Rapport Dardel-Pumain : le spectre de l'AERES rôde toujours ! .

Publié le 6 février 2014

Rapport Dardel-Pumain : le spectre de l'AERES rôde toujours ! .

Le rapport Dardel-Pumain, commandé en juillet 2013, est paru le 24 janvier 2014. Censé apporter une réflexion et des propositions sur les pratiques de l 'évaluation scientifique et sur l'organisation du Haut Conseil de l'Evaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (HCERES, successeur de l'AERES), il fournit en réalité des satisfecit aux pratiques courantes de l'AERES, pourtant décriées par la communauté scientifique, propices à la prorogation pure et simple de la même instance, malgré quelques déclarations de recommandations louables.

Nous passerons sur le fait que le rapport s'appuie sur une version « obsolète » de la loi, confirmant l'amateurisme et la désinvolture du MESR, ce qui fait prononcer à ses auteurs des contre-vérités :
« L'évolution de la composition du Conseil du HCERES, telle que définie par la loi, va bien dans le sens d'une plus grande indépendance, puisqu'elle prévoit de manière plus transparente la participation des principaux acteurs de l'évaluation, une désignation directe de leurs représentants par les instances nationales d'évaluation des personnels (CNU, Comité National de la Recherche Scientifique) [...] ». En réalité, la demande de désignation directe a été rejetée, et l'article L114-3-3 du Code de la recherche précise au contraire que « le conseil est composé de vingt cinq membres [...] nommés par décret ». Même si certains sont nommés « sur proposition » des instances, comme c'était déjà le cas pour l'AERES, c'est bien un processus de désignation indirecte qui prévaut.
Voilà qui rappelle curieusement les reculs de démocratie que sont le « cavalier législatif » (1) sur les COMUE et la proposition ministérielle de suffrage indirect pour le nouveau CNESER (2).

Sans surprise, le cadre du rapport est imposé : c'est celui de la loi ESR. Mais plus révélatrices sont ses lignes directrices : « L'évaluation doit être compatible avec la stratégie nationale de la recherche [SNR], elle doit s'inscrire dans le développement de la politique de site ». Ainsi on ne peut concevoir d'activité scientifique au sein des laboratoires que lorsqu'elle est assujettie à la SNR, au sein de pôles territoriaux ! Au delà de l'incitation aux regroupements territoriaux et à la course aux IDEX par les fonds issus du Plan Investissements d'Avenir n°2 annoncés par F. Hollande à Strasbourg le 30 janvier (la carotte), c'est l'évaluation - jamais qualifiée de tatillonne pour les laboratoires publics mais toujours trop contraignante pour les entreprises - qui se chargera de vérifier que les laboratoires filent droit (le bâton). Notre inquiétude est d'autant plus grande au regard de la composition du Conseil Stratégique de la Recherche. Ce conseil, qui « propose les grandes orientations de la stratégie nationale de recherche et participe à l'évaluation de leur mise en œuvre", fait la part belle au industriels, son vice-président n'étant autre que le président du Conseil d'Administration de Valeo."

Le rapport préconise que l'évaluation des formations, en rapport avec l'accréditation des diplômes, se centre sur l'évaluation du processus d'auto-évaluation des diplômes par les universités selon des critères où figurent en bonne place « les comités de perfectionnement des
diplômes, l'évaluation systématique par les étudiants, la politique des stages, les liens avec le monde socio-économique, la qualité de l'insertion professionnelle, [...] la place des technologies du numérique etc... »
. Tout l'outillage de la subordination des formations à l'employabilité, est réuni dans ces critères.
Que le CNESER soit consulté régulièrement et en amont sur l'élaboration et la mise en œuvre de critères d'évaluation, ne figure évidemment pas au registre des recommandations.

Si quelques éléments positifs apparaissent dans ce rapport (« Le rapport d'évaluation (...) n'a pas à être prescriptif et empiéter sur les décisions des tutelles »), ils sont presque toujours atténués ou contredits par des considérations très contestables.
Ainsi, en reconnaissant que la bibliométrie est jugée encore inadaptée en SHS (« les bases de données bibliométriques sont encore largement inadaptées dans la plupart des disciplines des sciences humaines et sociales et des humanités »), les auteurs sous-entendent qu'elle serait adéquate pour toutes les autres disciplines.
Si « l'évaluation doit porter principalement sur l'activité présente et passée du laboratoire et n'a pas vocation à examiner ses projets de manière détaillée » semble une recommandation louable, elle est aussitôt tempérée : « il semble raisonnable [...] d'examiner les grands axes stratégiques envisagés ... » ?
La condamnation générale de la notation, (cf. la recommandation n° 132 du rapport de Vincent Berger après les Assises), devient un avis plus qu'ambigu : « si les notes littérales sont supprimées, le HCERES devrait fournir une fiche d'évaluation synthétique résumant les avis et recommandations sur une grille de critères adaptés ». Pourquoi un timide « si » ? Les notes doivent être supprimées !

Le SNESUP-FSU, qui a toujours condamné les méthodes, critères et objectifs de l'évaluation telle que pratiquée par l'AERES,continuera de peser pour la disparition totale de la notation, pour la participation à l'évaluation d'experts désignés directement par les instances nationales en majorité élues : CNU, Comité national, commissions scientifiques spécialisées. En lien avec les autres syndicats de la FSU concernés, il sera particulièrement attentif à la constitution et au fonctionnement des comités de visite (cf. les recommandations 5 et 6 du rapport Dardel-Pumain) et s'opposera à toute tentative de reconstitution d'une AERES-bis.

(1). Communiqué de presse du 26 janvier 2014 « Le suffrage « indirect » introduit en catimini au Conseil Académique » Le-Snesup/L-actualite-du-SUP?aid=6904&ptid=5
(2). CNESER inscrit dans la loi, résultant de la fusion de l'actuel CNESER et du Conseil Supérieur de la Recherche et de la Technologie (CSRT)