Enseignants-chercheurs, rien ne vous oblige à trier des dossiers de candidature en licence

Publié le : 14/02/2018

Vous êtes enseignant.e-chercheur.e
et ne souhaitez pas participer au tri des dossiers
des candidat.e.s à l'inscription en université.
Vous n'y êtes pas obligé.e !

Il existe encore en France un cadre légal et réglementaire définissant les droits et obligations des agents de la fonction publique, dont il faut exiger le respect.

Inversion de la charge de la preuve

Si « on » cherche à faire pression sur vous pour vous obliger participer au « tri sélectif des bacheliers » (au motif de « prendre votre part du travail qui incombe à tous »), un bon conseil : inversez la charge de la preuve, et demandez le fondement juridique de cette exigence. « On » devrait rapidement renoncer à cela, modulo quelques imprécations, pressions morales, ou même menaces éventuelles qui ne doivent pas vous effrayer, car vous êtes dans votre droit. Voici un bref rappel de ce qui relève de vos obligations, et de ce qui n'en relève pas.

Droits et obligations de service

Les droits et obligations de service des enseignant.e.s-chercheur.e.s (EC), sont définis par le décret 84-431 fixant leurs statuts (articles 6 et 7). Ce texte définit ainsi leur temps de travail de référence (sur la base théorique de 1607 heures par an) :

- pour moitié, par des services d'enseignement équivalents à 192 heures de TD (incluant la préparation et le contrôle des connaissances y afférents) ;

- pour moitié, par une activité de recherche.

Tri non prévu dans les principes généraux de répartition des services

Les EC peuvent assurer d'autres activités dans le cadre de leurs missions indiquées dans l'article 3 du décret. Cependant ces activités doivent avoir été prises en compte dans les principes généraux de répartition des services entre les différentes fonctions des EC définis préalablement par le conseil d'administration de l'université (article 7). Ainsi, avant d'obéir aux injonctions de travail supplémentaire, demandez à voir la délibération du CA prévue par ces dispositions : il y a de fortes chances qu'elle n'existe simplement pas… Ces principes fixent également les équivalences horaires applicables à ces activités. Un arrêté du 31 juillet 2009 régit les fameux « référentiels d'équivalences horaires ».

Or, ni le référentiel national, ni le référentiel de l'établissement ne peuvent avoir prévu - et pour cause ! - une équivalence applicable au travail de tri des dossiers de candidature à l'inscription en licence.

Pour intégrer cette activité, l'université doit, par une décision du conseil d'administration, précédée d'une consultation du comité technique, modifier le référentiel d'équivalences horaires existant.

Faire valoir son tableau de service

A supposer qu'elle le fasse dans les conditions réglementaires, votre attribution de service pour l'année universitaire en cours, que le chef d'établissement doit prendre par arrêté individuel en début d'année et après la délibération du CA visée à l'article 3 du décret, ne comporte évidemment pas non plus cette tâche de tri des dossiers. En outre, les fonctionnaires ne sont pas tenu d'accepter du travail supplémentaire, jamais obligatoire.

Parce qu'on n'est jamais trop prudent, s'il ne vous a pas été demandé de le signer en début d'année universitaire, et si la gestion des services d'enseignement se fait à l'aide d'une plate-forme informatique, éditez votre tableau de service annuel prévisionnel en guise de preuve que vous n'avez pas de temps de travail prévu pour le tri des dossiers...

Non, le ou la président.e n'a pas tous les pouvoirs

Même si le 4°) de l'article L712-2 du code de l'éducation donne au président ou la présidente d'université l'autorité sur l'ensemble des personnels, cette autorité ne peut s'exercer que dans le cadre législatif et réglementaire en vigueur. Elle ne lui permet aucunement d'ajouter à votre tableau de service annuel des tâches qui n'en relèvent pas, sans respect de surcroît de la procédure de définition de vos attributions de service… En outre, votre statut d'EC vous octroie une indépendance, qualifiée de principe de niveau constitutionnel par le Conseil constitutionnel, qui implique que les EC n'ont aucun supérieur hiérarchique : le/la ministre elle/lui-même ne peut leur donner aucun ordre.

Réquisition d’un fonctionnaire à usage très limité

Et si jamais « on » vous parle de réquisition des fonctionnaires en cas de circonstances exceptionnelles, sachez que celle-ci se limite à des cas de grève portant gravement atteinte à la continuité du service public ou aux besoins de la population, lors desquelles certains agents peuvent être réquisitionnés. La réquisition peut être décidée par les ministres, les préfets ou les directeurs des structures répondant à un besoin essentiel. Elle doit être motivée et peut faire l'objet d'un recours devant le juge administratif (https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F499). Dans le cas d'un simple refus d'effectuer une tâche non prévue par votre tableau de service prévisionnel, elle n'est donc pas possible.

 

Enfin, rappelons les dispositions de l’article 28 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 relative au statut général de la fonction publique : « Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. »

La légalité de l’arrêté Parcoursup fait actuellement l’objet d’une saisine, en référé-suspension, du Conseil d’État : si le Conseil d'État a rejeté la requête en référé, au motif qu’il existe un intérêt public à ce que l‘arrêté du 19 janvier 2018 ne soit pas suspendu et que cet intérêt excède les inconvénients pointés par les requérants, il ne s’est pas prononcé sur le fond, à savoir la légalité de cet arrêté.
 

Rappel des textes réglementaires

Article 3 du décret 84-431

Les enseignants-chercheurs participent à l'élaboration, par leur recherche, et assurent la transmission, par leur enseignement, des connaissances au titre de la formation initiale et continue incluant, le cas échéant, l'utilisation des technologies de l'information et de la communication. Ils assurent la direction, le conseil, le tutorat et l'orientation des étudiants et contribuent à leur insertion professionnelle. Ils organisent leurs enseignements au sein d'équipes pédagogiques dans tous les cursus universitaires et en liaison avec les milieux professionnels. Ils établissent à cet effet une coopération avec les entreprises publiques ou privées.

Ils concourent à la formation des maîtres et à la formation tout au long de la vie.

Ils ont également pour mission le développement, l'expertise et la coordination de la recherche fondamentale, appliquée, pédagogique ou technologique ainsi que la valorisation de ses résultats. Ils participent au développement scientifique et technologique en liaison avec les grands organismes de recherche et avec les secteurs sociaux et économiques concernés. Ils contribuent à la coopération entre la recherche universitaire, la recherche industrielle et l'ensemble des secteurs de production.

Ils participent aux jurys d'examen et de concours.

Ils contribuent au dialogue entre sciences et sociétés, notamment par la diffusion de la culture et de l'information scientifique et technique. Ils peuvent concourir à la conservation et l'enrichissement des collections et archives confiées aux établissements et peuvent être chargés d'activités documentaires.

Ils contribuent au sein de la communauté scientifique et culturelle internationale à la transmission des connaissances et à la formation à la recherche et par la recherche. Ils contribuent également au progrès de la recherche internationale. Ils peuvent se voir confier des missions de coopération internationale.

Ils concourent à la vie collective des établissements et participent aux conseils et instances prévus par le code de l'éducation et le code de la recherche ou par les statuts des établissements.

Article 6 du décret 84-431

Les obligations de service des enseignants chercheurs sont celles définies par la réglementation applicable à l'ensemble de la fonction publique.

Article 7 du décret 84-431

Les fonctions des enseignants, chercheurs s'exercent dans les domaines énumérés aux articles L. 123-3 et L. 952-3 du code de l'éducation et L. 112-1 du code de la recherche.

Le temps de travail de référence, correspondant au temps de travail arrêté dans la fonction publique, est constitué pour les enseignants-chercheurs :

1° Pour moitié, par les services d'enseignement déterminés par rapport à une durée annuelle de référence égale à 128 heures de cours ou 192 heures de travaux dirigés ou pratiques ou toute combinaison équivalente en formation initiale, continue ou à distance. Ces services d'enseignement s'accompagnent de la préparation et du contrôle des connaissances y afférents. Ils sont pris en compte pour le suivi de carrière réalisé dans les conditions prévues à l'article 18-1 du présent décret ;

2° Pour moitié, par une activité de recherche prise en compte pour le suivi de carrière réalisé dans les conditions prévues à l'article 18-1 du présent décret. Lorsqu'ils accomplissent des enseignements complémentaires au-delà de leur temps de travail tel qu'il est défini au présent article, les enseignants-chercheurs perçoivent une rémunération complémentaire dans les conditions prévues par décret.

II.-Dans l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur, dans le respect des dispositions de l'article L. 952-4 du code de éducation et compte tenu des priorités scientifiques et pédagogiques, le conseil d'administration en formation restreinte ou l'organe en tenant lieu définit les principes généraux de répartition des services entre les différentes fonctions des enseignants-chercheurs telles que mentionnées aux articles L. 123-3 et L. 952-3 du code de l'éducation et L. 112-1 du code de la recherche. Il fixe également les équivalences horaires applicables à chacune des activités correspondant à ces fonctions, ainsi que leurs modalités pratiques de décompte.

Ces équivalences horaires font l'objet d'un référentiel national approuvé par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur.

III.-Dans le respect des principes généraux de répartition des services définis par le conseil d'administration en formation restreinte ou par l'organe en tenant lieu, le président ou le directeur de l'établissement arrête les décisions individuelles d'attribution de services des enseignants-chercheurs dans l'intérêt du service, après avis motivé, du directeur de l'unité de recherche de rattachement et du directeur de la composante formulé après consultation du conseil de la composante, réuni en formation restreinte aux enseignants.

Ces décisions prennent en considération l'ensemble des activités des enseignants-chercheurs. […]

Le tableau de service de chaque enseignant-chercheur lui est transmis en début d'année universitaire et peut être adapté pour chaque semestre d'enseignement. […]

Deuxième alinéa de l'article L952-6 du code de l'éducation

L'examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l'affectation et à la carrière de ces personnels relève, dans chacun des organes compétents, des seuls représentants des enseignants-chercheurs et personnels assimilés d'un rang au moins égal à celui postulé par l'intéressé s'il s'agit de son recrutement et d'un rang au moins égal à celui détenu par l'intéressé s'il s'agit de son affectation ou du déroulement de sa carrière. Toutefois, les statuts particuliers des corps d'enseignants-chercheurs peuvent prévoir, dans les organes compétents en matière de recrutement, la participation d'enseignants associés à temps plein de rang au moins égal à celui qui est postulé par l'intéressé ainsi que d'universitaires ou chercheurs étrangers.

Article L954-4 du code de l'éducation

La répartition des fonctions d'enseignement et des activités de recherche au sein d'un même établissement fait l'objet d'une révision périodique. Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs ont compétence exclusive pour effectuer cette répartition.

 

Jurisprudences sur l'absence de supérieur hiérarchique pour les enseignants-chercheurs

Conseil constitutionnel : 20/01/1984 N° 83-165 DC, 28/07/1993 N°93-322 DC, 6/08/2010 N°2010-20/21 QPC, 24/04/2015 N°2015-465 QPC

Conseil d’État : 4/10/1995 N°133572, 18/02/1998 N° 185553,

Conseil d'État: 2 mars 1988, n° 61165, 61472 : le président est en position de compétence liée vis-à-vis des propositions du conseil d'administration :

Considérant que l'article 33 de la loi °n 68-978 du 12 novembre 1968 dispose que les professeurs, maîtres de conférences et maîtres assistants ont "compétence exclusive" pour effectuer la répartition des fonctions d'enseignement et des activités de recherche au sein d'un même établissement ; qu'aux termes de l'article 55 de la loi du 26 janvier 1984 définissant les fonctions des enseignants-chercheurs : "les professeurs ont la responsabilité principale de la préparation des programmes, de l'orientation des étudiants, de la coordination des équipes pédagogiques. Un décret en Conseil d'Etat précise les droits et obligations des enseignants-chercheurs, notamment les modalités de leur présence dans l'établissement " et qu'aux termes de l'article 57 : "les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions de la présente loi les principes de tolérance et d'objectivité" ; qu'il ressort de ces dispsitions législatives combinées que les modalités de répartition des fonctions d'enseignement dans le respect de l'indépendance des personnels intéressés devaient être fixées dans leur statut par décret en Conseil d'Etat ; que, si l'alinéa 4 de l'article 7 du décret attaqué dipose pour sa part que : "la répartition de services d'enseignement dans un établissement est arrêtée chaque année par le président ou le directeur de celui-ci", la répartition dont s'agit est opérée "sur proposition du conseil d'administration en formation restreinte aux seuls enseignants-chercheurs et assimilés" ; qu'en outre le président ou le directeur de l'établissement n'a pas le pouvoir de modifier la proposition qui lui est ainsi faite par les représentants des enseignants-chercheurs, dont l'indépendance, s'agissant de la répartition des enseignements, est dès lors respectée ;