Recherche en éducation: engagement des acteurs et réception des recherches

Publié le : 16/10/2008

  • par Anne Bon, ex-directrice de l’INRP

Anne Bon, qui fut longtemps directrice de l’INRP, s’intéresse aux
acteurs de la recherche. Rappel salutaire qui ouvre sur des
perspectives à explorer.

Deux interrogations déjà anciennes:

1.– Quelle évolution sur la place des acteurs et des formateurs dans les recherches peut-on discerner depuis presque 40 ans que la recherche « pédagogique » est apparue, avec Roger Gal, puis Louis Legrand, dans l’organisation impulsée par Louis Cros, militant de l’éducation nouvelle, fondateur de l’IPN (les sciences de l’éducation ne feront leur apparition que presque 10 ans plus tard).

2. – Comment expliquer la faible visibilité des recherches dans le champ des connaissances (malgré l’existence de revues, de banques de données, etc.) et leur réinvestissement relatif dans l’évolution en particulier du système de formation initiale ou continue ? Manqueraient-elles d’utilité sociale ou de rigueur scientifique ?

Une première famille de travaux relève de la recherche universitaire qui se conduit dans les laboratoires d’université ou d’instituts de recherche (CNRS et autres) auxquels sont rattachés des chercheurs qualifiés au titre d’une des sections du CNU, pour l’essentiel des sciences de l’éducation (70e section). Mais d’autres champs de savoir présentent un intérêt pour analyser les problèmes qu’affronte le système éducatif ; or les disciplines se sont constituées dans leur majorité en excluant de leur champ les recherches touchant à la diffusion des savoirs disciplinaires. L’unité des sciences de l’éducation n’est pas due aux cadres théoriques qui constitueraient ce champ de savoir mais au contexte d’apparition des questions qui ont servi de point de départ aux recherches, ce qui fragilise leur légitimité. La recherche en éducation présente une autre spécificité, difficilement compatible avec le modèle dominant. Ses objets complexes imposent presque toujours un traitement exigeant le croisement de spécialités, et la définition de processus d’évaluation et de critères de validité prenant en compte cette pluridisciplinarité des approches.

Une deuxième famille de travaux est constituée de mises au point de modalités d’enseignement (contenus, dispositifs, stratégies...), s’appuyant sur des mises en oeuvre effectives avec des équipes dans des établissements volontaires. C’est le cas d’un certain nombre de recherches conduites dans le cadre de l’INRP ou des IREM. L’évaluation là ne dépend pas de l’examen par une communauté spécifique de chercheurs d’un domaine particulier, mais repose sur les acteurs eux-mêmes.

Une troisième famille de travaux porte sur la production d’outils pour l’enseignant, c’est-à-dire de ressources qui font partie de son environnement professionnel, produits conçus dans une démarche de recherche, réinvestissant des travaux antérieurs. La production d’expérimentations, d’études, de recherches est impossible à conduire sans s’appuyer sur des enseignants volontaires, des innovateurs, militants de mouvements pédagogiques, constitués en équipes, préoccupés de l’amélioration du système éducatif.

Historiquement l’évolution de la recherche à l’IPN, puis à l’INRP, met bien en lumière ce lien fort avec le terrain. Il accepte l’aiguillon de la réflexion libre, reconnaît la pertinence des innovations du «terrain», mais il souhaite développer les exigences scientifiques et construire des modèles « d’application ». On favorisera les classes laboratoires, avec les équipes des ENI, les établissements d’essai devenus établissements expérimentaux (les 17 collèges de L. Legrand, les 4 CES audiovisuels, dont celui de Marly-le-Roi...). L’IPN produit aussi des ressources pour les acteurs: comptes rendus et rapports (une très abondante littérature grise se diffuse dans les petits groupes d’enseignants volontaires engagés), cahiers verts du département de la recherche pédagogique, rencontres, émissions de télévision, accueil des mouvements pédagogiques, puis constitution du CDR et des revues spécialisées. Le mouvement continuera : on passera progressivement de l’acteur militant à un acteur mieux formé, plus capable de théoriser des pratiques ou d’expliciter des savoirs d’action, plus exigeant aussi, demandeur d’échanges et de comparaisons internationales. La constitution d’équipes de chercheurs et de praticiens diversifiées, avec des personnels de catégories et de niveaux différents, a conduit à produire des recherches de qualitére connue. En 1985, 4 000 enseignants sont associés à l’INRP ; en 2000 environ 1 100 participent à plus de 100 programmes de recherche nationaux; plus de 350 passeront des thèses et rejoindront des laboratoires.

On cherchera progressivement à éviter la dispersion des thèmes d’études et de recherche sur de multiples terrains ou leur parcellisation en des microtravaux dont le transfert à l’échelle nationale serait hasardeux, mais surtout à maintenir étroites les relations entre les observations de pratiques sur le terrain, et les études et recherches, pour nourrir la formation initiale et continue des enseignants. Le partage des connaissances, c’est le partage de leur élaboration.

Les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) étaient ou sont bien placés à la charnière entre la formation et la recherche, particulièrement pour examiner la faisabilité de certaines modalités d’enseignement, à condition de favoriser l’organisation de réseaux et de coordinations. Pour autant si la participation à la recherche est indispensable pour le formateur, on ne demande pas à chacun de devenir chercheur.