Déposer des recours contre le passage abusif au distanciel dans l’enseignement supérieur

Publié le : 20/03/2023

19 mars 2023

 

Comment déposer des recours contre le passage abusif au distanciel dans l’enseignement supérieur

 

Le SNESUP-FSU dénonce l'utilisation d'enseignement et de travail à distance pour contourner la grève et réduire les effets des mobilisations sociales dans les établissements d'enseignement supérieur (cf communiqué du 28 février 2023). Les décisions de fermeture de bâtiments et les injonctions de responsables d'établissement, de  composante, de département de formation à passer les activités en "distanciel"  les jours de grève ou d'assemblées générales sont abusives. Pour contrer ces agissements le SNESUP-FSU a déposé le 4 mars dernier un recours juridique contre une décision de passage des cours en distanciel dans une composante de l'université Paris Est Créteil. Notre syndicat appelle les collègues et ses sections locales à s'opposer à ces pratiques, y compris par des recours en tribunal administratif. A cet effet nous donnons ci-dessous une trame argumentée pour un tel recours juridique.

 

Qui peut faire un recours ?   Deux conditions : être une personne et avoir intérêt à agir.

Un individu directement impacté par la décision (étudiant·es ou enseignant·es ayant basculé en distanciel) entre évidemment dans les deux conditions, mais c’est mieux lorsqu'un recours est porté par une personne morale, par exemple un syndicat de personnel ou d’étudiant·es, ou un groupe de personnes, par exemple d'élu·es de l'établissement. Pour le Snesup-FSU, seul le niveau national a la capacité d'agir en justice, les secrétaires de section locale peuvent contacter le secrétariat général à ce sujet; d'autres syndicats peuvent agir à un échelon plus local.

Selon la personne qui porte, on peut adapter un peu le texte: un syndicat étudiant pourra insister dans l'introduction sur l'importance des dégats psychologiques, des élu·es au CSA pourront insister sur le fait que l'instance n'a pas été consultée… Dans tous les cas, il faut systématiquement vérifier qui peut porter, sous risque d’irrecevabilité.

 

1. Un chapeau d’abord

 

Recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de la décision [date, auteur de la décision, fonctions] par laquelle les cours de la journée [du 7 mars 2023, par exemple] sont placés en distanciel

Pour :
Nom du syndicat requérant / de l’association / du ou des individus, représenté par [voir statuts du syndicat ou de l’association ou désigner un mandataire unique pour les individus]

Contre:
L’université [nom de l’université] prise en la personne de son président, dont le siège est [adresse].

Objet:
Demande tendant à l'annulation de la décision [date, auteur de la décision, fonctions] par laquelle les cours de la journée [du 7 mars 2023, par exemple] sont placés en distanciel

 

2. Quelques éléments de contexte, ensuite, juridiquement peu utiles, mais qui donnent un sens à la démarche

 

Depuis la pandémie du Covid-19 et la fermeture des établissements d'enseignement scolaire et universitaire, le recours à la pratique de l'enseignement à distance, couramment désigné sous le nom de «distanciel» (l'enseignement usuel se faisant, en miroir, rebaptiser «présentiel»), a explosé dans les établissements français d'enseignement supérieur. Cette explosion, aux conséquences gigantesques pour les étudiants comme pour les personnels des universités, s'est faite sans modification du cadre légal ou réglementaire, et sans aucun cadrage national de la part du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche ou d'une des institutions représentatives de la communauté universitaire.

 

Les justifications du recours, pour un ou plusieurs jours, et parfois pour plusieurs semaines, au «distanciel» sont aujourd'hui très nombreuses: pour limiter les frais de chauffage, comme à l'université de Strasbourg (février 2023); pour ne plus avoir à utiliser un bâtiment insalubre, comme à l'université Paris-Est Créteil avec le bâtiment La Pyramide (janvier et février 2023); pour prévenir tout risque d’occupation d'un bâtiment par des étudiants pendant un mouvement social, comme à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (février 2023); pour limiter les déplacements des étudiants les jours de grève des transports, comme ce fut le cas dans un très grand nombre d'universités françaises ces dernières semaines; ou encore pour mutualiser des cours sur plusieurs sites et pallier ainsi le manque d’enseignants disponibles.

 

Ce recours en très forte augmentation au «distanciel» se fait sur la foi de deux évidences qui n'en sont pourtant pas: premièrement, si un enseignement ne peut pas facilement être délivré en présentiel, alors, il pourrait être délivré en distanciel; deuxièmement, n'importe qui, qu'il s'agisse de l'enseignant, du responsable de la formation, du directeur de composante ou du président d'établissement, pourrait décider de ce passage en distanciel.

 

Ces prétendues évidences font que les décisions de basculer en distanciel sont souvent prises sans aucun formalisme, le plus souvent par un courriel adressé aux étudiants leur annonçant les modalités techniques pour se connecter au cours en ligne, sans que soit questionnée ni l'opportunité ni même la possibilité de procéder à cette bascule.

 

Il s'ensuit une multitude de décisions ponctuelles et locales, certes, mais qui, prises collectivement, dessinent depuis la sortie de la crise du covid-19 une mutation profonde de l'enseignement supérieur français, et ce, insistons sur ce point, sans être accompagnée d'aucune modification du cadre légal ou réglementaire.

 

C'est à ce titre que [l’exposant] a choisi d'attaquer la décision [décision attaquée].

 

3. Une description précise des faits, ensuite

 

[Par exemple, pour un recours concernant une consigne liée au 7 mars 2023] Le 7 mars 2023 se tiendra une nouvelle journée de grève dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites. Cette grève, à laquelle ont appelé aussi bien l'intersyndicale interprofessionnelle que les syndicats de l'enseignement supérieur et de la recherche, les syndicats du transport public et les organisations de jeunesse, s'annonce particulièrement massive.

En prévision de cette grève, [telle autorité] a envoyé, [à telle date], le courriel [puisque dans la plupart des cas, la bascule prend la forme d’un simple mail] suivant à [telles personnes] : [reproduire in extenso le mail].

[Caractériser ensuite le caractère décisoire de ce mail] Cette décision [de telle autorité] de basculer en distanciel [insister quand c'est possible, par exemple : sous le seul prétexte des possibles difficultés de déplacements engendrées par la grève du mardi 7 mars 2023] l'intégralité des cours de [formation, département, UFR, …] a beau être très faiblement formalisée, elle est verbalisée dans des termes indiscutablement impératifs, ne laisse à ses destinataires aucune solution alternative et se présente comme ayant force exécutoire. Les effets d'une telle décision sur les droits et les situations des étudiants et des personnels concernés sont évidemment notables [ajouter si possible des éléments : et ce, d'autant plus qu'en réalité, cette même autorité a multiplié, ces dernières semaines, les décisions du même type, toutes suivies d'effets: lister les dernières bascules en distanciel et faire le bilan du nombre de journées en distanciel pour pour les étudiant·es concerné·es, par exemple].

 

C'est cette décision par laquelle les enseignements sont placés en distanciel [tel jour] qui est attaquée. Cette décision, qui, pas plus que les décisions antérieures, ne mobilise aucun fondement juridique, est grossièrement illégale, en effet, pour les raisons qui suivent.

 

4. Le plus important : les moyens d'illégalité

 

Premier moyen d'illégalité: incompétence

Il ne fait aucun doute, d'abord, que [l’auteur de la décision] est incompétent pour prendre une décision réglementaire du type de celle qu'il a prise [à telle date]. Aucun texte, ni légal, ni réglementaire, ni au niveau national, ni au niveau local, ne lui confère un tel pouvoir - ni directement, ni même par délégation [c’est particulièrement simple à soutenir lorsqu’il s’agit par exemple d’un simple directeur de département]. Aucune disposition du code de l'éducation ne prévoit l'hypothèse d'une telle décision, pas plus, a fortiori, que les statuts de [telle université] ou ceux de [telle UFR].

Deuxième moyen d'illégalité: violation des conditions du recours à l'enseignement à distance
En tout état de cause, il existe aujourd'hui un régime juridique de l'enseignement à distance, dont [l’auteur de la décision attaquée] semble tout ignorer. Ce régime est défini par plusieurs textes, dont le principal est l'article L. 611-8 du code de l’éducation, institué par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite loi Fioraso. Cet article dispose que : « Les établissements d’enseignement supérieur rendent disponibles, pour les formations dont les méthodes pédagogiques le permettent, leurs enseignements sous forme numérique, dans des conditions déterminées par leur conseil académique ou par l’organe en tenant lieu et conformes aux dispositions du code de la propriété intellectuelle. Cette mise à disposition peut se substituer aux enseignements dispensés en présence des étudiants afin d’offrir une formation d’enseignement supérieur à distance et tout au long de la vie. Ces enseignements peuvent conduire à la délivrance des diplômes d’enseignement supérieur dans des conditions de validation définies par décret. Une formation à l’utilisation des outils et des ressources numériques et à la compréhension des enjeux qui leur sont associés, adaptée aux spécificités du parcours suivi par l’étudiant, est dispensée dès l’entrée dans l’enseignement supérieur, dans la continuité des formations dispensées dans l’enseignement du second degré. Cette formation comporte une sensibilisation à l’impact environnemental des outils numériques ainsi qu’un volet relatif à la sobriété numérique. Les enseignements mis à disposition sous forme numérique par les établissements ont un statut équivalent aux enseignements dispensés en présence des étudiants selon des modalités qui sont précisées par voie réglementaire. A leur demande, les enseignants peuvent suivre une formation qui leur permet d’acquérir les compétences nécessaires à la mise à disposition de leurs enseignements sous forme numérique et les initie aux méthodes pédagogiques innovantes sollicitant l’usage des technologies de l’information et de la communication. Les modalités de mise en œuvre des trois premiers alinéas du présent article sont fixées par le contrat pluriannuel mentionné à l’article L. 711-1 »Cet article, qui régit l'ensemble de l’enseignement à distance, que ce soit sous la forme de MOOC (Massive Open Online Course), de formations à distance (comme il en existe depuis longtemps) ou de «distanciel», encadre étroitement les conditions dans lesquelles un tel enseignement peut être mis en place.

On note en particulier les points suivants : une formation doit être prévue pour les étudiants et les enseignants; l'enseignement à distance ne peut se faire que si les méthodes pédagogiques le permettent; surtout, les conditions doivent être déterminées par le Conseil académique de l'université; et enfin le contrat pluriannuel que l’établissement a conclu avec l'État doit préciser les conditions de la mise en œuvre de cet enseignement.

Aucune de ces conditions, qui ont pour but de s'assurer que la bascule en distanciel ne procède pas d'une décision prise par un individu seul, qu'il s'agisse d'un enseignant, d'un directeur de département, d'un directeur de composante ou du président d'université, n'a été respectée par la décision attaquée.

On note, en outre, que dans le cadre des diplômes nationaux (licence, licence professionnelle et master) [si c'est un diplôme national] des contraintes supplémentaires existent, ainsi que les prévoit le « cadre national des formations » établi par l'arrêté du 22 janvier 2014 fixant le cadre national des formations conduisant à la délivrance des diplômes nationaux de licence, de licence professionnelle et de master. Celui-ci précise en particulier, à l'article 6 : « Dans le cadre de la stratégie générale et de la politique des moyens de l’établissement arrêtées par le conseil d’administration, l’offre de formation ainsi que ses caractéristiques en termes de contenus, de structuration des parcours, de modalités de contrôle des connaissances et compétences et de dispositifs pédagogiques sont soumises à l’avis des conseils des composantes concernées et approuvées par l’instance de l’établissement qui a compétence en matière de formation. Ces caractéristiques sont transmises dans le cadre de la procédure nationale d’accréditation de l’établissement ». Ainsi, les dispositifs pédagogiques — et on ne peut pas douter que le distanciel en soit un ! — sont soumis à l’avis du conseil de la composante et doivent ensuite être approuvés par la Commission Formation et Vie Universitaire (CFVU).

 

Or, aucune de ces instances n'a été consultée s'agissant de [la décision attaquée], ni même s'agissant des conditions dans lesquelles [telle autorité]s'est cru autorisée à décider du passage en distanciel.

On note enfin que l'arrêté de 2014 encadre aussi l’utilisation du numérique entant que tel: son article 9 dispose ainsi que « l’usage du numérique doit permettre une pédagogie interactive entre étudiants et entre étudiants et équipes de formation » et doit favoriser « la personnalisation des parcours », de façon à ce que l'enseignement en distanciel représente une plus-value par rapport à l’enseignement en présentiel.

Pour résumer, le passage au distanciel n’est ni une compétence d’un enseignant, ni d’une quelconque autorité de l’université décidant seule, et qui pourrait être appliquée de manière arbitraire. Il ne peut y être recouru qu’en ce que cette bascule en distanciel apporte à l'enseignement, et uniquement après délibération de conseils collégiaux dans lesquels sont représentés les étudiants. Cela n'a pas été le cas pour la décision du [telle date], qui, de ce point de vue aussi, est donc illégale.

 

Troisième moyen d'illégalité: violation des conditions du recours au télétravail dans la fonction publique

La décision attaquée est également gravement illégale au point de vue du droit du télétravail, si tant est que [l’auteur de la décision] ait eu cette hypothèse en tête.

Le 13 juillet 2021, le ministère de la fonction publique et les organisations syndicales représentatives dans la fonction publique ont signé un « accord relatif à la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique » (JORF n°0079 du 3 avril 2022, texte n° 68), dans le cadre de l’article L. 430-1 du code général de la fonction publique et du décret n° 2016-151 du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature.

Le cadre général du télétravail est bien connu aujourd'hui:

  • il y a télétravail lorsque les fonctions qui auraient pu être exercées par un agent dans les locaux où il est affecté sont réalisées hors de ces locaux – que ce soit au domicile de cet agent, dans un autre lieu privé ou dans tout lieu à usage professionnel – en utilisant les technologies de l’information et de la communication.

  • le télétravail est subordonné à un certain nombre de principes, parmi lesquels le volontariat, l'alternance entre travail sur site et télétravail, et la réversibilité.

  • la mise en place du télétravail doit de plus, se faire dans le cadre d’un dialogue permanent et d’un accompagnement, en particulier sur l’impact sur les conditions de travail, l’équilibre de travail, la formation des agents,…

  • enfin, il est prévu des hypothèses spéciales dans lesquelles le télétravail peut être imposé, et l’accord-cadre de 2021 est particulièrement net sur ce point dans son point #13 : en cas de « circonstances exceptionnelles durables, notamment en cas de pandémie ou de catastrophe naturelle », les employeurs peuvent imposer le télétravail pour permettre de concilier la protection des agents et la continuité du service public et moyennant un dialogue social soutenu et des plans de continuité d’activité.

     

Ainsi, il est évident que [telle autorité] n'a pas respecté le cadre du télétravail: ce plan de télétravail n'est pas volontaire mais imposé, rien ne permet l'alternance entre travail sur site et télétravail (si toutes les activités passent à distance, comme il est prévu dans la décision attaquée), aucun dialogue social n'est prévu et les agents ne sont pas formés. Le caractère imposé de cette décision rend évident qu'elle méconnaît singulièrement la législation sur le télétravail.

On note par ailleurs qu'on ne saurait en aucun cas considérer que [tel motif invoqué au soutien de la décision attaquée, par exemple les possibles difficultés de déplacements engendrées par la grève du mardi 7 mars 2023 auxquelles se réfère telle autorité], entrent dans le champ du « télétravail en cas de circonstances exceptionnelles » prévu par le point 13 de l'accord du 13 juillet 2021. Certes, en cas « de circonstances exceptionnelles durables, notamment en cas de pandémie ou de catastrophe naturelle », une « organisation différente du travail » peut être « rendue nécessaire », de façon à « conduire les employeurs à imposer le télétravail pour permettre de concilier la protection des agents et la continuité du service public ». Mais il ne fait aucun doute qu'une grève des transports [dans le cas où c’est, par exemple, le motif invoqué], dont d'ailleurs on ne peut que présumer à ce jour qu'elle engendrera de possibles difficultés de déplacements, ne consiste pas une circonstance exceptionnelle durable, comme peut l'avoir été la pandémie du Covid-19.

On signalera au passage que l'accord sur le télétravail en cours de négociation dans le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche est encore plus clair sur ce point (article 12): « Pour permettre de concilier la continuité du service public et la protection des personnels, une organisation différente du travail peut être rendue nécessaire en cas de circonstances exceptionnelles perturbant durablement l’accès au service ou le travail sur site (pandémie, catastrophe naturelle,…), l’autorité administrative compétente peut déroger aux règles minimales de présence sur site et conduire à un travail imposé de cinq jours sur cinq en télétravail aux personnes équipées pour la pratique du télétravail. La grève ne peut être considérée comme une circonstance exceptionnelle autorisant l’employeur à imposer le télétravail ». Ainsi, aucune circonstance exceptionnelle ne venant perturber l'application régulière des normes — la grève n'en n'étant pas une —, le télétravail ne peut s'exercer que sous la forme du volontariat, ce qui n'est pas prévu par la décision de [l'autorité auteure de la décision].

Par ailleurs, dans le même accord sur le télétravail en cours de négociation, l'article 4 exclut du champ du télétravail les activités d'enseignement. En effet, au titre de l'accord interministériel, « [l]'éligibilité au télétravail se détermine par les activités exercées », ce qui suppose que certaines activités en soit exclues. La détermination des activités pouvant ou ne pouvant pas être télétravaillée ne peut pas être faite sans consultation des représentants des travailleurs, au titre de la participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions collectives de travail. Ainsi, en imposant le télétravail sans avoir consulté les représentants des travailleurs sur la nature télétravaillable de l'enseignement, l'accord interministériel ainsi que la Constitution sont violés.

Troisième moyen bis, le cas échéant: violation des conditions de fermeture des bâtiments en cas de désordre

La décision prise par la présidence de fermer les bâtiments pour menace de désordre, au titre de l'article R. 712-8 du code de l’éducation est manifestement disproportionnée et, de plus, n'entraîne elle non plus pas le passage des cours en distanciel. En effet, l’article R. 712-8 du code de l’éducation dispose que : « En cas de désordre ou de menace de désordre dans les enceintes et locaux définis à l’article R. 712-1, l’autorité responsable désignée à cet article en informe immédiatement le recteur chancelier. Dans les cas mentionnés au premier alinéa :1° La même autorité peut interdire à toute personne et, notamment, à des membres du personnel et à des usagers de l’établissement ou des autres services ou organismes qui y sont installés l’accès de ces enceintes et locaux. Cette interdiction ne peut être décidée pour une durée supérieure à trente jours.Toutefois, au cas où des poursuites disciplinaires ou judiciaires seraient engagées, elle peut être prolongée jusqu’à la décision définitive de la juridiction saisie.2° Elle peut suspendre des enseignements, quelle que soit la forme dans laquelle ils sont dispensés. Cette suspension ne peut être prononcée pour une durée excédant trente jours. Le recteur chancelier, le conseil académique et le conseil d’administration ainsi que les responsables des organismes ou services installés dans les locaux sont informés des décisions prises en application du présent article ».

[Insérer ici des justifications que les menaces de désordre ne sont que faibles: un blocage des locaux ou l'organisation d'une AG n'est pas un désordre mettant en danger les locaux.]

De plus, le 2° de l'article R. 712-1 ne permet que de suspendre les enseignements, et pas de les basculer sous une autre modalité. C'est bien une disposition à utiliser en dernier recours et pas un outil normal de l'ordre interne de l'établissement. De fait, la possibilité de basculer en distanciel n'est pas prévue par le code de l'éducation. En plus d'être disproportionnée, elle est donc illégale.

 

Quatrième moyen: l'atteinte à la liberté académique des étudiants, à leur droit à l’éducation et à leur droit à la santé

Il apparaît par ailleurs que la mise en œuvre du distanciel, par une décision gravement illégale de [telle autorité], constitue une atteinte directe à la liberté académique des étudiants, à leur droit à l’éducation et à leur droit à la santé. On rappellera d’abord que les étudiants sont membres de la communauté universitaire définie à l'article L.111-5 du code de l'éducation, et c'est dans le cadre de cette communauté qu'ils exercent leur droit à l'éducation et qu’ils bénéficient d’un pan de la liberté académique, manifesté par l’exercice, garanti par l’article L.811-1 du code de l’éducation, des libertés d’expression et de réunion des usagers du service public de l’enseignement supérieur» sur les campus.

Dans une ordonnance du 10 décembre 2020 (CE n° 447015), le juge des référés du Conseil d’État, saisi d'un référé-liberté contre contre la fermeture des universités par le décret du 29 octobre 2020 a repris à sans la démentir la formule des requérants selon laquelle « le droit à participer à des enseignements sur site constitue une composante essentielle du droit à l'éducation ». Il a estimé ensuite que si l’atteinte à ce droit à des enseignements sur site était exceptionnellement possible, c’était seulement sous réserve qu’un certain nombre de conditions soient réunies pour que l’on puisse considérer que « l’accès à l’enseignement supérieur » est effectivement assuré. Le juge avait alors notamment pris en considération une succession d’éléments qui ont leur importance dans la situation présente:

  • il a noté que «les enseignements dont le caractère pratique rend impossible de les effectuer à distance restent délivrés sur site et que les étudiants ne disposant pas de l’équipement ou de la connexion nécessaires au suivi des enseignements à distance bénéficient d’un accès prioritaire aux salles de travail équipées en matériel informatique ou permettant un accès à internet», ce qu'à aucun moment [l’autorité auteure de la décision attaquée] n'envisage ;

  • il a rappelé la nécessité de ne pas porter une atteinte disproportionnée à « l’exercice des libertés d’expression et de réunion des usagers du service public de l’enseignement supérieur », relevant du versant étudiant de la liberté académique ;

  • il a rappelé, par ailleurs, la nécessité de prendre en compte, dans la balance, « les effets psychologiques et sociaux d’un enseignement entièrement à distance sur les étudiants ».

On voit ici que le Conseil d'État a reconnu que le recours à des enseignements en distanciel mettait à l’épreuve le droit à l’éducation, le droit à la santé,ainsi que le versant étudiant de la liberté académique, qui supposent que toute atteinte qui serait portée à ces droits soit proportionnée, nécessaire et adaptée. Dès lors que le motif du passage en distanciel des enseignements [à telle date] est exclusivement tiré des [motifs avancés, par exemple les possibles difficultés de déplacements engendrées par la grève], le caractère disproportionné, inadapté et non nécessaire de la décision prise semble évident.

 

Pour terminer, on observera que la participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail, par leurs représentants, est une garantie constitutionnelle. Par analogie, les étudiants étant des travailleurs intellectuels, on peut imaginer que le tribunal administratif constate l’absence de toute participation des représentants étudiants à la détermination collective de leurs conditions d'étude par [telle autorité], et en déduise, à ce titre également, l’illégalité manifeste de la décision attaquée.

 

5. Et on conclut sur ce qu'on demande du juge

PAR CES MOTIFS, et tous autres à produire, déduire ou suppléer, au besoin d’office, l'exposant conclut à ce qu’ils plaise au Tribunal administratif compétent de :

- ANNULER la décision [description] par laquelle les cours de [telle journée, semaine, …] sont placés en distanciel.

 

Signature

 

[Reproduire la décision attaquée immédiatement après les conclusions]

 

 

6. Enfin, il est possible d’assortir le recours pour excès de pouvoir contre la consigne de bascule en distanciel d’un référé-suspension

Au titre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, il permet d’obtenir la suspension en urgence de cette même consigne le temps que le tribunal se prononce sur le recours pour excès de pouvoir. Il y a des conditions particulières à ce référé-suspension, puisqu’il faut en particulier établir « un doute sérieux » quant à la légalité de la décision et, ce qui est en réalité le plus difficile à démontrer, l’urgence à suspendre. Voici quelques éléments en ce sens, à compléter, adapter, renforcer.

La condition d'urgence que suppose le prononcé du référé suspension est remplie pour plusieurs raisons.

Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». Selon la jurisprudence du Conseil d’État, la condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée « préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » (V.CE, Sect., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, n°228815, Rec. p. 29).

Au sens de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, l’urgence s’analyse ainsi notamment en un préjudice, porté à la situation du requérant, qui doit être suffisamment grave et immédiat pour justifier que la décision prise à son encontre soit suspendue avant que le recours soit tranché au fond et que la décision produire des conséquences difficilement réversibles.

Il appartient ainsi au juge des référés « d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications apportées par le requérant, si les effets de l’acte en litige sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement au fond, l’exécution de la décision soit suspendue » (V. not. CE, 30 novembre 2001, SA Kerry, n° 233327, Rec. T.)

Dans ce cadre général, on notera d'abord que la décision administrative attaquée est non encore entièrement exécutée à ce jour, mais qu’elle le sera pleinement après [tel jour de bascule en distanciel], une fois que les enseignements auront effectivement été réalisés en distanciel. Il y a, de ce point de vue, une urgence particulière à intervenir, sur le terrain de la finalité de la procédure du référé-suspension.

Il est surtout certain que l'exécution de la décision [de telle date] — qui, rappelons-le à nouveau, vient s’ajouter à [précédentes bascules] — porte atteinte de manière grave et immédiate aux intérêts individuels et collectifs des étudiants, et cela se manifeste sur plusieurs pans à la fois, qui sont eux-mêmes accentués par la répétition, désormais manifeste, de ce recours au distanciel à toutes occasions et pour tout prétexte au sein [de telle composante/ telle université].

 

En premier lieu, les conséquences de l’enseignement en distanciel sur la santé mentale des étudiants sont aujourd’hui bien documentées. Quelques conclusions d’une étude de neuropsychologie sont par exemple restituées dans un article du site de vulgarisation scientifique The Conversation du 31 août 2021, sous un titre qui ne souffre pas l’ambiguïté, puisqu’il parle d’une véritable «catastrophe» des cours à distance : exacerbation de la sédentarité des jeunes,hausse forte des manifestations d'inattention et d'hyperactivité, baisse générale de concentration, et tout cela alors que les cours en ligne sont globalement jugés moins satisfaisants par les étudiants et favorisent la tricherie :https://theconversation.com/cours-a-distance-une-catastrophe-pour-les-etudiants-du-collegial-166526

Ce constat est tout particulièrement vrai pour les étudiants des premières années [si la décision attaquée vise les premières années]. Ainsi, une étude récente parue dans la revue Recherches en éducation – parmi de très nombreuses autres – pointe les difficultés spécifiques de ces très jeunes étudiants, qui souffrent particulièrement de l’absence d’interaction entre pairs, d’un fort sentiment d’isolement ou encore d’un sentiment d’augmentation du travail personnel induit par le distanciel : https://journals.openedition.org/ree/11180

On rappellera, par ailleurs, que la Conférence des présidents d’université (CPU) s’est alarmée à plusieurs reprises des conséquences éducatives, psychologiques et sanitaires sur les étudiants d’un recours répété aux enseignements à distance, par exemple au moment du deuxième confinement de l’automne 2021 (https://www.letudiant.fr/educpros/actualite/reconfinement-la-crainte-d-une-degradation-des-conditions-d-etudes-dans-le-superieur.html)

On ne saurait enfin ignorer, d’une façon plus générale, que les dernières années ont causé une grande augmentation des troubles dépressifs chez les 18-24 ans : ainsi, le baromètre santé de Santé Publique France montre un doublement des jeunes de cette tranche d’âge ayant connu un épisode dépressif entre 2011 et 2021, pour monter à 21% de jeunes (dont beaucoup sont étudiants) ayant des troubles dépressifs, contre 12,5% de l’ensemble de la population. Or, il ne fait guère de doute que le recours à l’enseignement en distanciel et sa banalisation progressive ont contribué directement à ce mal-être étudiant, et c’est pourquoi les enseignants d’université, en première ligne pour observer ces phénomènes,sont aujourd’hui très nombreux à être critiques à l'égard de ce dispositif technique d'enseignement, dont ils estiment, pour une grande part d’entre eux,qu'il représente un enseignement d'un type «dégradé» à tous les points de vue,pour eux comme pour les étudiants.

Les conséquences d'une nouvelle bascule en distanciel sont donc non pas théoriques, mais parfaitement directes et malheureusement tangibles.

 

En deuxième lieu, il est établi que nombre d'étudiants restent aujourd'hui encore dans l'impossibilité de suivre correctement des enseignements à distance,faute de disposer de l’équipement ou de la connexion nécessaires au suivi des enseignements à distance, ou d'un espace de travail adéquat et propice à l’écoute et à la réflexion dans le logement familial ou collectif. Or, aucune mesure spécifique en ce sens n’est d’ailleurs rappelée par [l'autorité auteure de la décision attaquée] dans la décision faisant l’objet du présent recours. En particulier, aucun accès prioritaire aux salles de travail équipées en matériel informatique ou permettant un accès à internet n’est proposé pour le [date de la bascule en distanciel], laissant les étudiants mal équipés ou vivant en collectivité proprement à l’abandon.

 

Enfin, si l'on procède à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce, ainsi que le fait systématiquement le juge du référé-suspension, on ne pourra que constater que l'intérêt qui s'attache à l'exécution effective de la décision contestée est objectivement très inférieur à l'intérêt qui incline à suspendre l'exécution de cette décision au regard de ses incidences concrètes sur le bien-être des étudiants, leur capacité à suivre les enseignements et la qualité même des enseignements prodigués et reçus, qui plus est après une répétition du recours au distanciel ces dernières semaines [si c’est le cas].

Autrement dit, des considérations supérieures justifient que, dans la pesée des intérêts que doit effectuer le juge des référés, ce dernier considère que l’urgence à suspendre la bascule en distanciel l’emporte, et de très loin, sur l’urgence à poursuivre l’exécution inchangée de la décision [de telle date], [et si c’est le cas, insister à nouveau sur la vacuité des motifs, par exemple : que seules des considérations proprement frivoles, et étrangères à tout intérêt public, de confort face aux possibles difficultés de déplacements engendrées par la grève justifient].