Horizon 2020 et intelligence. Version française

Publié le : 24/11/2013

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Le 11 décembre 2013, la Commission européenne lancera les premiers appels à projets du 8 Programme-cadre pour la recherche et l'innovation, appelé « Horizons 2020 ». Un dispositif d'une durée de 7 ans qui devra contribuer à « améliorer les conditions de recherche et développement afin, en particulier, de porter à 3 % du PIB le niveau cumulé des investissements publics et privés dans ce secteur ». Derrière le rideau se cache surtout une guerre économique qui doit mobiliser tous les chercheur

 

Contexte et finalité
Le 17 juin 2010, les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne (UE) réunis en Conseil européen ont décidé de la stratégie Europe 2020 Une stratégie européenne pour une croissance intelligente, durable et inclusive, qui prit le relais de la stratégie de Lisbonne. Un objectif majeur est l'ouverture toujours plus grande des frontières de l'UE aux échanges commerciaux et aux investissements : d'où la multiplication des accords de libre échange - ainsi en juillet dernier ont débuté les négociations avec les États-Unis d'un traité transatlantique portant sur le commerce et l'investissement. Une des conséquences est l'intensification de l'affrontement économique avec l'ensemble des régions et pays du monde. D'où des politiques d'affûtage des armes économiques, et de soumission croissante des activités humaines à une mobilisation générale pour défendre et renforcer le territoire économique européen. La politique de l'Union et celle de ses États membres sont toujours plus centrées sur cette situation de guerre économique.
L'une des armes économiques de tout premier plan est l'innovation, entendue au service des entreprises, vers laquelle la politique de recherche de l'UE et celles des États membres sont toujours davantage orientées. Horizon 2020 constitue ainsi une pièce maîtresse de la stratégie Europe 2020, comme l'annonce la première place accordée par cette stratégie au qualificatif intelligente.

Influence généralisée
Le choix délibéré de l'UE et de ses États membres de soumettre leur population à un libre échange exacerbé et donc à une guerre économique internationale, n'a pas été mis en débat auprès des populations européennes. Il s'agissait, faut-il croire, de questions trop techniques et complexes pour être soumises à la décision du bon peuple ? Par contre les lobbys des entreprises multinationales ont été à la manœuvre, leur volonté a été suivie et les intérêts des actionnaires particulièrement défendus. A Bruxelles, plus de dix mille personnes ont pour activité la facilitation, la mise en œuvre et le développement des relations et des liens entre les grandes entreprises et la sphère politique européenne (commissaires, fonctionnaires, parlementaires, délégations nationales...)1. Cette relation est directement en cause dans la définition de l'ensemble de la politique européenne, et tout particulièrement dans le choix de l'ultra libre échange.
Puis, la guerre économique étant devenue le cœur de toute politique, ces liens seront renforcés et généralisés, en particulier dans la définition et la mise en œuvre des politiques de recherche, du niveau européen jusqu'à celui des établissements et de l'activité de recherche proprement dite.

Des PCRD au PCRI
Le 7e Programme cadre pour la recherche et le développement technologique (PCRD) arrive à son terme. Avec Horizon 2020, la commission européenne a substitué l'innovation au développement technologique. Il s'agit d'un Programme cadre pour la recherche et l'innovation (PCRI). Cette évolution du langage marque une étape de l'évolution de la politique de recherche particulièrement sensible depuis le 6e PCRD, ouvert en 2002 soit deux ans après la définition de la stratégie de Lisbonne. En 2011, alors que la Commission européenne travaillait à la rédaction d'une première version du programme Horizon 2020, le site officiel de l'Union européenne en précisé l'orientation :
« Le but ultime est de maximiser la recherche et l'innovation financées par l'UE, pour une croissance durable et pour l'emploi, ainsi que pour s'attaquer aux grands défis que doit relever l'Europe - par exemple le changement climatique, la sécurité alimentaire et énergétique, la santé et le vieillissement de la population.
Cela doit être atteint en créant une série cohérente d'instruments, tout le long de la « chaîne de l'innovation » et à commencer par la recherche fondamentale, débouchant sur l'apport au marché de produits et de services innovants, et aussi sur le soutien à l'innovation non technologique, par exemple aux niveaux de la conception des produits et du marketing.»
En février 2013, les chefs d'État et de gouvernement des États membres de l'UE, réunis en Conseil européen, instance qui définit les orientations de l'Union, ont décidé, à propos d'Horizon 2020, que : « toutes les politiques seront mises à contribution pour accroître la compétitivité ». Le message ne souffre d'aucune ambiguïté.
Finalement, si une place est accordée à la recherche fondamentale, c'est nécessairement au service de l'innovation tournée vers le profit ; si certaines sciences humaines et sociales sont convoquées, c'est essentiellement dans une perspective utilitariste et marchande ; si les grands défis que doit relever la société sont pris en considération - le contraire eût été pure folie, c'est en les croisant obligatoirement aux demandes des entreprises et au potentiel du marché.

 

Régionalisation
Ce même Conseil européen de février 2013 a par ailleurs décidé de « renforcer la capacité régionale en matière de recherche et d'innovation ». Au même moment, en France, deux projets de loi s'attelaient à ce renforcement et à une transformation de la finalité des régions : celles-ci sont appelées à devenir l'unité territoriale de base de l'affrontement économique international ; la recherche, réquisitionnée, se concentrera sur la fourniture « d'armes »2 aux entreprises régionales, lesquelles seront appelées à se développer à l'international. 
Tout d'abord, le projet de loi de décentralisation et de réforme de l'action publique donnait obligation aux Conseils régionaux d'adopter tous les cinq ans « un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation, après concertation avec le représentant de l'État dans la région, les collectivités territoriales, les métropoles ainsi que les organismes consulaires3 »4. Aussi,  les Conseils régionaux devront veiller à « la cohérence des programmes d'actions des pôles de compétitivité5 avec les orientations des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation. »6. Nous voyons ici le rôle donné aux Conseils régionaux, de pilotage de l'ensemble des acteurs régionaux dans le cadre de la guerre économique. Nous soulignons que les salariés et leurs organisations représentatives, contrairement aux employeurs et aux professions non salariées, sont absents du texte de loi, exclus d'un pouvoir censitaire.
Quant à elle, la loi Fioraso du 23 juillet 2013 réorganise l'Enseignement supérieur et la recherche (ESR) en structures régionales, « académique ou inter académique », hormis en Île de France où le schéma sera différent, et introduit dans la législation les objectifs de transfert de technologie, de compétitivité de l'économie et d'attractivité des territoires aux niveaux local, régional et national, auxquels l'ESR contribuait déjà, mais autour desquels il s'agira de se centrer.
Un puzzle législatif national se met ainsi en place, en total accord avec le programme européen Horizon 2020, le tout dans le cadre plus général de la stratégie Europe 2020 d'une « croissance intelligente ».

 

Stratégie de Spécialisation
La Commission européenne a défini de nouvelles conditions à l'octroi des financements dans le cadre de la politique de cohésion (deuxième poste de dépense de l'UE avec environ 50 milliards d'euros annuels), mettant en place la Stratégie de spécialisation intelligente des États et des régions, Smart Specialisation Strategies « S3 », explicitement reliée au programme Horizon 2020. En novembre 2012 le gouvernement français publiait le Guide pour la préparation des stratégies de spécialisation intelligente des régions françaises7. Voici les trois premiers paragraphes du résumé qui ouvre ce document, suivi d'un passage situé plus loin dans le texte :

  ?? « Le concept de « S3 » trouve sa source dans les débats sur la compétitivité de l'Union européenne. C'est au milieu des années 2000 que le concept de S3 apparaît dans le débat européen, à l'initiative d'un groupe d'experts (le groupe « Knowledge for Growth », « La Connaissance pour la Croissance »), mandaté par la DG Recherche pour rendre compte de l'écart de compétitivité entre l'Union européenne et les États-Unis. Pour ces experts, la réduction de cet écart passe par une « spécialisation intelligente » des États-membres et des régions au sein d'un Espace européen de la recherche intégré. »
?? « La « spécialisation intelligente » est conçue par la Commission comme un levier déterminant pour la contribution de la politique de cohésion à la stratégie Europe 2020, la nouvelle stratégie de coordination des politiques économiques des 27 États-membres, lancée en juin 2010, pour créer les conditions « d'une croissance intelligente, durable et inclusive ». La « spécialisation intelligente » est une déclinaison à l'échelle des régions des théories des économistes et des géographes de l'innovation sur « l'avantage concurrentiel » (Porter), la « chaîne de valeur » et les rendements d'échelle dans une économie globalisée (Krugman). »
?? « La S3 est un processus de sélection dans le contexte des politiques d'innovation et industrielles à l'échelon régional. Il vise une priorisation et une concentration des ressources sur un nombre limité de domaines d'activités et secteurs technologiques où une région dispose d'un avantage comparatif, au niveau mondial, et susceptibles de générer de nouvelles activités innovantes qui conféreront aux territoires, à moyen-terme, un avantage concurrentiel dans l'économie mondiale. »

« La S3 doit favoriser l'innovation sous toutes ses formes, non seulement technologique qui aboutit à la production de nouveaux produits ou services, mais aussi celle basée sur la pratique des entreprises, innovation marketing, de procédé et organisationnelle. Elle doit permettre aux régions d'acquérir une « masse critique », seule ou via des coopérations, dans quelques domaines ciblés et ainsi accroître leur visibilité internationale par un positionnement sur des niches du marché mondial et sur des chaînes de valeur globales. »

 

Devoir d'alerte et de résistance
Selon le dictionnaire Larousse, l'intelligence est « la faculté de comprendre, de saisir par la pensée ». Les notions de croissance intelligente et de spécialisation intelligente n'ont guère à voir avec l'intelligence. Au contraire, elle participe de l'entreprise de destruction des outils et des fondements de la pensée, allant de l'héritage linguistique à la recherche. La guerre économique est dévastatrice, comme toute guerre. Ne donne-t-elle pas lieu à une dissolution de l'intelligence, tout autant insidieuse que fulgurante ?
Les chercheurs ont une responsabilité individuelle et collective d'alerte et de résistance.

 

1 Le lecteur pourra consulter Belén Balanya, Ann Doherty, Olivier Hoedeman, Adam Ma’anit, Erik Wesselius, Europe inc. : liaisons dangereuses entre institutions et milieux d'affaires européens, Collection Contre-feux, Agone, Marseille, 2000.

 2 Confer L'enseignement et la recherche, nos armes pour demain, tribune de G. Fioraso publiée par le quotidien Les Échos, reprise sur le site du ministère.

3 Les organismes consulaires ce sont la Chambre régionale de Commerce et d'Industrie, la Chambre régionale de métiers et de l'artisanat et la Chambre régionale d'agriculture, respectivement composées d'élus des entrepreneurs, des artisans et des agriculteurs.

4  Article 2 du projet de loi

5 Les pôles de compétitivité regroupent essentiellement des entreprises, des organismes de recherche et des universités.

6 Article 2 du projet de loi

7 Guide pour la préparation des stratégies de spécialisation intelligente des régions françaises. Novembre 2012. Site du gouvernement français : http://www.europe-en-france.gouv.fr/Centre-de-ressources/Etudes-rapports-et-documentation/Guide-pour-la-preparation-des-strategies-de-specialisation-intelligente-des-regions-francaises

Marc Delepouve
Secrétaire national du SNESUP-FSU
Responsable du secteur international