Le développement de l’enseignement supérieur privé en France

Publié le 2 juin 2024

Contribution d’Hervé Christofol, membre du bureau national du SNESUP-FSU (intervention à Rouen le mardi 16 avril 2024)

J’ai deux bonnes nouvelles, une national et l’autre locale

Le 6 mars dernier, les sénateurs se sont émus de la faible qualité des formations privés présentent sur la plateforme Parcoursup qui bénéficient pourtant d’importante subventions publics allouée via l’apprentissage. Les jeunes paient cher des formations privées pour se retrouver in fine peu formés… le comité d’éthique et scientifique de parcoursup avait en effet publié son 6e rapport quelques jours auparavant et 2 sénatrices venaient de finir de rédiger leur rapport sur l’enseignement privé lucratif.

Localement au dernier CA de l’université d’Angers nous avons dénoncé la convention avec les facultés libres de l’ouest qui usurpe le terme Université pour se faire appeler l’UCO et qui souhaitait poursuivre l’ouverture de ses licences avec accès santé (LAS) pour permettent notamment de préparer le concours d’accès en 2ème année des études en santé (Médecine, Pharma, Maïeutique, Odontologie,…).

Mais le fait est qu’en 10 ans, le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur privé a progressé de 63% (+295 000 entre 2012 et 2022) tandis qu’il ne progressait que de 3% dans l’ensemble de l’ES public (+218 000 sur la même période). Ils représentent 26% des étudiants en 2022 contre à peine 19% en 2012 et 20% en 2016. En 2022 ils étaient 769 000 étudiants à être inscrits dans des formations dans le privé et 2 168 000 inscrits dans l’ES public[1].

Sous la direction de Frédérique Vidal, ministre de l’ESR lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, les établissements privés ont connu une progression spectaculaire, dopée d’une part par des financements publics sans précédents, des réglementations et des dispositifs très favorables au privé et par une austérité imposée aux établissements publics.

Rappelons que tout cela a été planifié (car je fais le pari de l’intelligence de celles et ceux qui nous gouvernent). En effet le babyboom de l’an 2000 qui a vu naitre annuellement plus de 800000 enfants vivants (comme le précise l’INSEE) a duré de 2000 à 2014. Et donc les premières promotions sont arrivées dans l’enseignement supérieur en 2018. Il aurait donc fallut prévoir un développement du nombre de places pour les accueillir soit dans le service public car jusqu’alors les flux supplémentaires de bacheliers étaient principalement accueillis dans les formations non sélectives de l’université. Pour enrayer cette croissance et favoriser le développement de places dans l’ES privé plusieurs politiques conjointes ont été mis en œuvre :

Entre 2017 et 2023, les subventions de l’État aux établissements privés ont progressé de 20% quand celles accordées aux établissements publics ne progressaient, elles que de seulement 12% en euros courants (en euros constant c’est une baisse de 3,1% à laquelle nous avons fait face). Mais l’aide d’État la plus importante est indirecte et elle provient du financement accordé aux entreprises embauchant un apprenti. Avec 8000€ pour un apprenti majeur (6000€ depuis septembre 2023), c’est une manne financière considérable que les formations privées récupèrent. 83% des places en apprentissage déclarées en 2024 sur la plateforme d’affectation Parcoursup, le sont par des formations privées. C’est plus de 1 milliards d’euros de subventions indirectes qui sont ainsi accordées aux établissements privés, rien que pour la première année des formations postbac déclarées sur Parcoursup, très majoritairement en BTS mais également en “bachelor”, formations non reconnues. Rien qu’en BTS, le nombre d'apprentis est passé de 73000 en 2018 à 179000 en 2022 (+146% + 106000 c’est l’équivalent de 3 universités comme Rouen). La cour des comptes a déjà dénoncé cette gabegie d’argent public mis en place depuis la COVID avec le plan “1 jeune une solution” financé à hauteur de quinze milliards d’euros sans aucune régulation car la loi de Murielle Pénicaut de 2017 dite pour “choisir son avenir professionnel” a dérégulé le secteur notamment en permettant à n'importe qui de créer un CFA … Elle a d'ailleurs été récompensée de cette initiative quand elle a quitté de gouvernement car le groupe d’enseignement privé lucratif Galiléo Global Education l’a recrutée dans son conseil d’administration tandis qu’il embauchait également Marin Hirsch, ancien haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté dans le premier gouvernement Fillon et ancien directeur de l’APHP comme directeur exécutif et Guillaume Pépy, ancien PDG de la SNCF à la tête du conseil de surveillance de l’Ecole de management de Lyon, une école parmi les 61 établissements d’enseignement du groupe présent dans 18 pays … Rappelons que Murielle Pénicaud a été préalablement à la direction du Business France en charge de l'internationalisation de l'économie française. Rappelons également que la BPI a investi dans le groupe Galiléo Global Education parce que, de son point de vue, c’est un secteur d’avenir rentable, à soutenir pour développer des champions français. Ces faits ont notamment été relevé par le député

LFI, Henrick Davi dans son rapport de 2022 sur le PLF2023[2], « Le secteur privé hors contrat est aujourd’hui dominé par quatre groupes (Galileo Global Education, Omnes, Eureka et Ionis) dont trois sont pilotés par des fonds d’investissement internationaux dont la finalité est à but lucratif. La croissance démographique et la politique de soutien à l’apprentissage sont les leviers de la croissance de ces écoles privées, leur permettant d’élargir leur clientèle : les frais d’inscription, oscillant majoritairement entre 7 000 et 10 000 euros (mais pouvant s’élever, dans certains cas à plus de 50 000 euros), sont en effet pour partie pris en charge par les cotisations des entreprises et les aides de l’État. Parmi ces écoles, beaucoup se targuent d’être « reconnues par l’État », argument avancé pour convaincre les familles. Il s’agit le plus souvent d’une certification inscrite au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), visant un diplôme précis et non l’école dans sa globalité. Ces certifications sont délivrées par le ministère du Travail sur des critères de taux d’employabilité, et non de contenu pédagogique.

Certains de ces acteurs, connus pour être de vrais prédateurs à l’étranger, bénéficient par ailleurs des investissements de la Banque publique d’investissement (Bpifrance), ce qui conduit à s’interroger sur la stratégie de l’État en la matière. »

 

 

En parallèle de cette manne financière l’Etat déploie plusieurs dispositifs pour favoriser le développement de ES privé. Par exemple, Parcoursup que j’ai déjà évoqué, fonctionne en même temps comme une formidable vitrine pour une majorité des formations privées affichant une fiche RNCP (le Répertoire national des compétences professionnelles délivrée par le Ministère du Travail) et comme un repoussoir pour les autres formations privées qui choisissent de s’en distinguer en communiquant sur la simplicité de leur procédure de recrutement. Elles en profitent pour demander des frais de dossier ou de pré-inscription qui peuvent atteindre 1000€ et qui ne sont pas remboursables en cas de non inscription.

Relevons que jusqu’en 2023, ni la plateforme MonMaster, ni la plateforme Parcoursup, véritables vitrines pour le privé, n’affichaient les frais d’inscription des formations représentées. Or, ils peuvent atteindre 3000 € à 7 500 €/an en licence selon la situation de la famille, 3 500€ à 8000€/an en Bachelor et de 3 500 € à 8 000 €/an en Master dans le privé sous contrat comme c’est le cas dans les établissements catholiques des facultés libres de l’Ouest.

 

Et pour généraliser et banaliser cette marchandisation des études supérieures, le gouvernement précédents Vidal-Philippe a produit le 19 avril 2019 un arrêté qui augmente les frais de scolarité dans les établissements publics pour les étudiants étrangers non communautaires à hauteur de 2770€ en Licence et de 3770€ en Master dans les universités. Voilà qui rend plus aisé la perception de frais de scolarité pour cette partie de la population estudiantine dans les établissements privés. Comme les néolibéraux aiment bien vider les mots de leur sens, notamment pour compliquer le débat rhétorique, ils ont appelé cet arrêté “Bienvenu en France” …

Heureusement, jusqu’à ce jour la plupart des établissements publics nationaux ont refusé d’appliquer ces frais différenciés et perçoivent les mêmes frais pour tous les étudiants quelques soient leurs nationalités mais un décret leur impose de maintenir ces exonérations pour moins de 10% des étudiants inscrits. Ce taux étant atteint dans de plusieurs universités dont les universités de Lille, de Lorraine et de Cergy qui appliquent maintenant ces frais différenciés sauf en cas d’extrêmes difficultés socio-économiques.

 

Les principales caractéristiques de l’enseignement supérieur privé sont une vision à très court terme, avec la recherche d’une satisfaction de besoins perçus par certain.es professionnel.les et un adossement nul ou très faible à la recherche. 

Par ailleurs, l’ES privé construit un marché de la formation supérieure et instaure une concurrence nécessitant des frais de communication et de marketing considérables qui ne bénéficient ni aux étudiant.es, ni à leurs personnels ou des infrastructures d’exception, clinquantes telles que des learning center, des campus au mobilier design contemporain, des équipements sportifs hors normes …

 

Plusieurs dérives sont à relever suivant qu’il se veut élitiste ou bas de gamme, luxueux ou simplement mercantile : 

Les établissements élitistes et luxueux affichent un encadrement meilleur souvent que l’ESR public mais dont la qualité n’est pas garantie, avec un nombre d’EC dans les formations très réduit. Ils font payer des frais de scolarité très importants pour entretenir un environnement de travail luxueux, vitrine de l’établissement, pour recruter quelques enseignant.es ou chercheur.es mercenaires en les payant mieux que dans l’ESR public tout en imposant  à la majorité des enseignant.es des conditions de travail plus mauvaises que dans le secteur public – ce qui permet de diminuer le coût des formations (Les volumes horaires annuels enseignés y sont plus important et il n’est pas rare que de TD soit payés de façon dégressive quand ils sont dupliqués). Vis-à-vis des étudiants, ils sont plus sélectifs que l’ESR et cette sélection se traduit par une ségrégation sociale plus grande ; ils accueillent moins de boursiers et boursières. 

Et ces formations demandent et obtiennent de la part du MESRI, souvent contre l’avis du CNESER, la reconnaissance du grade de Licence ou de Master pour leurs formations post-bac.

Car comme le précise Jean-Michel Jolion, ancien conseiller de plusieurs ministres de l’enseignement, « le graal, c’est d’obtenir le grade de licence ou de Master » pour ces formations privées afin de garantir aux étudiants et à leurs familles une reconnaissance du diplôme par l’État qui atteste d’un niveau de qualification qui demeure la meilleure protection contre le chômage et qui permet une poursuite d’études dans le public ou à l’étranger …

 

Il existe également des établissements bas de gamme, mercantiles et souvent arnaqueurs, qui vendent l’accès à un pseudo diplôme (souvent uniquement une fiche RNCP délivrée par le ministère du travail qu’il affiche comme une reconnaissance de l’Etat). Ils proposent un encadrement très réduit, souvent en distanciel et généralement via des formations par apprentissage pour émarger aux aides publiques. Les conditions de travail des personnels y sont très dégradées. Les frais d’inscription sont plus importants que dans l’ESR public. Peu sélectif sinon sur des critères de solvabilité et d’embauche en apprentissage, ils ont, soit un taux d’échec et d’abandon important, soit un niveau de qualification à l’issue de la formation très faible qui ne garantit ni une insertion professionnelle satisfaisante, ni l’acquisition de compétences ou de connaissances reconnues.

 

 

Enfin dernier point du dispositif : affaiblir l’ESR public en lui imposant une austérité constante.

En 2022-2023, pour la première fois depuis plus de 13 ans, le nombre de places ouvertes en première année à L’université a baissé par rapport à l’année précédente. En effet, la croissance du nombre d’enseignants n’a pas suivi celle des étudiants et nous atteignons des taux d’encadrement que les responsables de formation ne souhaitent plus dégrader. En 15 ans nous avons accueilli 266000 étudiants supplémentaires (10 universités moyennes) et nous n’avons pas vu augmenter le nombre d’enseignants titulaires et contractuels.

Rappelons que Parcoursup laisse chaque année environ 100 000 jeunes sans affectation et qu’il manque également 50000 places en Master pour y accueillir et y faire réussir tous les diplômés de licence qui souhaitent élever leur qualification.

 

 

Comme je l’évoquai en introduction, la baisse de 3% du budget du programme 150 (enseignement supérieur et recherche universitaire) entre 2018 et 2024 correspond à une baisse du budget de 500M€ sur le périmètre de l’ES et de la Recherche universitaire et de 1 Md€ sur le périmètre du Ministère en incluant les ONR. Mais depuis 2009 et le passage des universités aux Responsabilités et Compétences élargie (RCE ou Acte 1 de l’autonomie) c’est à dire depuis que le ministère leur a demandé de payer elles-mêmes leurs agents à partir d’un budget global comprenant la masse salariale, les dépenses de fonctionnement et d’investissement, les économies réalisées en n’accompagnant pas la hausse du nb d’étudiants avec une hausse comparable du budget de l’ES qui globalement a stagné en euros constants sont de 15 Md€ cumulés sur la période 2009-2024

 

15Md€ depuis 2011 à raison de 1 Md€ par an en moyenne c’est ce qui a été distribué dans le cadre des appels à projet du PIA. Ainsi selon la stratégie de l’Iceberg, les gouvernements successifs ont appauvri tous les établissements et toutes les universités pour n’abonder qu’aux besoins d’une minorité afin de les faire progresser dans les classements internationaux et notamment qu’ils soient plus visibles de Shanghai.

 

Ainsi les établissements de la région Normandie alors qu’ils représentent 2,4% des chercheurs publics et qu’ils accueillent 4% des étudiants n’ont émargés qu’à 1,1% des fonds cumulés des  PIA 1, 2, 3, 4 et de France 2030.

Mais même au niveau des subventions de base, il y a de très fortes inégalités de dotation entre universités que ce soit au niveau de la Subvention pour charge de service public (SCSP) par étudiant ou au niveau du taux d’encadrement en agents pour 100 étudiants ou en nombre d’étudiants par enseignant.

à Rouen par exemple avec à ma connaissance un peu moins de 32000 étudiants vous avez 

  • 8,1 agents ETPT/100 étudiants de alors que la moyenne nationale des UPavS est de 11 ETPT/100 étud.
  • une SCSP prénotifié pour 2024 de 6337€/étud, alors que la moyenne nationale des UPavS est de 7706€/étud.
  • pour que vous puissiez atteindre cette moyenne il vous manque 904 emplois E EC BIATSS titulaires ou contractuels et 44 M€ de SCSP
  • mais si vous vouliez avoir le taux d’encadrement de Sorbonne Université ou de Paris Saclay, autres universités pluridisciplinaires avec un secteur santé,  il vous faudrait doubler le nombre d’agents (+2500 et voir votre SCSP progresser de 140M€. 

Soyons solidaire, pour amener toutes les universités sous-dotées au niveau de la dotation moyenne actuelle il faudrait investir 1 Md€ supplémentaire et recruter 11240 agents

ou bien soyons ambitieux, pour les amener toute au niveau de la meilleure dotation des établissements de leur catégorie il faudrait investir 5,7 Md€ et recruter 67500 agents

Cela fait partie des revendications du SNESUP-FSU et de l’intersyndicale de l’ESR.

 

Mais les règles budgétaires actuelle brident les équipes de direction. Par exemple à Rouen vous avez un ratio de masse salariale / Produits encaissables de 82% (le taux d’alerte est fixé par le MESR à 83% vous devez donc être assez proche de votre plafond d’emploi. Mais par exemple AMU est à 77%, UGA qui pourtant à un plan de retour à l’équilibre est à 75%, Sorbonne Université est à 74%, …

 

Ainsi depuis notamment 2018 et jusqu’en 2032 il nous est proposé de faire le gros dos, d’assumer l’austérité et de laisser l’enseignement privé prospéré au frais de nos concitoyens. Après, le nombre d’étudiants devrait baisser. Sauf qu’entre temps, les taux d’encadrement risques tout de même de s’effondrer à cause d’un autre phénomène qui n’est pas anticiper : les départs en retraite dans l’Enseignement supérieur public qui vont être massif au cours des dix prochaines années, particulièrement en science ! De plus vous savez ce quoi a servi ou du moins ce qu’a permis de faire l’acte 1 de l’autonomie, alors imaginez ce que nous prépare l’acte 2 appelé de ses vœux par le PR le 7 décembre dernier et lancé par la ministre il y a deux semaines de cela sur 9 sites « pilote » …

Mais cela nous emmènerait sur un autre débat.

Aussi je vous propose d’échanger maintenant sous une forme plus interactive d’intervention, questions réponses. Merci de votre attention.

 

[1] : “Les effectifs étudiants dans le supérieur en 2022-2023” Note d'information du SIES N° 11, DÉCEMBRE 2023

 

[2] : [M. Hendrik DAVI, Député, « Recherche et Enseignement supérieur – Enseignement supérieur et Vie étudiante », Rapport au nom de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de loi de finances pour 2023, tome VI, 22 octobre 2022, p.36

part du budget d la MIRES dans le budget de l'Etat

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