Contribution Au Congrès d'Orientation du SNESUP FSU (OLIVIER GEBUHRER AS)

Publié le : 16/03/2015

Contribution Au Congrès d'Orientation du SNESUP FSU

(OLIVIER GEBUHRER AS)

Un seul pays au monde, il y a plus deux siècles trouva le moyen d'écrire au frontispice de sa constitution «  Les Hommes naissent ET DEMEURENT libres et EGAUX EN DROITS » ; ce pays c'est le nôtre ; il est émerveillable que cette formule soit encore un programme aujourd'hui. Quelques années auparavant , de l'autre côté de l'Atlantique, une autre Constitution , dont le « serment au drapeau » qui en contient un passage , est psalmodié à 8 h du matin sur trois fuseaux horaires , et du côté de Ferguson , en avalant ses larmes , proclame «  liberté et justice pour tous » ; la parenté est évidente, mais demandez-vous lequel des deux pays a de quoi s'inspirer de l'autre ; l'égalité en droits des êtres humains est au fondement de la nation française ; l' « égalité des chances » est le concept de l'assurance et aujourd'hui, par extension , la langue des marchés financiers.

J'entends déjà les voix de mes critiques favoris «  Stop the show, Honey, stop the show ! » ; « range ta rhétorique à deux balles et donnes nous, gros malin, quelques mesures «  simples et pratiques » à ajouter au catalogue du SNESUP ».

Mes critiques ont raison : ils en verront l'effet. Mais leur clameur, j'en suis assuré, baissera aussitôt d'un ton, en constatant que dans un domaine sans doute bien particulier, un séisme de petite taille, mais un séisme, a secoué et secoue encore, sur la question de l'EGALITE en Droits, le monde, aujourd'hui influent, des économistes ; voilà ceux qui se considèrent en dehors de la pensée néo-classique qui explosent ; le gouvernement soucieux de créer les conditions du bonheur, pourvu que cela coûte peu d'agent, selon notamment Mr Moscovici , imagina d'ajouter au zoo de Vincennes rénové, une nouvelle cage où seraient enfermés les tenants de la pensée économique non orthodoxe ; « Vous aurez ainsi l'Égalité des Droits, mais... entre vous » .

  • D'où résulte, on s'en doute, la mesure « simple et pratique » N° 0, que je n'explicite pas.

Restons sur le terrain de l'économie pour un instant - l'auteur n'y comprend goutte et n'en fait pas profession, mais il essaie de se soigner- voilà T. Piketty. Mon ami Fabrice Guilbaud en a fait un éloge remarqué dans le dernier Mensuel ; comme je vais ici éreinter l'auteur du « Capital au XXI° siècle «, je lui demande par avance de bien vouloir m'excuser. Il ne s'agit pas des propos de T Piketty sur K Marx que d'ailleurs, il prétend ne pas avoir lu, tout en soulignant dès les premières pages qu' il se serait « trompé » alors que la lectrice peut parcourir les 800 pages sans découvrir en quoi ....... Il se trouve que le même T Piketty prévient dès les premières pages qu'il ne faudrait pas imaginer qu'il  est opposé aux inégalités, « dès lors que celles-ci sont justifiées ». Il est instructif de rapprocher ce propos de l'intervention d' Alexandre de Juniac ci- devant PDG d'AIR FRANCE , lors des très sélects et très prestigieux « Entretiens de Royaumont » ; celle -ci tourne en boucle sur la Toile, mais l'articulet que lui consacre le « Canard Enchaîné » n'en donne pas une idée exacte et j'en précise la référence(https://vimeo.com/116748738)  ; ne tombez pas de votre chaise ; il y a 40 ans , de tels propos aurait mis l'Hexagone dans la rue ,aujourd'hui , à peine ces propos sont-ils prononcés, que les salarié(e)s d'EDF sont pris pour cible comme jouissant de PRIVILEGES ; on a les aristocrates qu'on peut . Observez qu'il parle de « l'Égalité en Droits » sans jamais s'y référer ,-et pour cause- et demandez- vous comment il peut se faire qu'une intervention de 15 minutes du niveau du caniveau peut sortir de la bouche d'un homme qui, d'évidence fait partie de « l' élite républicaine », a « fait » Polytechnique , puis l'ENA et touche, hors jetons, un salaire de 375000 € en 2103 ; il est vrai qu'il n'est que 120° sur les 124 patrons les mieux payés ; et il ne peut faire aucun doute qu'il n'est pas - pas du tout - opposé aux « inégalités » dès lors que « celles -ci sont justifiées » et elles le sont évidemment dans son cas. Ce dont un auteur aussi peu révolutionnaire mais keynésien de gauche conséquent, comme P Krugman, doute sérieusement ........ Et voilà ce qui arrive lorsqu'on sort de l'EGALITE EN DROITS DES ETRES HUMAINS et qu'on lui substitue dans un premier temps l' « élitisme républicain » puis l' « égalité des chances ».

Depuis que le SNESUP s'affronte à la difficile question des Grandes Écoles, il se heurte constamment à l'élitisme républicain et plus récemment à l' »égalité des chances ». Cette affaire a des sources étonnantes quand on y songe : les premières cartes d'adhésion à la CGT de la fin du XIX° Siècle mentionnent dans leurs statuts que l'adhésion suppose que le syndiqué s'efforce d'être « le meilleur dans son atelier »............. Et il ne fait aucun doute que la CGT de l'époque n'était pas « opposée aux inégalités » lorsque « celles-ci sont justifiées » ; mais hier était hier, aujourd'hui est aujourd'hui.
Un tel passé et une telle culture sur des générations excluent évidemment que l'on mettre en accusation des milliers de nos collègues qui ont été , indépendamment de leur origine sociale nourris au lait de l'effort , du mérite , de l'élitisme républicain et du « principe » de l'égalité des chances ; substitut de mauvais aloi à l'EGALITE DES DROITS , l'élitisme républicain, qui accompagna des générations, fut , vaille que vaille , source de progrès ; les « Lumières » et tout ce qui les entoure , bien d'autres fécondations y jouèrent leur rôle mais progrès ; de grands capitaines , des ingénieurs renommés, de grands savants y compris issus de milieux populaires en sortirent  ; et par-dessus tout une élévation sans précédent du niveau intellectuel et culturel du pays , y inclus un mouvement syndical de premier ordre , donnant le la, avec des dirigeants ouvriers cultivés et éclairés ; le Front Populaire en fut l'une des expressions , comme le fut la période courte mais marquante qui suivit immédiatement la Libération de l'Occupant nazi. Les années passèrent et les sources de l'élitisme républicain se tarirent ; on n'y prit pas garde ; il se changea en oripeau d'une politique où la sélection sociale devint impitoyable. Mais cela n'empêcha pas des « élites lucides » pour lesquelles la sélection sociale était le cadet des soucis de se préoccuper de la question à leur façon ; ainsi naquit l'idée des « méritants des milieux populaires » ; il était nécessaire et même crucial d'élargir le vivier « dirigeant » ; les « méritants des milieux populaires » en absorbant la culture qui n'était pas celle de leurs origines pouvaient se montrer des cadres intermédiaires fort utiles et d'autant plus efficaces que ce n'était pas à eux qu'il fallait chanter une autre musique que celle de « l'élitisme républicain » et tout ce qu'il véhiculait . Les Écoles de Commerce pullulèrent ; les Écoles d'Ingénieurs, elles, s'étaient aussi multipliées mais aujourd'hui il ne serait pas sérieux de prétendre qu'elles sont « tendance ». Tout n'est plus que « management ». Du « redressement productif », on ne voit même plus le Ministère éphémère.

Il est des collègues pour s'en inquiéter sérieusement : certains vont, au désespoir d'ambitions plus grandes, jusqu'à proposer que chaque région dispose d'une ENS - École Normale Supérieure. Le SNESUP pourrait hausser les épaules et y reconnaître la trace de l' »élitisme républicain »  d'hier ; je mets en garde contre ce réflexe. Que chacun se souvienne de la risée que provoqua la création de l'ENS de Lyon ; il y a aujourd'hui 13 Régions en France ; la proposition multiplierait le nombre d'ENS par 6 et si on inclut Cachan, par 4 . C'est modeste, et « coûte peu d'argent » ; mais la question est de savoir si cette proposition toute empreinte d'élitisme républicain, RAPPROCHE OU ELOIGNE DE l'EGALITE EN DROITS.

  • D'où ma proposition « simple et pratique » N° 1,

à savoir que le SNESUP propose immédiatement de soutenir cette idée et la création immédiate de ces nouvelles ENS

.Les questions internationales sont, même si de moins en moins et pas de façon satisfaisante, une sorte d'appendice de l'activité du SNESUP ; C'est la raison pour laquelle j'en parle immédiatement ; il y a les printemps arabes, la question des droits fondamentaux du peuple palestinien ; il y a le vote du peuple tunisien et plus proche de nous, la bataille historique du peuple grec. À l'issue des guerres coloniales notre pays s'engagea de façon paternaliste mais s'engagea. En Tunisie, la chose porta quelques fruits avec le début d'un enseignement supérieur digne de ce nom, et une action de l'UNESCO. Mais dès les années 1990 le climat changea du tout au tout ; j'eus l'honneur de faire partie du premier, seul et unique Congrès des Mathématiciens du Maghreb. Je témoigne ici d'une séquence honteuse qui s'y déroula : nos Collègues du Maghreb, imprégnés de l'idée que leurs pays devait sortir d'urgence du sous-développement intellectuel et culturel, d'apurer les comptes de la période coloniale demandèrent à LEURS COLLEGUES de l'Union Européenne alors en gestation de bien vouloir porter sur les fonts baptismaux UNE REVUE MATHEMATIQUE DU MAGHREB . Le refus qui leur fut opposé est, je l'ai dit, un moment honteux. La charge fut menée par un mathématicien allemand - déjà - au motif que les revues internationales de mathématiques existaient déjà et que les mathématiciens du Maghreb n'avaient qu'à essayer d'y publier. Le développement scientifique au Maghreb et en Afrique PASSE par l'existence au niveau du continent africain et de l'ensemble du Maghreb de revues scientifiques contrôlées et dirigées par les scientifiques issus de ces ensembles géopolitiques ; ce qui hier était étrange pour qui n'avait RIEN COMPRIS , avec les évènements d'aujourd'hui, est devenu un impératif et pas leur arrimage dans une nouvelle « Françafrique » ou le préalable des normes de l'Union Européenne et le pillage par les éditeurs mondiaux - ce qui au passage est un sujet en soi-  ; je ne détaille pas davantage MAIS il en résulte une

  • Proposition « simple et pratique » N° 2 .

Quant à la question grecque, il faut s'y étendre.

Je reprends ici , n'en déplaise à mes critiques , ma « rhétorique à deux balles » ; la Grèce aujourd'hui c'est NOTRE Espagne REPUBLICAINE d'HIER ; la défaite - il n'en prend pas le chemin aujourd'hui - éventuelle du gouvernement grec ne serait pas seulement NOTRE défaite ; nous porterions une lourde part de responsabilité ; et à cela s'ajouterait le fait incontournable que nous saurions alors « POUR QUI SONNE LE GLAS » ; le SNESUP n'a pas pour mission de porter SEUL le soutien à la lutte du peuple grec, mais dans son domaine, il en a le DEVOIR . Chacune et chacun comprend que je ne quitte pas mon sujet celui de « L'EGALITE EN DROITS ».
D'où résulte une

  • Proposition « simple et pratique » N°3

Dans chaque Université des conférences, tables rondes, colloques, où des Collègues grecs et des représentants qualifiés du gouvernement grec actuel présentent le programme du gouvernement grec sur le plan notamment de l'Enseignement supérieur, suggèrent initiatives et projets de coopération, doivent voir le jour ; le SNESUP DOIT en prendre l'initiative sans attendre ; le Congrès doit être l'occasion de lancer ces initiatives avec le plus grand éclat possible et la plus grande publicité.

Nous n'en avons pas terminé ; nous avons vu comment était traitée la question Outre -Atlantique ; passons l'autre côté du Rhin où il existe aussi une notion de l'EGALITE EN DROITS ; on voit en boucle l'inscription qui ouvre la porte de l'endroit « où Dieu n'existe pas »i ; on ne voit pas ce qui surmontait la porte de Dachau ; c'était la conception nazie de l'EGALITE EN DROITS ,«  Jedem sein Seinem » «  A CHACUN SON DÛ » .On croyait cette époque révolue ; on se trompait : c'est EXACTEMENT le message du Ministre Allemand des Finances , W. SCHAÜBLE au peuple grec . Si vous voulez voir le visage actuel du nazisme tel qu'il se présenta lors du PLAN SCHACHT lequel ouvrit les portes à Hitler, regardez Schaüble .

D'excellents esprits, même très progressistes, devant le problème de la crise de l' « élitisme républicain » , croient trouver une solution dans une formule que je cite in extenso : «  lutte contre les inégalités sociales en la conciliant avec l'exigence scientifique » ; il n'est pas dans mon esprit de les accabler ; ce d'autant moins que jusqu'à présent la CONTRIBUTION À LA LUTTE CONTRE LES INEGALITES SOCIALES fait partie des MISSIONS inscrites dans la LOI de l'Enseignement supérieur et, à ma connaissance, c'est même l'une de toutes premières .

Mais la formule doit être examinée sérieusement : s'il y a antinomie et même seulement contradiction entre « la lutte contre les inégalités sociales » et « l'exigence scientifique », alors il faut abandonner toute espérance, et il n'y a rien à « concilier », même au pays qui après avoir été le phare du débat politique incandescent est devenu celui de la « synthèse » et du « consensus ». Au demeurant, ce discours cède la place devant la réalité des affaires et la lutte contre les inégalités sociales fait partie du discours progressiste standard, lequel est devenu une simple illustration de la misère de la philosophie et dans notre champ c'est l'exacte réplique du « traitement social du chômage » dont on voit les grands effets.

Il faut donc aller au fond des choses ; la complexité du monde d'aujourd'hui éclate aux yeux de quiconque. Plus personne de sérieux ne songe à une « théorie globale », quel que soit le domaine- sauf les économistes de la pensée « ordo libérale » comme on les nomme, pour qui les choses sont simples et les marchés parfaits ; ce sont les dignes successeurs de la « pensée » stalinienne quand ils sont de gauche ; on n'ose pas dire ce qui les inspire quand ils ne le sont pas . M'étant intéressé récemment aux développements spectaculaires de la physique contemporaine, malgré des succès impressionnants de ce qu'on appelle le « modèle standard », je n'hésite pas à dire que nous SAVONS que bien des questions fondamentales échappent à notre entendement et que toute « théorie globale » même si elle constitue un idéal intellectuel est vouée à l'échec.
Il n'est pas une SEULE GRANDE QUESTION qui aujourd'hui puisse se passer de QUICONQUE pour trouver, commencer à trouver, essayer de construire les réponses d'aujourd'hui pour demain. Et les formes de la connaissance la plus élaborée y sont et y seront sans cesse plus nécessaire, plus indispensables ; leur appropriation collective une absolue nécessité.

[François Fillon osa lors d'un Colloque National poser gravement la question de savoir si la connaissance de civilisations disparues depuis plus de deux mille ans était une nécessité ; on m'opposa du côté de Meudon qu'étant « gaulliste social », il était séant de ne point trop l'attaquer ; si les choses continuent du train où elles vont, le programme de François Fillon sera une réalité demain ............ Passons.]

La capillarité NATURELLE au travers de laquelle les sociétés s'approprient lentement les aspects les plus fondamentaux ne peut y suffire. Même les démocraties les plus installées meurent de l'état zéro des personnalités qui prétendent les « représenter » en matière de rapport à la connaissance en mouvement ; la montée résistible des mouvements d'extrême droite n'y prend pas sa seule origine MAIS il n'est ni futile ni exagéré d'en voir ici l'une des causes ; réfréner l'accès GENERAL aux formes de la connaissance la plus élaborée est un suicide collectif.

L'EGALITE DES DROITS, toujours elle, pose et elle seule, la question de la lutte contre les inégalités sociales sur les pieds, en se servant de sa tête.

Et qu'on me permette de ne rien dire de la catastrophe climatique où la question de l'EGALITE DES DROITS, ignorée de Nicolas Hulot et de quelques autres, est une affaire MONDIALE à portée immédiate.

Dans l'ouvrage immortel « Quatre Vingt Treize », Victor Hugo décrit la Convention en ces termes «  La Convention chercha la part de réel dans ce que les hommes appellent l'Impossible » ; faisons ça, voulez-vous ?

J'en conclurais avec une

  • Proposition « simple et pratique » - en forme de poire - N° 4

Lire et faire lire CE PASSAGE en début d'année universitaire, et dans TOUS LES COURS.

Mes critiques feront la moue en disant que je n'ai pas « tout couvert » ; mais ils n'auront rien compris à l'impossible théorie globale et à la force du CHAMP de l'EGALITE EN DROITS.
L'auteur remercie Nicole Fiori- Duharcourt d'avoir insisté pour qu'il mette quelques idées noir sur blanc à CE SUJET