À propos de Parcoursup et de la loi ORE : Intervention d'Hervé Christofol - CNESER plénier Exceptionnel du 11 mars 2019

Publié le : 11/03/2019

 

À propos de Parcoursup et de la loi ORE

Intervention de Hervé Christofol, Secrétaire général du SNESUP-FSU, pour la FSU

 

Parcoursup et maintenant la hausse des droits d’inscription sont les solutions adoptées par le gouvernement pour équilibrer les budgets des établissements… le budget par étudiant est en baisse en France alors que l’activité des établissements progresse chaque année compte tenu à la fois de la démographie étudiante mais aussi sous les injonctions ministérielles et les regroupements bureaucratiques (on construit les PRES et on dissout les PRES, on construit des COMUE, et on dissout les COMUE, on fusionne, on se regroupe expérimentalement en même temps que l’on construit des coalitions au niveau européen, etc.). Ainsi les solutions proposées au CNESER aujourd’hui sont les suivantes :

  • hausse des droits d’inscription pour toutes les étudiantes et tous les étudiants, français et européens compris, dans les écoles d’ingénieurs publiques ce qui les rapproche des conditions d’accès des écoles d’ingénieurs privées ;

  • hausse des droits pour les étudiants étrangers afin de les amener à choisir de s’inscrire plus facilement dans les formations du secteur privé ;

  • Inscription de tous les établissements privés sur la plateforme publique Parcoursup au même titre et selon le même affichage que les formations publiques ; 

  • Est-ce que tout cela ne serait pas fait pour développer, non pas l’ESR public, mais plutôt l’enseignement supérieur privé ?

Le ministère organise la concurrence et accentue la dérèglementation et les dérogations qui conduisent à la marchandisation de l’enseignement supérieur et à une présence grandissante de l’enseignement privé. Pourtant, la nov’langue ministérielle s’emploie à longueur de discours à présenter les réformes du premier cycle comme des réformes sociales !

Ainsi la généralisation de la sélection de la loi « Orientation et réussite des étudiants (ORE) » et de sa plateforme Parcoursup auraient été mises en œuvre selon vous, Madame la ministre, « pour démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur ! ». La preuve de sa réussite, avancez-vous, est qu’il y a eu plus d’étudiant·es inscrit·es dans le supérieur à la rentrée 2018 qu’à celle de 2017 ! Certes ! mais n’oublions tout de même pas qu’il y avait également plus de bacheliers ! Et la plateforme Parcoursup a pourtant conduit 180 000 inscrit·es à l’abandonner. 40 000 d’entre elles et eux en ont été radié·es pour « inactivité » et 70 000 ont attendu jusqu’au dernier jour de la phase principale pour confirmer une inscription espérant probablement une meilleure affectation : voilà le premier bilan quantitatif que nous pouvons en tirer. Loin de l’analyse « hors sol » et résolument positive que les discours officiels nous présentent. De plus de nombreuses officines privées se sont lancé aussitôt sur le "marché de l'orientation" que vous avez su créer en faisant en sorte que l'État se désengage du service public de l'orientation. Tout le monde s'accorde aujourd'hui pour dire que le calendrier n'était pas bon et que Parcoursup est anxiogène et stressant.

Quant au bilan qualitatif, je commencerai par m’en remettre à l’avis du défenseur des droits dont la saisine portait sur l’absence de transparence dans le processus d’affectation des candidats dans les établissements ainsi que sur le caractère potentiellement discriminatoire de certains critères utilisés pour la sélection des candidats. Il a rendu sa décision le 18 janvier 2019. Rappelons également que le même défenseur des droits s’était autosaisi de la question de l’accompagnement des étudiants en situation de handicap au sujet de laquelle il a rendu sa décision le 21 décembre dernier :

  • il déplore n’avoir reçu que très peu de réponses à ses questions de la part des établissements et il ne peut en l’état certifier qu’il y ait eu « des procédures entièrement automatisées de traitement des candidatures » ;

  • cependant, il estime que « le secret des délibérations du jury ne doit pas s’opposer à l’information des candidats sur le contenu exact et la manière précise d’évaluation de leur candidature » et que par conséquent ces informations doivent être rendues publiques ;

  • Il s’inquiète des effets contre-productifs qui résulteraient de « la concentration des meilleurs candidats dans les établissements les plus réputés » et recommande pour l’éviter de « préserver la possibilité pour tous les candidats de pouvoir être affectés dans une formation proposée dans leur académie de résidence s’ils le souhaitent » ; Cela milite pour un service public proposant une offre diversifiée et de qualité sur l’ensemble du territoire et non pas seulement dans 20% des établissements dits d’excellence qui laissent sans ressources les 80 % restants ;

  • le risque le plus élevé de discrimination basée sur le lieu de résidence, apparaît lié à l’utilisation du lycée d’origine comme critère de sélection. Le défenseur des droits ayant constaté au moins un cas de recours effectif à ce critère précise qu’il ne saurait en aucun cas être utilisé ni pour promouvoir « ni pour rejeter des candidatures émanant de lycées considérés comme plus ou moins prestigieux que d’autres, ». Aussi recommande-t-il l’anonymisation des candidatures et l’homogénéisation des taux de boursiers afin de ne pas aggraver les inégalités « découlant de la situation économique des candidats et de leurs familles » ;

  • enfin concernant les bacheliers technologiques et professionnels, il recommande « de prendre les mesures nécessaires pour favoriser davantage leur accès dans les formations de leur choix. »

Nous nous félicitons de la qualité du travail effectué par le défenseur des droits et nous relevons encore quelques éléments consubstantiels au choix politique de généraliser la sélection en premier cycle :

  • comment distinguer autrement qu’à moins d’un millième de point des candidats, quand ils sont plusieurs milliers à demander une formation et qu’il s’agit de les classer sans ex-aequo à partir des notes et des documents renseignés sur la plateforme ? L’exercice est aussi peu scientifique que furieusement aléatoire puisque la précision des notes est au mieux d’un demi-point. En imposant ce classement, vous avez remplacé le tirage au sort par la loterie ou par ce qu’en science nous appelons du bruit ;

  • Quant au mérite, puisque c’est lui qui permet aujourd’hui de justifier la priorité du choix de leur orientation à celles et ceux qui ont le mieux réussi au lycée, il revient à reproduire les inégalités socio-culturelles malheureusement encore très corrélées à la réussite scolaire.

Tout cela pour ne pas répondre aux besoins par la seule solution acceptable : ouvrir suffisamment de places et investir à la hauteur de ces besoins. Lorsque l’enseignement supérieur n’était réservé qu’à une minorité socialement située, l’impôt était alors considéré comme le meilleur moyen de le financer. Maintenant que plus de 70 % d’une classe d’âge souhaite y accéder, il ne serait plus possible de le financer par ce prélèvement et il faudrait trouver d’autres ressources et en particulier faire contribuer les usagers en augmentant les frais d’inscription ? Nous ne pouvons que dénoncer le cynisme de cette logique.

C’est le sens des réponses qui sont apportées par les présents décrets et arrêtés. S’ils répondent partiellement à plusieurs de des demandes du défenseur des droits, ils le font en accentuant encore la pression et la responsabilité, non pas sur l’offre des établissements et la contribution de l’État au service public de l’ESR mais en individualisant et en responsabilisant toujours plus les bacheliers désormais considérés comme auto-entrepreneurs de leur formation et uniques responsables de leur situation :

  • dans le premier texte, les procédures de radiation des candidatures sont renforcées à charge au candidat d'être connecté en continu et de ne pas oublier de confirmer les vœux en attente et les vœux positifs sous peine de suppression de candidature. Ce sont encore les élèves de milieux modestes, les moins accompagnés qui seront les victimes de ces procédures. Rappelons que ces choix ne sont plus faits au printemps alors que les lycéens peuvent recourir aux conseils de leurs professeurs et des conseillers d’orientation, mais durant l’été alors qu’ils se retrouvent seuls avec leur famille ;

  • il n'y a plus la possibilité pour un candidat de s'inscrire dans la phase complémentaire au-delà de la date d'ouverture de cette phase ;

  • apparemment les établissements devront afficher les critères généraux d'examen des commissions d'examen des vœux alors que le défenseur des droits demandait la communication des critères précis ! Et nous relevons que les attendus ne sont donc plus, comme ils étaient présentés pudiquement l’année dernière, des éléments d’information pour l’orientation mais qu’ils sont bel et bien devenus des critères de sélection des candidatures comme nous l’avions dénoncé l’année dernière !

Le SNESUP-FSU continue à s’opposer à la généralisation de cette sélection qui ne vise qu’à contenir les flux d’étudiants, à ne pas donner aux établissements les moyens d’accueillir les étudiants qui y postulent et de les affecter là où il y a de la place plutôt que là où ils souhaitent étudier. Nous continuons à exiger que le service public de l’enseignement supérieur permette :

  • l’accès de toutes et tous à la filière de son choix ;

  • l’augmentation des capacités d’accueil à la hauteur des demandes des bacheliers ;

  • l’augmentation des moyens pour y faire face et permettre à toutes et tous d’y réussir ;

  • l’arrêt du recours au classement des candidatures qui stigmatise 50 % d’une génération et reproduit les inégalités scolaires et sociales ;

  • le positionnement « tous ex-aequo » de tous les bacheliers ;

  • l’offre d’enseignements de remédiation collectifs ouverts à toutes et tous et intégrés dans les maquettes de licence.

Actuellement, sur la période 2013-2015, seuls 38 % des enfants d’ouvriers et d’employés (qui représentent 55 % de notre population) accèdent à un diplôme de l’enseignement supérieur contre 74 % des enfants de cadres et de professions intermédiaires (qui ne représentent pourtant que 35 % de notre population). Nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation.

La démocratisation de l’enseignement supérieur passe par un meilleur accès et une plus grande réussite de toutes les classes sociales. Ce ne sont ni la sélection, ni l’augmentation des droits qui nous permettront d’y parvenir !

 

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