Thème 3 : Développer un service public de la recherche au service de l’intérêt général et à la hauteur des enjeux
Le SNESUP fait le constat d’une situation qui s'est aggravée avec la LPR et qui confirme nos craintes depuis l’adoption de la LRU et la priorité donnée aux AAP. C'est avec gravité que nous alertons sur les conséquences d’une politique scientifique qui accentue année après année la volonté de pilotage par le Ministère de la Recherche, la centralisation autoritaire ou larvée dont la mission Gillet est la dernière manifestation. Surcharges, entraves, contrôles superfétatoires, injonctions multiples et contradictoires continuent d’accabler les personnels, réduisent leur temps et leur liberté de recherche.
Pilotage de la recherche et appels à projets (AAP)
Congrès après congrès, nous mesurons le recul toujours plus marqué des moyens récurrents de la recherche (financements et postes) et l'accentuation d'un pilotage de la recherche par AAP. Celui-ci s'effectue à plusieurs niveaux (national, régional et au niveau des universités) : par exemple, les PEPR, les appels régionaux, les nouveaux SRESRI vont encore creuser les inégalités entre collègues, entre laboratoires et entre les territoires. Parallèlement, la mission Gillet prévoit une réorganisation du pilotage de la politique de recherche dans le MESRI, détériorant fortement l’organisation de la recherche. Les organismes nationaux de recherche sont menacés par la transformation en agences de programmes. Donnons-nous les moyens d'arrêter cette dérive et réaffirmons la nécessité de moyens pérennes pour que tous les collègues aient la liberté de choisir l'orientation de leurs recherches.
Serment d'intégrité scientifique
Parmi les derniers avatars de ces évolutions inquiétantes de la recherche discutés à l’occasion du Congrès SNESUP de 2023 figurent les questions posées par le serment d’intégrité scientifique1. Malgré une intention positive de protection du travail de recherche, son instrumentalisation pourrait avoir un effet négatif sur les collectifs de recherche. Tel qu’il est rédigé, le serment d’intégrité scientifique est une contrainte supplémentaire. Il ne sert pas aux pairs à réaffirmer la liberté académique du chercheur et par conséquent du docteur. D’une part le serment relève de la déontologie de la recherche dont le doctorant vient d’apporter la preuve reconnue par les pairs à travers la délivrance du doctorat. En conséquence, le serment remet en question la légitimité du jury de doctorat de reconnaître au doctorant qu’il satisfait aux exigences du diplôme. D’autre part, la possibilité offerte aux établissements de faire "évoluer" le texte2 en l’incluant a minima dans leur charte de doctorat contredit ainsi le caractère national du serment.
La recherche est produite collectivement par des femmes et des hommes, quels que soient leur statut et leur ancienneté. Nous réaffirmons l'importance du collectif qui définit, dans la disputatio, ce qu’est la recherche et comment elle doit être menée.
Urgence climatique et environnementale
Les financements fléchés via les AAP entravent la recherche fondamentale et de long terme alors qu'elle est rendue encore plus nécessaire face aux défis climatiques, sanitaires et sociaux. Le fléchage des financements peut également limiter la réorientation des recherches souhaitée par certains collègues.
Les bouleversements actuels et à venir confirment les méfaits d'un système capitaliste et productiviste qui aggrave les inégalités sociales et détruit les équilibres sociaux et environnementaux en maintenant le modèle d’une croissance infinie dans un monde aux ressources limitées. La recherche effrénée de profits détruit les écosystèmes en déréglant le climat et la nature3. Le bouleversement climatique et environnemental va de fait modifier profondément nos façons de faire de la recherche.
Le SNESUP défend la nécessité de retour à des financements pérennes et la garantie des libertés académiques qui renforceraient probablement aussi les recherches sur le climat. L'organisation actuelle de la recherche ne permettant pas de bifurquer facilement, les collègues qui le souhaitent doivent pouvoir accéder à des financements et à du temps pour réorienter leurs recherches (par exemple via l'accès à des CRCT).
Le CIR, que nous continuons à dénoncer, contribue dans de nombreux cas au financement d'activités nuisibles à l'environnement. Le SNESUP demande à ce que l'argent public du CIR soit redéployé dans le service public de recherche. Cela permettrait de financer par exemple largement des actions dans les établissements, notamment sous l'impulsion des élu-es dans les conseils (rénovation thermique des bâtiments, développement des mobilités douces).
Nous refusons les discours culpabilisants, qui sur-responsabilisent les individus, par exemple concernant les déplacements des personnels de la recherche. Par ailleurs, le SNESUP continue de dénoncer la course à la publication et l'évaluation individuelle des chercheurs. La participation à des congrès (internationaux) ne doit plus être un critère pour l'évaluation.
Le SNESUP rappelle que les connaissances scientifiques validées n’ont cessé de confirmer les prévisions faites par les différents rapports du GIEC depuis plus de 30 ans. Nous faisons face au changement climatique, à son accélération, et à ses conséquences. Cela implique que nous réfléchissions collectivement et syndicalement aux implications sur nos conditions de travail ainsi que sur l'organisation de nos recherches.
GLOSSAIRE
LPR : Loi de programmation de la recherche
AAP : Appel à projet
LRU : Loi relative aux libertés et responsabilités des universités
PEPR : Programmes et équipements prioritaires de recherche
SRESRI : Schéma régional enseignement supérieur recherche innovation
MESRI : Ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation
CRCT : Congés pour recherches ou conversions thématiques
CIR : Crédit d’impôt recherche
GIEC : Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
Vote en plénière : Pour 72 / Contre 12 / Abstention 11 / NPPV 0
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1 La loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 introduit le serment dans le code de l’éducation, à l’article L. 612-7, et la disposition est inscrite dans l'article 19bis de l'arrêté de la formation doctorale (évolution introduite par l'arrêté du 26 août 2022 modifiant l'arrêté du 25 mai 2016)
2 Cf. article 10 de l'arrêté du 26 août 2022 modifiant l’article 12 du 25 mai 2016
3 cf. FSU, Congrès de Metz 2022