires voire bi-disciplinaires sont destinés aux meilleurs étudiants qui ont dès le départ le capital scolaire pour y réussir et continuer en master. Ce « privilège » ne sera accordé qu'aux plus fortunés, financièrement et culturellement, qui pourrons se le permettre matériellement et temporellement. Nous risquons d’assister à une forme de « réservation/restriction » à une élite de l'accès aux curricula universitaires, notamment en philosophie, avec un enseignement et une pratique « classiques » de la discipline (contenus et méthodes pour le dire vite), et, de l'autre, une conception délibérément pauvre et même frelatée de la discipline comme élément de culture humaniste, saupoudrée dans des formations à visée étroitement « professionnalisantes » (en réalité ajustées aux besoins supposés du « marché ») valorisant l’aspect technique au détriment d’une recherche conceptuelle, y compris dans les SHS.

Le SNESUP-FSU considère que ces appels à projets sont contre productifs et néfastes. Ils induisent des concurrences entre établissements et entre formations. La philosophie, comme les autres disciplines, est essentielle pour former des diplômés ayant l’esprit critique, développant des capacités d’analyse et de raisonnement nécessaires dans tout emploi qualifié. C’est une condition nécessaire pour une bonne une insertion professionnelle. Le SNESUP-FSU dénonce l’usage utilitariste des savoirs qui se fait au détriment de la production et la transmission des savoirs, principales missions de l’université.

 

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