Le service public de l’ESR ne peut être fondé sur l’inégalité et l’arbitraire - Appel de la commission administrative du 10 février 2022 - Lettre flash n°47

Publié le : 10/02/2022

 

Le 13 janvier dernier Emmanuel Macron a pris la parole devant la Conférence des Présidents d’université (CPU), s’arrogeant désormais l'appellation de France Universités, pour afficher son projet pour l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Fin de la gratuité du service public de l’ESR, développement de filières courtes pour répondre aux besoins immédiats du monde du travail faisant fi de l’objectif du plus haut niveau de formation pour toute la jeunesse, promotion des méthodes de new public management aux dépens de la démocratie universitaire, etc. Le Président de la République a remis en cause sans complexe la “constitutive moelle” de l’université et ses fondements.  

 

L’agenda électoral pressant, le gouvernement accélère et fait peser une pression insoutenable sur les collègues en publiant en rafale les décrets d’application de la loi de programmation de la recherche. Par ailleurs, le gouvernement, qui a cédé sur la plateforme unique des masters, impose un calendrier harmonisé particulièrement tendu pour le rendu des inscriptions au master alors que toutes les organisations syndicales, dont le SNESUP-FSU, avaient dénoncé le caractère intenable de la mesure. 

 

Chaires de Professeur Junior : ne pas faire entrer le ver dans le fruit

 

Présentées comme une opportunité par des président·es qui jurent ne pas en vouloir, les chaires de professeur junior (CPJ) sont proposées aux établissements avec le but, à peine masqué, de mettre sous tutelle la recherche et de contourner le statut de MCF. Ces CPJ concentrent toutes les dérives de l’ESR que nous dénonçons sans relâche :  recrutement sans qualification, hors CNU et hors comité de sélection, de “talents” étrangers ou issus d’autres universités, mise en concurrence des établissements, déploiement d’un “mercato” universitaire, salaire équivalent à un MCF avec 10 ans d’ancienneté accompagné d’un budget de 200 000 euros dont au moins 60 % pour le recrutement de contractuel·les, service d’enseignement de seulement un tiers (64 h TD), etc. Le tout sous l'œil d’un·e référent·e scientifique s’assurant que la mission est bien remplie. Avec la titularisation dans le corps des PU après 3 à 6 ans, sans HDR ni qualification par le CNU, le gouvernement fait un pas de plus vers la destruction du statut des enseignant·es-chercheur·es et le contournement des règles de collégialité, le tout sans résorber la précarité. Le SNESUP-FSU demande à ce que les moyens affectés aux CPJ soient dédiés à la création de postes d’EC. Il appelle les conseils centraux élus (CA et CaC) et toutes les instances de composantes et de laboratoires à en débattre, à peser de tout leur poids pour refuser les CPJ et à ne pas céder au chantage.

 

Repyramidage : refuser le clientélisme et l’opacité

 

Le “repyramidage” transforme des postes de MCF en postes de professeur·es destinés à promouvoir des maîtres de conférences titulaires de l’HDR. Si on peut y voir l’opportunité pour certain·es collègues, bloqué·es depuis longtemps dans leur carrière, d’obtenir une juste reconnaissance du travail accompli, la mise en œuvre dessine un tout autre tableau où clientélisme et opacité se disputent le devant de la scène. Les avis du CaC restreint, du CNU et du comité d’audition étant seulement consultatifs, tout est aux mains des président·es d’université, du choix des disciplines concernées à l’inscription sur la liste d’aptitude de candidats dispensés de qualification par le CNU. Les président·es se changent aussi en DRH et participent aux comités d’audition réduits à 4 personnes.

 

Ce repyramidage ne résout pas le blocage persistant des carrières des maîtres de conférences - les contingents limités se heurtant au nombre important de promouvables - ni la ségrégation sexuée des corps et des écarts de salaires entre les femmes et les hommes. En effet, même dans l’hypothèse d’un effectif constant d’EC, ce sont 4000 promotions (et non 2000) qu’il faudrait pour atteindre l’objectif de 40 % de PU parmi les EC. Les femmes ne représentent à l’heure actuelle que 28 % des PU et près de 45 % des MCF. 

 

Pour éviter les dérives clientélistes, le SNESUP-FSU appelle ses sections et élu·es locaux·ales à peser pour que l’ensemble des procédures soient étudiées en Cac et en CT conformément aux compétences de ces instances.

 

Après “l’islamo-gauchisme”, le “wokisme”, un nouveau prétexte pour attaquer les libertés académiques

 

Cette attaque insidieuse des libertés académiques via les nouveaux dispositifs résonne avec celles perpétrées jusque dans l'hémicycle, dont la dernière a pris la forme d’un débat au Sénat sur de soi-disant menaces que ferait peser le “wokisme”, concept importé et par ailleurs non défini, sur l’Université, l’enseignement supérieur et les libertés académiques. Sous couvert d’une attaque d’une rare violence contre des pans entiers de recherche en sciences humaines et sociales, notamment celles qui s'attachent à déconstruire les mécanismes et systèmes de domination, c’est la liberté de l’ensemble de la recherche qui est attaquée. Le SNESUP-FSU rappelle que les libertés académiques ne sont pas optionnelles mais bien au fondement de la production des connaissances scientifiques et de la formation à l’esprit critique. Les propos nauséabonds et pleins de défiance vis-à-vis de la communauté universitaire, qui plus est venant de représentants et représentantes de l’État, mettent en péril la démocratie. Le SNESUP-FSU continuera à défendre toutes les instances élues, notamment le CNU et le CNESER, qui permettent de les préserver collectivement et de faire valoir le jugement des pairs au fondement de ces libertés académiques. Il rappelle son soutien sans faille aux élu·es et aux militant·es syndicaux/les qui font face à l'autoritarisme de certains président·es et de leurs équipes.