LE 12 NOVEMBRE 1968 : CINQUANTENAIRE DE LA LOI D’ORIENTATION DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Publié le 12 novembre 2018

 

Il y a cinquante ans, la loi d’orientation de l’enseignement supérieur, dite « loi Faure », imposait de manière décisive dans l’Université le principe de collégialité. À la date anniversaire de cette promulgation occultée, jamais ce principe n’aura été si menacé, sous les coups de butoir d’un « New Public Management » ressuscitant la vieille gouvernance mandarinale sous les traits d’une gouvernance managériale dont les principes – excellence, évaluation, mérite… – servent à revêtir du masque de l’éthique sociétale une économie de la pénurie.

La loi du 12 novembre 1968 fut écrite et adoptée en quatre mois, dans la foulée de mai-juin 68. Elle satisfaisait nombre des exigences : création des universités comme entités autonomes et unitaires, regroupant toutes les structures relevant de l’enseignement supérieur – avant toutes ces « facultés » constituées autour de mandarins ; instauration d’un mode de gestion radicalement nouveau en France, des conseils très majoritairement élus au suffrage direct par les trois collèges – étudiants, enseignants et enseignants-chercheurs (EC), IATOS ; affirmation des franchises universitaires contre toute emprise politique ou économique ; élection du/de la président.e et des directeurs/trices d’UER par les conseils pour une durée limitée et non renouvelable. La loi affirmait un lien indissoluble entre recherche et formation et esquissait le statut d’enseignant-chercheur, avec la promesse de l’intégration des assistant.e.s et d’un plan pluri-annuel de création de postes. Elle créait une instance collégiale nationale (majorité d’élu.e.s au suffrage direct), le CNESER, intégré à la planification de l’ESR, donnant son avis sur les programmes et les moyens, dans la perspective de l’autonomie pédagogique et des programmes de recherche, dans le respect des lois et des statuts, car la loi imposait aussi le caractère national des diplômes. Elle garantissait l’autonomie financière des établissements sur un crédit global de fonctionnement déterminé selon leurs besoins après avis du CNESER.

Consolidée par la loi Savary de 1984 et intégrée au Code de l’Éducation en 2000, la « loi Faure » a fait l’objet de mutilations croissantes depuis 2005. Parmi les étapes principales, nous devons relever :

  • En 2005 : la création de l’ANR qui inaugure le « financement sur projet » au détriment des dotations récurrentes, socle de l’autonomie.
  • En 2006 : la loi de programmation priorisant l’innovation, la recherche applicative, et créant les PRES, première mouture des monstres qui interdiront progressivement tout exercice réel de la collégialité, et l’AERES, instance nommée, lançant dans l’Université la course folle à l’évaluation par en haut et à l’« excellence » auto-proclamée.
  • En 2007 : la loi LRU, détruisant l’équilibre des pouvoirs entre conseils élus et président.e.s ; rompant le pacte de financement public et d’égalité territoriale ; instaurant la concurrence généralisée entre établissements, composantes, individus ; remplaçant la gestion collégiale par le pilotage, au nom d’une « autonomie » pervertie, qui culmine dans l’incitation à passer aux RCE (Responsabilités et Compétences Elargies). En vérité, il s’est agi alors de réduire encore l’engagement de l’État jusque dans les recrutements.
  • En 2009 : le décret Pécresse sur les statuts des EC, introduisant la modulation des services, visant à atomiser le corps des enseignant.e.s-chercheur.e.s afin de le rentabiliser.
  • En 2013 : la « loi Fioraso » toilette les lois honnies dont on attendait l’abrogation, et ajoute l’obligation à tout établissement d’entrer dans une démarche de regroupement.

 

  • En 2018 : parmi les effets délétères de la loi ORE et de Parcoursup, la désignation d’autorité des « commissions » de classement par les président.e.s dessaisit les instances collégiales qui refusent d’effectuer la besogne.

Aujourd’hui, les ordonnances sur les expérimentations permettent aux regroupements de faire entrer massivement le privé dans l’Université publique, de réduire la participation démocratique des personnels et des étudiant.e.s à la portion congrue dans les CA, d’établir des diplômes aux prix prohibitifs… La loi « Pour une école de confiance » renforce le pouvoir des président.e.s au sein des conseils académiques. Et demain, les salaires au mérite opposeront une petite élite au tout-venant et aux précaires, qui pourtant « font tourner » la machine, à compétences et à investissement souvent égaux.

C’est au nom du progrès que la Ministre Frédérique Vidal s’attaque ouvertement, en public, à une collégialité jugée obsolète et inefficace. La collégialité est pourtant le socle de notre engagement professionnel. Son exercice concerne aussi bien la gestion quotidienne des diplômes et des programmes de recherche que la stratégie des établissements et des composantes, la gestion équitable et éthique des intérêts des institutions et des personnes, la prise en charge des grands débats engageant la vie et l’avenir de l’ESR. Son déclin, entraînant la soumission des individus à des pouvoirs qui leur échappent et à des injonctions dont ils n’acceptent pas le sens, est pourtant la cause principale du malaise grandissant des personnels, de la perte de sens qu’ils ressentent, et de la souffrance au travail qui en découle.

Le SNESUP-FSU, en saluant le cinquantenaire de la « loi Faure », invite l’ensemble des communautés universitaires à agir pour arrêter le train fou des réformes régressives, ouvrir en grand le chantier d’une vraie réforme de progrès, et ressaisir collectivement les leviers de la collégialité et de la démocratie universitaire.