Publié le : 05/09/2011

Des CTP presque mort-nés

Les Comités techniques paritaires (CTP) furent instaurés dans toutes les administrations de l'État et tous les établissements publics de l'État sans caractère industriel et commercial par un décret du 28 mai 1982, signé par le premier ministre Pierre Mauroy, le ministre de la fonction publique Anicet Le Pors et le ministre des finances Laurent Fabius.
Ce texte fut pris en application de l'article 15 (i) de l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires. Le principe du paritarisme posé dans ce texte constituait alors un acquis considérable de la longue lutte des agents publics pour la reconnaissance du droit syndical, à travers sa fonction de représentation du personnel : il fallut 22 ans pour qu'il reçût enfin une application réglementaire ! Sauf dans l'enseignement supérieur public, où il a fallu attendre près de 47 ans : c'est, en effet, seulement la LRU du 10 août 2007 qui les a rendus obligatoires, en introduisant un nouvel article L 951-1-1 dans le code de l'éducation (sans, toutefois, fixer d'échéance). Les avis sont partagés, y compris au sein du SNESUP, sur la motivation de cette disposition : s'agissait-il de compenser les effets dévastateurs de cette loi pour le fonctionnement démocratique des établissements, ou de réduire le contre-pouvoir syndical en l'enfermant dans une instance institutionnelle de « dialogue social » ?
Quoi qu'il en soit, le paritarisme n'aura vécu qu'à peine quatre ans dans les établissements publics d'enseignement supérieur, puisque la loi du 5 juillet 2010 « de rénovation du dialogue social dans la fonction publique », transposant le « protocole de Bercy » du 2 juin 2008 signé par l'ensemble des organisations syndicales (OS) de la fonction publique (FP), dont la FSU, a supprimé le caractère paritaire des Comités techniques dans l'ensemble de la fonction publique.

La suppression du paritarisme : constat d'échec ou régression ?

Pour l'essentiel, la raison pour laquelle les OS-FP ont, en juin 2008, accepté le principe de cette suppression est tirée du constat que dans les CTP ministériels, face à une représentation syndicale diverse, donc parfois divisée, les représentants de l'administration (RA) faisaient systématiquement bloc, empêchant les représentants du personnel (RP) de faire adopter leurs propositions. Au mieux, ceux-ci ne pouvaient, et à condition de s'allier unanimement, qu'empêcher les CTP d'émettre des avis favorables aux projets de l'administration.
Dès lors, pourquoi le gouvernement a-t-il souhaité se priver de cet excellent moyen d'empêcher les OS de faire prévaloir leurs positions sur celles de l'administration ? La mesure a manifestement une valeur symbolique forte : elle se situe dans le droit fil du programme de la « droite décomplexée » de destruction des acquis sociaux issus du Conseil National de la Résistance, elle réduit la portée du principe, posé par l'article 9 de la loi du 13 juillet 1983, selon lequel « Les fonctionnaires participent par l'intermédiaire de leurs délégués siégeant dans des organismes consultatifs à l'organisation et au fonctionnement des services publics, à l'élaboration des règles statutaires (...) ». Simultanément, la disparition d'une instance où l'administration et les personnels sont à 'égalité contribue à renforcer la portée de cet autre principe qui place les agents publics en situation de « servir », en position hiérarchique. En outre, elle aligne le droit de la représentation du personnel dans la fonction publique sur le modèle de celui de l'entreprise privée, où il n'y a jamais eu d'instance paritaire (dans le secteur privé, le paritarisme reste cantonné à l'extérieur de l'entreprise : caisses de sécurité sociale, institutions de formation professionnelle...). En ce sens, il s'agit incontestablement d'une régression sociale, dont la mesure n'a peut-être pas suffisamment été prise par les OS-FP en 2008.

Un rapport de force inversé

La suppression du paritarisme dans les CT est surtout consubstantielle au noyau dur de la loi du 5 juillet 2010, à savoir la transformation des règles de la représentativité syndicale : suppression de « l'amendement Perben », et adoption du critère central de l'audience électorale aux élections professionnelles, principalement celles des CT, aux niveaux desquels le droit de négociation collective est élargi et conditionné, à l'instar du secteur privé, à la règle de l'accord majoritaire. La fonction fondamentale des CT s'en trouve profondément modifiée.
On peut, à cet égard, regretter que ni la FSU ni, notamment, le SNESUP, n'aient mis à profit le temps écoulé entre le protocole de Bercy et la loi du 5 juillet 2010 pour tenter d'analyser les conséquences potentielles de cette modification et en tirer des projets d'orientation stratégique.
Alors que le paritarisme dans les CT avait pour effet, comme signalé ci-dessus, d'inciter les OS à s'allier afin d'opposer un front unitaire commun à l'administration, la transformation de ces instances en instruments de mesure de leur représentativité les jette dans une concurrence électorale avivée. Le SNESUP lui-même est réduit à recommander à ses sections d'éviter, sauf exceptions, de constituer des listes communes avec des syndicats non affiliés à la FSU, alors même qu'il s'agit d'une pratique courante lors des autres élections (CNU, Conseils d'université...).
Il semble nécessaire de s'interroger également, avant même que les nouveaux CT soient installés, sur les effets possibles de la disparition du paritarisme quant à leur fonctionnement. Dans les CTP locaux, les RP s'efforçaient généralement d'instaurer un véritable débat avec les RA, afin qu'une partie d'entre eux les rejoignissent lors des votes, ce qui se produisait parfois. Désormais, il ne s'agit plus pour les RP d'espérer diviser les RA pour affaiblir l'employeur, encore moins le convaincre, mais seulement de lui exposer leurs analyses, propositions, réclamations et revendications, dûment consignées aux procès-verbaux. En ce sens, les CT risquent de devenir de simples tribunes d'expression syndicale.
Toutefois, les CT restent des organes collectifs dont l'administration demeure tenue de recueillir les avis par le moyen du vote, sans pouvoir y participer elle-même. Ces votes confronteront donc entre elles les seules OS, en sorte que les CT fonctionneront à cet égard comme des intersyndicales, les RP de chaque OS s'efforçant de rallier les autres à leurs positions. Avec, cependant, une différence de taille : ces débats intersyndicaux se dérouleront en présence de l'administration, qui trouvera un évident profit à assister en direct aux désaccords, et ne manquera pas d'être tentée d'intervenir pour semer la zizanie.
Une administration retorse pourrait même soumettre au CT des projets spécialement conçus pour diviser les OS.
Le rapport de force se trouve donc objectivement inversé par la disparition du paritarisme : ce ne sont plus les RP qui tentent de diviser l'administration, mais le contraire. La seule parade consiste, pour les OS, à se concerter entre elles avant les réunions afin de tenter d'adopter des positions communes, ou, à tout le moins, l'engagement de ne pas se déchirer sous les yeux de l'employeur...

La configuration des CT ne constitue finalement pas un nouveau défi pour le syndicalisme offensif, habitué à utiliser au mieux les différentes institutions pour assurer une représentation combative et efficace des personnels, sans se laisser piéger par une institutionnalisation réduisant l'action syndicale à l'accompagnement des politiques néolibérales.