Hommage à Michel GROSMANN

Publié le : 03/04/2023

 

HOMMAGE A MICHEL GROSMANN 

 


 

Hommage d' Olivier GEBUHRER :

Michel avait au moins trois caractéristiques : son humour, sa générosité et son goût pour la sauce au chocolat. 

Ce fut un militant et un être humain hors du commun. Le conformisme l’énervait, mais on ne pouvait pas parler de lui comme « anticonformiste », ç'eût été très réducteur. 
En revanche, si les personnages falots nantis de médailles qu’il avait provoqués à plus d’une occasion, lui avaient cherché noise et cru par exemple l’embarrasser en lui demandant la taille du ciel, on le voyait parfaitement répondre goguenard : « 4 Toises et si vous ne me croyez pas, montez -y ». 

De Paris, on jugeait très mal les choses après Mai 68 : quiconque pensait que ce mouvement avait touché également la France entière se trompait. 
À Strasbourg, hors de quelques mouvements sporadiques dans le secteur Lettres, le secteur des Sciences était passé à côté ; Mai 68 était le symbole même du « désordre ». 

Le secteur des « Sciences Juridiques » restait la propriété absolue de la Droite la plus violente. Cela dit, des changements considérables dans l’Enseignement Supérieur étaient en marche, c’était irrépressible dans tout le monde occidental : faire face à des besoins explosifs en toute discipline nécessitait des recrutements de masse et Strasbourg n’y échappa pas. 

Michel se rendit compte très vite du potentiel de ces jeunes recrutements, avides de se lancer dans l’aventure scientifique, mais totalement dépourvus de toute idée relative à leurs droits et garanties. À dire vrai, dans nombre d’établissements anciens et nouveaux, ces garanties pour les nouveaux et nouvelles recrues n’existaient pas. Le principe était celui du marché aux bestiaux. Quand les nouveaux recruté-es avaient servi trois ans, on préparait une charrette, la question étant de savoir qui y passerait. Cette façon de faire permettait soi-disant de renouveler en permanence le cheptel. 

Le SNESUP existait à Strasbourg, au moins sur le papier : les réunions ressemblaient davantage à des « Thés », conversations sans portée ne rassemblant que quelques personnages plus occupés à contrôler les dérapages éventuels qu’à autre chose. Grâce notamment aux capacités organisatrices de Michel, le SNESUP local changea en quelques semaines du tout au tout, passant d’une petite vingtaine d’adhérents à plus de 150. Le phénomène fut particulièrement sensible en Mathématiques, mais toucha toutes les disciplines scientifiques, l’étendue du campus scientifique limitant les possibilités d’adhésions nouvelles. 

Michel fut celui qui révéla le scandale : on l’a dit, les nouvelles recrues ne se rendaient pas compte au début de leur position précaire, mais la pression psychologique montait d’année en année. Le scandale rendu public était constitué d’une importante réserve de postes permanents au statut de la Fonction Publique de l’époque. 

La précarité des nouvelles recrues ne se justifiait à aucun degré. Une bataille sans merci s’engagea alors utilisant tous les moyens démocratiques et se conclut par un vote surveillé de près : ce vote fut sans appel et la victoire totale, éclatante. 

Ce phénomène, indépendamment des modalités de la lutte, se déroula partout, et il est douteux que sans lui, on eût pu engranger un pareil succès, mais on doit essentiellement à Michel de l’avoir permis à Strasbourg.

La période était propice ; le SNESUP devenu organisation syndicale majoritaire dans le supérieur enchaina les succès. Aucun gouvernement de ces années 70, ne réussit à faire passer la moindre contre-réforme significative .1981 changea tout. 

D'importants débats se firent jour à la direction du SNESUP. Ces débats étaient souvent heurtés. On ne les décrira pas. Michel n’avait aucun goût pour les polémiques : il pressentait qu’elles conduiraient à un affaiblissement significatif, qui se produisit en effet, moins sous l’effet des polémiques internes que du fait de l’ombre portée par l’idée d’un gouvernement de gauche qu’il ne fallait pas mettre en péril. Cette période des années 80 furent celles du recul de la présence syndicale dans tous les secteurs professionnels.

En même temps, d’importantes transformations du paysage syndical virent le jour, la première d’entre elles fut l’explosion de la FEN en 1990, suivie en 1993 par la création de la FSU, création à laquelle le SNESUP contribua fortement : Michel s’y impliqua totalement à la fois au niveau national et local où il y fut une voix particulièrement écoutée. 

Cependant, il fallait vivre… Michel était imbattable dans l’obtention de ressources financières pour son Laboratoire d’Optique à la tête duquel il se trouva placé et ces fonds durement arrachés servaient en permanence à assurer l’activité débordante de son équipe. 
Il fut un des pionniers de l’Holographie. Il avait des collaborations scientifiques sur toute la planète, courant les Colloques et Congrès internationaux. Michel n’avait pas son pareil pour débusquer des thématiques importantes que le SNESUP pouvait sous-estimer. 

Ainsi, il s’investit puissamment dans les questions de santé au travail dans le supérieur, mais si la question était sous-estimée au SNESUP, elle était vraiment le cadet des soucis au gouvernement ; Michel réduisit une fois encore sa voilure en se consacrant aux questions du Handicap dans le supérieur. 

Il paraît que les cimetières sont remplis de gens irremplaçables, mais pour ce qui est de Michel Grosmann, il est permis de dire qu'au cours du demi-siècle, sans lui, le SNESUP aurait perdu une part de son âme. 

 

OLIVIER GEBUHRER