Chercher et apprendre sans entraves, Mai 68 et après - VRS n° 413 - Eté 2018

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Publié le : 03/09/2018

 

Chercher et apprendre sans entraves, Mai 68 et après

VRS n° 413 - Eté 2018

 

 

Chantal Pacteau

Pourquoi donc parler ici de « mai 68 » ? Nul désir de commémoration et encore moins de célébration… mais la nécessité de rappeler les aspirations et engagements qui l’ont porté et leur pourquoi ; de discuter, en creux, de ce qui nous arrive aujourd’hui, pour garder et intensifier la détermination de lutter contre la fatigue qui règne dans nos laboratoires et universités, à cause de batailles que l’on croit perdues. (...)

Né des protestations mondiales contre l’ordre établi de l’après-guerre, les guerres coloniales, le moralisme étouffant de sociétés patriarcales et les hiérarchies sociales intolérables, mai 68 – au-delà des images de pavés et de manifestations impressionnantes gravées dans la mémoire collective – est un moment unique de convergences de colère, d’intelligence, de créativité, de soif de vivre ensemble et de prendre en main ses affaires… Acquis sociaux, libération des moeurs, émancipation de la parole, aube des mouvements féministes, rien ne sera plus comme avant, même si la droite revient rapidement au pouvoir. La face de l’université – et, dans une moindre mesure, celle du monde scientifique – en est bouleversée.

Et pourtant… Comme plusieurs auteurs de ce dossier le font remarquer, aujourd’hui le pouvoir politique a réintroduit des pratiques de pilotage abusif de la recherche, de concurrence au-delà du tolérable, d’emploi précaire.... Certes, il n’y a pas eu retour dans nos milieux des costumes-cravates et de leur pendant féminin, le port obligatoire de la jupe, mais il est troublant de constater à quel point les termes des débats d’il y a cinquante ans règnent dans un monde qui a tant changé : pilotage, concurrence, sélection, emploi précaire, adaptation, rentabilité économique, et même, primes (sans transparence) ! Avec mai 68, les sciences humaines françaises, comme la philosophie des lumières deux siècles auparavant, se sont propagées au-delà de nos frontières. Laissons leur ici le dernier mot, celui du philosophe Deleuze et du psychanalyste Guattari pour qui mai 68 a été « un phénomène de voyance, comme si une société voyait tout d’un coup ce qu’elle contenait d’intolérable et voyait aussi la possibilité d’autre chose ».