Courrier de la FSU au premier ministre sur la situation des agents non-titulaires (20/10/2016)

Publié le : 20/10/2016

Version pdf de ce courrier:

 

Les Lilas le 20 octobre 2016

 

Monsieur le Premier Ministre,

 

Par ce présent courrier, je viens interpeller solennellement le gouvernement sur la question des agents non titulaires dans la Fonction Publique.

La FSU fait de la lutte contre la précarité un enjeu majeur. Le maintien d’un volant global de plus de 17% de personnels non titulaires, soit près d’un million d’agents, n’est bon ni pour les personnes concernées dont les conditions d’emploi et de rémunération sont souvent très défavorables, ni pour la Fonction publique.

 

La FSU a organisé le 13 octobre dernier une journée de témoignages et d’expression des agents non titulaires. Quatre ministères ont reçu à cette occasion des délégations en audience (Justice, Agriculture, Education Nationale, Fonction Publique). L'annexe jointe à ce courrier vous donne la synthèse de ces rencontres.

Beaucoup de nos collègues ont témoigné au cours de cette journée d’une situation professionnelle et personnelle dégradée rendue difficile par les conditions d’emploi : contrats très courts, temps partiels subis, sans évolution de salaires depuis plusieurs années, exclusion du CDI pour avoir eu, malgré eux, des interruptions de contrats ou des changements de nature du contrat alors même que les fonctions exercées sont sensiblement les mêmes, sentiment d’arbitraire dans la décision du non-renouvellement, d'affectation,  impossibilité de se projeter dans un avenir serein. Certaines situations montraient même l’irrespect, par des employeurs publics, de la législation en la matière.

Comment imaginer, dans ces conditions d’emploi, que le service public soit rendu efficacement ?

 

La FSU ne peut se résoudre à accepter cette situation. Elle considère que trop peu d’avancées ont été mises en œuvre. En effet, après 4 sessions de recrutement réservé, la loi dite Sauvadet a exclu une majorité des contractuels de l’accès au statut de fonctionnaire. Ceci est principalement lié aux conditions d’éligibilité trop restrictives, mais aussi à d’autres facteurs comme l’insuffisance des formations proposées.

Le Gouvernement ne propose actuellement que la prolongation de ce dispositif réservé jusqu'à la session 2018.

Nous demandons que la loi Sauvadet soit aménagée (suppression de l’exigence des deux ans de service avant le 31 mars, suppression de la limitation imposée par les temps incomplets, suppression de l’exigence d’être en contrat au premier trimestre 2011 ou 2013, retenir comme seul critère une ancienneté de 4 ans sur une période de 6 ans à la date de clôture des inscriptions).

Nous demandons aussi que des discussions avec les organisations syndicales soient ouvertes sur ces points. En effet, la prolongation du plan Sauvadet ne pourra suffire à résorber la précarité. Il s'agit donc de rediscuter d'un plan de titularisation ouvert à tous les non titulaires.

 

 

Il est également encore temps de prendre toutes les mesures allant dans le sens d’une harmonisation des droits entre titulaires et non titulaires. Le droit à la formation est de ce point de vue primordial pour les non titulaires. Il s'agit d’une part de leur permettre une prise de poste dans de bonnes conditions et d’autre part de les accompagner au mieux dans les préparations de concours parfois prévues dans les contrats. Dans le cadre des discussions ouvertes sur la mise en œuvre d’un Compte personnel de formation dans la Fonction Publique, il est possible et souhaitable d’abonder plus particulièrement et dès la première année, les droits des agents non titulaires. L’accès aux dispositifs de l’action sociale doit lui aussi être amélioré.

 

Enfin, rien ne se fera sans une politique de recrutement ambitieuse et respectueuse du cadre réglementaire, entre autres par les collectivités locales. Cela passe en particulier par des pré-recrutements. L’absence de viviers est en effet un des facteurs explicatifs du recours toujours plus important aux personnels non titulaires. Nous demandons des discussions sur ce point afin d'envisager les recrutements nécessaires à la Fonction publique.

 

Je vous prie de croire, Monsieur le Premier Ministre, en l’expression de mes salutations respectueuses.

 

Bernadette Groison

Secrétaire Générale

 

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Annexe : compte rendu des audiences accordées par les différents ministères

 

L’audience au Ministère de la Fonction Publique a permis de mettre en lumière les pratiques des différents ministères et des collectivités territoriales.

Depuis de nombreuses années, nous dénonçons les abus des employeurs publics concernant les recours aux agents non titulaires dont une grande partie des contrats ne respecte pas la réglementation en vigueur dont ils ont pourtant la responsabilité de la faire appliquer. En particulier, le maintien d’une période d’essai en cas de renouvellement des contrats demeure une pratique très répandue alors même qu’elle a été rendue impossible par la loi. Il en va de même pour les vacations qui ont été, heureusement, abolies dans l’Education Nationale mais qui demeurent une pratique dans certaines administrations.

La question des rémunérations est majeure. La possibilité d'établir une grille a été ouverte par la loi de novembre 2014, elle est en cours d’application à l’Education Nationale mais toujours pas finalisée ailleurs. Pour la FSU, les personnels doivent percevoir au moins le pied de grille du fonctionnaire remplacé et avoir des perspectives de revalorisation tous les trois ans. La FSU dénonce le minimum Fonction Publique à 309 points d’indice, inchangé depuis 2013, qui correspond à un salaire inférieur au SMIC et nécessite le versement d’une indemnité différentielle. Nous vous rappelons que, dans la Fonction publique territoriale, 76% des agents relèvent de la catégorie C (dont plus de 50% d’entre eux des échelles 3 et 4 : indices de recrutement proches du SMIC). Le salaire moyen est le plus faible en France, inférieur même au secteur privé. On y compte par ailleurs 66% de femmes parmi les non titulaires contre 40% parmi les titulaires.

 

 

 

Certaines pratiques, certes légales, interrogent sur les objectifs de l’Administration. Comment accepter que des collègues, dans des ministères comme dans certaines collectivités territoriales, voient leur contrat interrompu quelques jours seulement avant de cumuler les 6 années ouvrant droit à la cdisation ? Comment accepter que l’Administration ne fournisse toujours pas aux agents l’état régulier de leurs services ? Pourquoi les CCP ne sont-elles pas réunies et consultées sur les affectations des agents contractuels, sur les non renouvellements de CDD ainsi que sur l’examen des ayant-droits au CDI ?

Dans la Fonction publique territoriale, la nécessité d’un encadrement strict des actes d’engagement par un renforcement du contrôle de légalité des préfectures, nous parait indispensable.

De plus, trop d’emplois permanents sont encore occupés par des contractuels sans que le processus de sélection professionnelle ne soit enclenché. Contractuel sur emploi permanent, saisonnier « Vivaldi » (employés « les 4 saisons »), agent sur vacance d’emploi non déclarée, faux vacataire, assistante maternelle ou familiale, « emploi aidé », CDI… Précaires parmi les précaires, 52% des agents non titulaires sont à temps non complet (temps partiel imposé salaire mensuel inférieur à 1000€), contre 13% des titulaires. À chacun de ces « statuts » correspondent autant de situations différentes. La précarité constitue un outil, pour de trop nombreux employeurs territoriaux, d’individualisation, d’isolement des agents dans une période où le chantage à l’emploi pèse lourdement sur les salariés. Parmi les non-titulaires, la part des femmes est de 69%, contre 57% parmi les titulaires. Dans la plupart des filières, la proportion de femmes est un peu plus faible chez les non titulaires, mais elle est beaucoup plus importante dans les filières techniques et administratives où les effectifs sont, de loin, les plus nombreux... et les moins rémunérés.

Ces dernières années la précarité des emplois se traduit également par un rajeunissement constant de la pyramide des âges des non titulaires et un vieillissement de celle des titulaires. Pour les jeunes, l’entrée dans la fonction publique territoriale se fait donc de plus en plus par la précarité.

 

Dans l’Education Nationale, la précarité qui n’existait que dans quelques départements se développe dans le premier degré avec un nombre de contractuels bien supérieur au nombre de postes non pourvus au concours. Cela concernera cette année un département sur deux. La solution de recourir à la liste complémentaire, moins mauvaise solution que le recours à des contractuels, se fait difficilement malgré l’accord du ministère : les contractuels sont souvent embauchés à partir de la liste complémentaire mais sans perspective de formation ni de titularisation (sauf à repasser le concours, tâche compliquée en poste à plein temps dans une école). 

La question de l’accompagnement des élèves en situation de handicap interpelle particulièrement. Cette mission est indispensable au fonctionnement du système éducatif. Elle doit donc être reconnue par la création d’un nouveau corps de fonctionnaires d’accompagnants à la scolarisation des élèves en situation de handicap. La création d’un statut de contractuel (AESH), même en CDI, est une réelle avancée mais ne peut suffire. Il est indispensable que ces emplois soient à temps complet, avec un niveau de recrutement qui permette une rémunération de catégorie B,  une formation et de réelles perspectives de carrière. Aujourd’hui leur rémunération est inférieure à 700 euros, parfois inférieure à 600€ quand ils sont titularisés au bout de 6 ans. Ces personnels sont les seuls à exercer en Education prioritaire sans percevoir une indemnité spécifique. Ils n’ont pas droit à une mobilité géographique et les conditions de renouvellement de contrat posent souvent problème. La grande majorité des accompagnants sont aujourd’hui sous CUI, appelés à être remplacés par des contrats d’AESH. L’annonce de la suppression progressive sur 5 ans de 56 000 contrats aidés, à raison de 11 200 contrats par an, et la création de 32 000 emplois d’AESH est une première reconnaissance de la précarité des contrats CUI et de la pertinence des revendications de la FSU pour des emplois pérennes mais elle est insuffisante. Le calendrier annoncé va laisser près de 30 000 personnes en CUI sur la touche. La FSU considère qu'il s'agit d'un gâchis d’expérience et de compétences acquises au détriment des élèves accompagnés, des écoles et des personnels.

Nous attirons également l'attention sur les personnels d’aide à la direction dont la mission est indispensable au bon fonctionnement des écoles qui sont également sous CUI. Arrivés en fin de contrat, ils se retrouvent au chômage tandis que d’autres personnels sont embauchés.

Par ailleurs, la FSU rappelle sa revendication du rétablissement d’un statut d’étudiant-surveillant amélioré. Le recrutement actuel d’assistants d’éducation (AED) ne permet pas aux collègues ainsi recrutés de poursuivre leurs études dans de bonnes conditions tout en accomplissant leur mission.

 

A la Justice, la question de la création d’un corps de psychologue devient une urgence d’autant plus grande que ces personnels, actuellement employés en tant que contractuels dans des conditions de rémunération très faibles par rapport à leurs qualifications, accomplissent des missions qui se sont encore complexifiées (travail auprès de populations « radicalisées » entre autres). Par ailleurs, à la PJJ l’annonce par la direction de l’extinction du corps des professeurs techniques, laisse dans le désarroi les contractuels qui n’ont aucune information sur leurs devenirs. De plus, la précarité massive dans cette direction du ministère de la justice (avec plus de 1400 ETP en 2015) et l’absence de plan de titularisation pour ces agents, menace la continuité du fonctionnement des services éducatifs et administratifs.

 

Dans l'Enseignement agricole, les trois quart des agents contractuels sont des agents sur budget d'établissement dans les centres de formation d'apprentis, centres de formation adulte et écoles de l'enseignement supérieur. Les règles de gestion, les conditions de travail et de rémunération sont donc définies localement, avec des différences d'un centre à l'autre considérables. La FSU demande que ces règles de gestion soient harmonisées à partir d'un texte réglementaire qui les encadre.

En formation initiale, la FSU demande à ce que les postes prévus à la dé-précarisation (plan Sauvadet) en 2017 soient doublés pour tenir compte de l'absence de concours réservés en 2016.

Dans l'Agriculture et notamment en ce qui concerne les services vétérinaires (abattoirs), la FSU demande la possibilité dérogatoire de prolonger l'emploi de contractuels au-delà de 2 ans, afin de leur permettre d'accéder à la titularisation et, a minima, de prévoir autant de postes au concours qu'il y a de contractuels à titulariser.

 

Toutes ces raisons nous poussent à demander au gouvernement de revenir sur un plan de titularisation et à demander l’écriture d’une circulaire Fonction Publique qui reprendrait et cadrerait les diverses situations afin d'éviter toutes dérives pour celles et ceux qui sont actuellement contractuels.