Qu'importe le grain, pourvu qu'on ait l'ivraie ? – Lettre FDE septembre 2020

Publié le : 25/09/2020

LA LETTRE DE LA FDE - SEPTEMBRE 2020

Réalisée sous la responsabilité du collectif FDE par Michèle Artaud, Vincent Charbonnier, Muriel Coret, Mary David, Michela Gribinski, Marie-France Le Marec, Konstanze Lueken, Stéphanie Péraud-Puigségur, Pierre Sémidor

Au sommaire de ce numéro :

  • UNE RENTRÉE EN ORDRE DE MARCHE ?
  • RÉFORME DE LA FDE : LE FEUILLETON SE POURSUIT

LETTRE AU FORMAT PDF

 

Une rentrée en ordre de marche ?

Le sentiment général qui domine en cette rentrée est un mélange d’inquiétude face à une situation sanitaire complexe et de découragement face à la volonté, qui ne faiblit pas, du ministère de l’EN – celui de l’ESRI étant complètement aphone – de profiter de la crise sanitaire pour dérouler jusqu’au bout sa « réforme » de la formation des enseignants et de s’en servir pour imposer des expérimentations tous azimuts.

S’agissant de nos conditions de travail : les inquiétudes sont aussi importantes et légitimes que les questions sont nombreuses et très prosaïques. Comment faire cours toute la journée avec un masque ? Comment faire cours avec des étudiants dont on ne voit plus que la moitié du visage ? Comment les uns et les autres seront-ils équipés de matériel de protection ? Les agent·es chargé·es des nettoyages seront-ils assez nombreux pour avoir le temps d’y procéder ? Comment étudiant·es et formateurs·trices pourront-ils se restaurer, alors que les espaces prévus voient leur jauge réduite quand ils ne ferment pas complètement ?

Pour ce qui est des services d’enseignement : comment sera validé le service fait, en cas de confinement de précaution en raison d’une suspicion de contamination (et donc hors arrêt de travail) ? Sera-t-il basé sur l’emploi du temps défini en début d’année et/ou sur les déclaratifs des collègues qui seront alors contraints de faire cours en visio-conférence, même s’ils·elles ne l’ont pas choisi ? Quid des frais d’équipement et/ou de connexion pour assurer leur service ?

Faute de consignes claires du MESRI ou du ministère de la Fonction publique, la plupart des questions sont réglées localement au fur et à mesure, avec ordres et contre-ordres successifs, chacun·e se débrouillant comme il·elle le peut. Rappelons que les conditions de travail étaient déjà dégradées avant le confinement, en raison de la réduction des maquettes à peau de chagrin, des nombreuses heures complémentaires à effectuer pour pallier le manque de recrutements, etc. De ce point de vue, la crise sanitaire aggrave une situation déjà critique connue de tous.

En situation normale comme dégradée, chaque enseignant·e est libre de choisir les modalités de son enseignement et doit garder la maîtrise de la diffusion de ses contenus, chacun·e a la possibilité de refuser d’être filmé·e et/ou enregistré·e. Toute atteinte à l’image ou à la vie privée doit être proscrite, de même que toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle sur les contenus ou ressources créés. Ces points de droit peuvent être utilement rappelés aux étudiants qui, souvent, pour des raisons variées, souhaitent des aménagements et plus de souplesse dans les modalités d’enseignement et d’accès aux documents.

Du point de vue du fonctionnement institutionnel : on a pu voir, en juin dernier, les effets concrets de la prise de pouvoir croissante des inspections, qui conduit à moins de collégialité dans les avis et à des décisions abruptes, voire autoritaires : par exemple, la décision de renouveler un stagiaire à l’issue d’une visite à la veille même du confinement annoncé...

Difficile, la rentrée l’est aussi pour les étudiant·es des INSPÉ, M1 et M2, préparant les concours ou fonctionnaires stagiaires. Les contraintes sanitaires s’imposent à eux comme les incertitudes sur le déroulement des années universitaire et scolaire (préparation et évaluation du master, concours, stages, stage en responsabilité…). Comme on l’a vu au printemps dernier, les enseignements à distance, en dehors de scénarios pédagogiques prévus bien en amont et adaptés aux besoins, sont générateurs d’inégalités d’apprentissage à l’université comme dans l’institution scolaire. Par ailleurs, ils mettent en péril la dimension collective des apprentissages, mais aussi du travail des équipes.

Et puis, comme trop ce n’est toujours pas assez, s’y ajoute l’incertitude liée à la réforme de la FDE en cours, dont J.-M. Blanquer a bien rappelé fin août qu’elle restait dans ses priorités : on verra plus bas que le feuilleton n’est pas terminé.

Dans nos INSPÉ, lors des AG de rentrée, des heures d’information syndicale, des réunions d’équipe, il faut identifier les problèmes et dénoncer l’inacceptable :

• pour les conditions d’études des étudiants/stagiaires : rappeler le rôle du présentiel et des interactions dans une formation, les besoins en équipements informatiques nécessaires pour étudier et faire face aux aléas sanitaires, les conditions de vie en cités universitaires, la restauration, l’accès aux soins...

• pour les personnels : refuser des modifications de conditions de travail non négociées, poser la question des effectifs, des capacités des salles, de la formation hybride imposée pour rester à coût constant, acter le maintien ou non d’une priorité au présentiel sur la base d’arguments discutés collectivement, obtenir des engagements sur comment seront définis et comptabilisés cette année les services correspondant aux heures maquette (réalisés en présentiel, en mode hybride, heures en distanciel), identifier les besoins en équipements professionnels des enseignant.es, en locaux, en personnels techniciens, etc.

C’est là l’occasion de réfléchir collectivement aux enjeux et contenus de la formation : se faire entendre dans l’élaboration des futures maquettes de formation, pour que les masters MEEF ne soient pas réduits à des lieux de formatage institutionnel, pour que le travail d’équipe soit mis en place, pour que les profils et expertises de chacun·e soient reconnus.

N’hésitez pas à faire remonter la situation qui se dessine dans votre INSPÉ !

 

Ce que les premiers retours reçus en ce début d’année mettent en évidence.

Des capacités de communication très variables selon
les INSPÉ, allant du plus grand flou aux injonctions changeantes, contradictoires ou irréalistes

À Nantes, la présidence a annoncé fin août que les étudiants devront laisser libre une place sur deux dans toutes les salles, ce qui oblige à refaire tous les emplois du temps et diviser les groupes… Les groupes n’ayant pas cours une semaine sur deux auront un enseignement hybride, charge à chaque enseignant de se dédoubler ou d’improviser, ou aux étudiants de récupérer les cours auxquels ils n’auront pas assisté à tour de rôle. Revirement la semaine suivante : finalement le dispositif ne s’appliquera qu’aux groupes de plus de 60 étudiants.

À Aix-Marseille, aucun message de la direction avant la semaine du 7 août… Une lettre de la présidence de l’université annonçait une priorité à l’enseignement en présence. Une réunion « formateurs-direction » le 2 septembre, prévue en... juillet, s’est tenue à distance et en présence – en hybride, donc. L’essentiel des questions des formateurs portait sur les conditions d’application concrètes des mesures barrière, notamment en ce qui concerne les points de distribution de gel hydro-alcoolique ou encore de la mise à disposition des masques, la distribution des photocopies, etc. Beaucoup sont restées sans véritable réponse, et on a pu relever les problèmes que rencontrent les administratifs eux-mêmes : les besoins ne sont que partiellement couverts par l’université, qui se heurte à des difficultés d’approvisionnement et les commandes proprement INSPÉ n’arrivent pas toujours non plus… La rentrée des stagiaires a été étalée, mais subsistent des complications dans l’usage des locaux, qui se posent différemment selon les sites. Une lettre de la direction, arrivée par courriel le 7 septembre à midi (date de début des enseignements sur une partie des sites), après un message de la présidence de l’université ce même jour, annonçait qu’il fallait passer en hybride si la capacité d’accueil de la salle qu’on occupait était inférieure au double de l’effectif d’étudiants accueilli… Comme si cela se faisait en un claquement de doigts ! En outre, bien sûr, le nombre d’étudiants que les salles dans lesquelles ont lieu les enseignements peuvent accueillir n’est pas communiqué et c’est aux enseignants (et aux étudiants par ricochet) de se débrouiller pour gérer les injonctions, trouver le matériel, constituer les groupes, etc., la situation étant très inégale selon les sites et les formations.

À Toulouse on n’interdit rien, en présence ou à distance… chacun-e fait comme il-elle veut ! À Poitiers, première réunion de formateurs le... 8 septembre !

 

Une volonté partagée de maintenir les enseignements
en présence, mais dans des conditions dégradées

Une rentrée « normale » dans le discours mais qui donne lieu à de nombreuses contraintes : ajustement des salles, nettoyage, restauration, équipement, etc. À Nantes, toute possibilité de déjeuner dans le site de l’INSPÉ a été supprimée – c’est aussi le cas à Poitiers (impossible d’utiliser y compris la... machine à café) : les étudiants sont priés de manger « dehors » (stricto sensu). À Poitiers, une rentrée qui privilégie les cours en présence avec distanciation « lorsqu’elle est possible » – donc pas dans les salles TD pour 40 étudiants. Les enseignant-es ont été invité-es à anticiper un recours éventuel au distanciel en cas de besoin… mais sans que la question de leur équipement soit traitée.

 

Des situations de tension

À Nice, les collègues doivent faire face à la très forte pression exercée par la gouvernance de l’université – nouvellement devenu établissement expérimental – Université Côte d’Azur (UCA) afin que leurs cours de TD par groupes en Master soient transformés en cours magistraux (CM) – ce qui, soyons clair, permet (trait) à l’UCA une économie de plus d’un facteur 3 en heures. Après protestation auprès de leur direction (INSPÉ), on leur a assuré en juin que leurs cours resteraient pour 2020-2021 sous forme de TD, puis, à la rentrée, on leur demande en toute innocence d’organiser de nouveaux CM… L’UCA, par le biais de son VP enseignement, veut également diviser par deux les heures de décharge des responsables de site de l’INSPÉ, qui ont menacé de démissionner en bloc. Les animateurs des « bureaux d’études », qui gèrent les stages, sont menacés du même sort.

À Bordeaux, les collègues en services partagés prennent conscience de la charge de travail réelle attendue d’eux et du manque de reconnaissance (horaire notamment) qui l’accompagne. À Poitiers, les maquettes doivent avancer, coûte que coûte… pendant qu’à Paris les collègues sont collectivement tenus complètement à l’écart du dossier « maquette ».

Dans ce contexte, nous dénonçons l’individua-lisation des solutions et des responsabilités ! N’hésitez pas à faire remonter les informations sur la situation dans votre INSPÉ.

 

Nous avons prévu une réunion FDE nationale le jeudi 5 novembre 2020, en présence au siège du SNESUP
(15 personnes maximum) et par visio-conférence. Le lien de connexion vous sera prochainement communiqué.

 

 


Réforme de la FDE: le feuilleton se poursuit

Nous l’avons évoqué plus haut, la crise sanitaire que nous vivons ne semble pas faire obstacle aux intentions du MEN de faire avancer sa réforme de la FDE ! Question de priorité sans doute. Le ministère veut tout contrôler dans les masters MEEF : les volumes, les contenus, les intervenants… Que reste-t-il d’universitaire dans cette formation ? La question est ouverte et le silence assourdissant du MESRI ne contribue pas à rassurer… Bizarrement, ce que le ministère ne cadre pas alors même que c’est ce qui lui revient, ce sont les berceaux de stage tiers-temps en particulier pour le premier degré ! Là, miracle de la dévolution, on peut bien, sur ce point crucial, se débrouiller comme on veut ou peut localement.

 

Plusieurs textes sont actuellement en « consultation ». 

• Circulaire « Alternants » (la dernière version en date du 17 septembre 2020 est disponible ici <https://www.snesup.fr/article/circulaire-alternants>. Dans ce document, le MEN cadre la durée du futur stage des étudiants de M1 et de M2 alternants MEEF (douze semaines en responsabilité, soit le tiers des obligations réglementaires de service). Il fixe leur rémunération à 865 € brut, soit 664 € (ce qui est à peine supérieur de quelques euros à la rémunération des AED L2 qui ne sont pas en responsabilité). Notons que les alternants n’auront pas droit à l’indemnité forfaitaire de formation (IFF) d’un montant de 1 000 € annuel dont bénéficient aujourd’hui les fonctionnaires stagiaires. Le MEN prévoit enfin une enveloppe annuelle globale de 600 € pour le suivi d’un étudiant alternant – alors que l’indemnité actuelle pour le tutorat d’un fonctionnaire stagiaire est de 1 250 €. Pour l’organisation et les modalités des stages (où trouver les berceaux tiers-temps dans le premier degré notamment ?), rien, voyez avec la hiérarchie de proxi-mité…

• Arrêté pour l’« oral de titularisation » <https://www.snesup.fr/article/projet-doral-de-titularisation-concours-de-lenseignement-2020>. Opposition de toutes les organisations syndicales consultées en amont du CTMEN… pas grave, puisque le ministre veut… Voir le communiqué de presse intersyndical <https://www.snesup.fr/article/loral-de-trop-le-ministere-impose-son-oral-aux-laureates-des-concours-2020-communique-de-presse-intersyndical-du-11-septembre-2020.

 

Il faut supprimer cet oral. Or le président du R-INSPÉ annonce, sans dire ni qui, ni quand, ni comment, ni sur quelles heures, que l’«on» va y préparer les stagiaires. Ainsi l’AEF rapporte-t-elle, le 4 septembre: «les Inspé n’ont “pas prévu de dispositif spécifique mais si on va préparer les étudiants à cela”, précise Alain Frugière, qui demande en outre “quelle est la place de l’avis rendu à cet oral dans l’évaluation finale des stagiaires.”» «“Le ministère doit trancher” demande-t-il.» On accordera que sur ce dernier point, on ne saurait mieux dire

 

• Arrêté pour la formation « école inclusive » dans les masters MEEF <https://www.snesup.fr/article/cahier-des-charges-de-la-formation-relative-lecole-inclusive>. Où l’on comprend que le MEN a l’intention de dicter volume et contenus précis des UE censées traiter ces questions dans le cadre des masters MEEF… Pour nous, la question de l’inclusion ne saurait se réduire à un module d’information plaqué sur la formation initiale et appelle une réflexion de fond et des moyens de formation continue à la hauteur des enjeux.

Dans le même temps, on apprend que le réseau des INSPÉ prépare une contribution sur un éventuel statut des enseignant-es en service partagé : recrutement, évolutions de carrière, aménagements du service, etc. Le SNESUP-FSU rappelle qu’il a lui aussi, en tant qu’organisation syndicale représentative des personnels, des propositions sur ce sujet : recrutement selon les normes universitaires, prise en compte du temps de travail réel – deux demi-postes font toujours plus qu’un temps plein –, temps de formation et de travail en équipe, charges administratives – ce qui nécessite des décharges de service pour les collègues à temps partagé –, stabilité des affectations, respect des profils et des domaines d’expertise… Il ne manquera pas d’envoyer ses propositions au Comité de suivi des INSPÉ.

 

Le collectif FDE du SNESUP-FSU a travaillé à un état des lieux de la «préparation» de la «réforme» Blanquer. Il présente ses propositions pour une formation des enseignant-es universitaire et professionnelle. En ligne ici: https://www.snesup.fr/article/une-n-ieme-reforme-de-la-formation-des-enseignantes-et-des-cpe-point-detape-septembre-2020-0.