cneser05-09/11-snesup

Publié le 10 novembre 2005

Déclaration du SNESUP au CNESER
du 9 novembre 2005

 

Le SNESUP et les autres syndicats de la FSU directement concernés (SNCS, SNASUB) se sont opposés dès l’automne 2003 aux désastreux gels de crédits des laboratoires, aux transformations d'emplois de titulaires en précaires, aux blocages de recrutements tant dans les organismes que dans les universités et ceci pour toutes les fonctions : chercheurs, enseignants – chercheurs, ingénieurs, techniciens, administratifs. Ils ont pris toute leur part aux mobilisations développées à la suite de la pétition SLR et ont contribué à la réflexion menée au cours de l’année 2004 et à l’élaboration des propositions des Etats Généraux de Grenoble.

Le « Pacte pour la recherche » rendu public le 5 octobre vient en discussion aujourd’hui au CNESER. Mais, malgré de multiples demandes, alors que la recherche est pleinement de la compétence du CNESER d’après l’article L. 232-1 du Code de l’Education, jusqu’à ce jour, le CNESER n’a été ni informé, ni consulté sur la réflexion préparatoire, le ministère privilégiant les discussions avec la CPU et les représentants des organismes, au détriment d’une large consultation de la communauté universitaire, et notamment de ses organisations syndicales représentatives. Nous considérons que la réunion de ce jour doit être une première réunion de discussion sur le contenu du projet de loi Recherche.

Ce « Pacte pour la recherche » ne correspond, ni aux exigences formulées par la Communauté scientifique depuis janvier 2004 et lors des Etats Généraux de Grenoble, ni aux nécessités économiques et sociales du pays au début de ce XXIème siècle, comme l’expriment les AG, réactions, prises de position d’instances ou l’appel à Manifestation pour le 23 Novembre et le rejet exprimé par les organisations syndicales lors de leur audition au CES.


Le « Pacte pour la recherche », c’est la poursuite et l’aggravation de la politique de précarisation des emplois et de déstructuration des établissements de recherche et du réseau des universités. Qui plus est, cette politique est constamment anticipée dans les faits au mépris de la représentation nationale, que ce soit par la mise en place de l’Agence nationale de la recherche, de l’Agence de l’innovation industrielle, ou l’annonce des Campus de recherche … ou plus encore récemment avec l’appel à candidature du Ministre François Goulard pour la labellisation Carnot. Et ce n’est pas seulement dans le texte de loi que nous trouvons source d’inquiétude. L’exposé des motifs ne se limite pas à expliciter et commenter le texte de loi, il développe un ensemble d’orientations et de mesures qui ne figurent pas dans l’avant-projet, mais qui sont reprises, avec plus de détail, dans les dix-sept fiches. Sont ainsi confirmées plusieurs déclarations ministérielles, qui incitent les chefs d’établissement à procéder « par expérimentation », en dehors de la réglementation existante. Nous rejetons fermement les propositions d’appel à une loi d’origine parlementaire qui « couvrirait » pour 5 ans toutes ces expérimentations.

 

Nous exposons ci-dessous certains points qui nous semblent particulièrement importants.

  1. Parmi les missions de l’Enseignement supérieur, figurent au premier plan l’enseignement et la recherche. Ce texte met en cause à tous les niveaux le lien enseignement – recherche, pourtant constitutif de l’Enseignement Supérieur. Il organise la séparation des niveaux L et MD, la spécialisation de certains établissements et/ou de certaines régions dans le seul niveau L et la concentration des moyens sur un petit nombre de pôles. C’est une université à plusieurs vitesses que nous refusons. Dès maintenant, le ministère modifie sa politique en matière d’Ecole Doctorale, politique que nous avions contestée. Mais c’est sans concertation et sans nouveau texte réglementaire, ce qui soulève l’inquiétude par exemple tout dernièrement à l’Université du Littoral et de la Côte d’Opale, dont l’agrément de l’Ecole Doctorale ne serait pas renouvelé, sans même la justification d’une recomposition qui serait fondée sur des coopérations volontaires de l’ensemble des universités de la région, inexistantes à ce stade. Nous demandons la participation de plein droit de toutes les universités à des Ecoles Doctorales dans une logique de coopération et de réseau.
    L’enseignement et tout ce qui concerne l’amélioration des conditions de travail, de vie et de réussite des étudiants (en dehors des doctorants) sont absents tant dans le projet de loi lui-même et ses annexes que dans les déclarations gouvernementales. Par ailleurs aucune proposition ne vise à développer et renforcer le lien enseignement supérieur-recherche, à tous les niveaux.
    Le système de recherche public doit assurer le développement des connaissances, et ceci dans tous les domaines. Avec le projet de loi, il basculerait dans une logique de contrats de court terme, financés pour l’essentiel par des agences (ANR, AII) au fonctionnement opaque, mettant en cause la recherche fondamentale, précarisant l'emploi scientifique et conduisant à affaiblir la cohérence, les complémentarités, les solidarités des équipes, des laboratoires, des établissements. Les "fondations à caractère scientifique", imposées par Matignon avec leur modèle des « campus de recherche » sont totalement contradictoires avec une volonté d'élever partout le niveau des connaissances et des recherches et d’accroître le nombre de diplômés de l’Enseignement Supérieur : l'École d'Économie de Paris est un exemple des dangers de ce dispositif. Ces campus auraient un statut qui ouvre à tous les types de financements – et donc de pouvoirs – conférés au privé. Au contraire, les PRES, tels que proposés par les Etats Généraux, traduction de coopérations volontaires et essentiellement pluri-disciplinaires, et gérés démocratiquement, doivent être un outil efficace de synergies entre universités, entre universités et organismes, entre recherche et formation. Le tollé de la Communauté universitaire contre les fondations et particulièrement les « CAMPUS de recherche » a amené le ministre Gillles de Robien à manœuvrer en recul à Strasbourg, indiquant que les campus de recherche constitueraient une structure opérationnelle pour porter certains axes du PRES jugés prioritaires.
    La recherche fondamentale et plus particulièrement en lettres et sciences humaines, qui nécessite des financements récurrents et dont on ne peut prévoir les retombées à long terme, est mise en danger.
  2. Pour les personnels, la précarité des jeunes chercheurs serait aggravée par une série de dispositions de ce projet : particulièrement la création de nombreux CDD, notamment à partir des financements sur contrats de l’ANR, ou encore l’augmentation du nombre d’ATER, sans que soit même envisagée quelque amélioration que ce soit de leur situation actuelle et de leur perspective d’emploi. Ces dispositions vont d’ailleurs venir grever le budget des établissements, puisque les charges sociales seront à leur charge. Dans le même sens, les « contrats d’insertion post-doctorale » relèvent d’une logique contraire à la charte européenne du chercheur qui préconise la réduction de la précarité. De même, les bourses d’excellence pour quelques uns sont une solution inadaptée.
    Par l’incitation à des expérimentations et mutualisations contraires aux statuts des personnels, se profile aussi l'éclatement organisé des métiers d'enseignant-chercheur et de chercheur. La modulation des services entre chercheurs et enseignants-chercheurs, l’attribution de décharges sur projet pour un petit nombre, les conditions d’attribution des primes, avec un rôle prépondérant accordé au président, et sans aucune garantie pour les personnels, favoriseraient les discriminations entre collègues. Le projet refuse de prendre en compte les revendications des personnels : demi service pour tous les nouveaux nommés, prise en compte dans le service de l'ensemble des activités, 150 heures pour tous, égalité TP-TD.
    Le texte ignore les vertus du service public et des statuts de fonctionnaires (MCF, PU, CR, DR) qui pourtant sont des valeurs d'attractivité du système français pour un nombre important de collègues étrangers. Le rôle dévolu aux fondations de recherche est inacceptable et sur ce point, comme sur les campus de recherche, la position de la Conférence des Présidents d’Universités se rapproche de la nôtre. Même dans les articles 8 et 9 consacrés aux Académies, le sort des personnels (non détachés) risque d'échapper aux garanties des statuts du service public.

  3. Le projet se caractérise par la domination des experts nommés dans toutes les instances, ce qui permet le pilotage quasi exclusif par le gouvernement des orientations de la recherche.
    Conçu comme une instance découplée de la vie active, le Haut Conseil de la Science exclut toute représentation de la communauté scientifique et de même tout représentant de la société civile dans sa diversité.
    En matière d'évaluation, la composition de l’AER, avec l’empilement des instances et le principe de nomination de ses membres, vise à imposer les seuls critères gouvernementaux ou marchands dans les procédures d’évaluation des établissements, des unités et des personnes, avec le risque de voir détruire les logiques collectives de recherche au profit de logiques individuelles. Et les seules instances comportant une majorité d’élus seraient privés du rôle qu’elles pourraient jouer. Le CNU et le Comité national seraient mis sous tutelle pour l’évaluation des personnels qui devrait reposer sur les « bonnes pratiques » recommandées, indépendamment des conditions concrètes d’exercice de la recherche dans les établissements et les disciplines. En bref, l’objectif d’une évaluation serait la sanction ou la hiérarchisation au lieu d’être une aide aux établissements et aux personnes. La Conférence des Présidents du Comité national de le Recherche Scientifique (CPCN) et la Conférence Permanente du Conseil national des Universités (CP-CNU) – principales instances d’évaluation de dimension nationale en France – ont exprimé un point de vue commun sur nombre de ces questions essentielles ayant trait à l’évaluation. Ce point de vue converge avec nos propositions, exigeant que les missions du CNU et du CoNRS soient garanties dans les évolutions possibles du système, avec la participation majoritaire d élus à l’évaluation effective et que soient mises en place des instances de recours.
    En outre, tant l’absence de référence aux femmes dans ce projet que les décisions et déclarations ministérielles sur ce sujet ne peuvent que nous alarmer – comme cela alarme l’ensemble de la Communauté Scientifique. Nous réaffirmons notre exigence de mesures législatives et de programmation permettant de lever les obstacles auxquels se heurtent les jeunes chercheurs et spécifiquement les jeunes femmes, alors qu’il faudrait qu’elles soient très nombreuses à s’engager dans la recherche et à accéder aux fonctions de responsabilité. Un signal fort doit être envoyé, y compris en ce qui concerne le Conseil Scientifique du CNRS et l’ensemble des nominations.

    4) Le volet programmation est tout à fait insuffisant et ne correspond pas aux ambitions de développement de la recherche.
    Les nombreux départs en retraite dans les années avenir vont libérer des emplois, qu’il faudra pourvoir. Dans les autres pays développés, le recrutement de personnels de haute qualification, ayant été formé par la recherche et ayant soutenu une thèse, est nettement plus important qu’en France.
    Une autre question majeure posée est celle du prolongement de la spécificité culturelle (y compris linguistique) des acteurs de la recherche pour les trente prochaines années, du rayonnement de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche français en Europe et dans le monde. Cela passe par la formation dans toutes les disciplines de docteurs en capacité de devenir chercheurs et enseignants-chercheurs. Sans une visibilité réelle de recrutements nouveaux dans ces emplois, cet horizon se bouche.
    Il est indispensable de programmer sur une dizaine d'années des recrutements (il faut 8 ans au moins du bac à la recherche !). Des modalités de pré-recrutement, combinées avec une augmentation des allocations de recherche en nombre et en montant doivent encourager les jeunes chercheurs dans toutes les disciplines et favoriser des recrutements comme fonctionnaires au plus près de la thèse, tout en encourageant des mobilités choisies. D’une manière générale, la revalorisation des carrières et l’ouverture de perspectives est absolument nécessaire.
    Un nombre minimum de 4 500 créations d’emplois par an est raisonnable (voir les estimations des besoins annuels du Commissariat au Plan : 14 700 emplois pour 2013). Cet affichage est l'un des signaux forts dont la communauté scientifique et toute la jeunesse ont besoin. Il doit être précisé et intégré dans une vraie loi de programmation, comme cela a été fait pour d’autres ministères (la loi de Programmation Militaire précisant pour chacune des années 2003 à 2008 l’évolution des personnels, les dotations annuelles ; loi de Programmation pour la cohésion sociale).
    Ce n’est pas ce qui est prévu, comme en témoigne le budget 2006. Avec 3000 nouveaux postes, dont 1 079 enseignants-chercheurs pour lesquels les demandes des établissements ont majoritairement reposé sur des critères de recherche, on ne palliera pas le déficit induit par la mise en œuvre de la réforme LMD. Quant aux crédits alloués en propre à la recherche publique, EPST comme EPSCP, c’est leur stagnation qui est prévue alors que l’on note la montée en puissance massive du financement public direct et indirect de la recherche privée, et même de l’enseignement supérieur privé. On est loin de l’effort de développement du secteur public et privé, en doublant notamment la part du PIB allouée à la recherche publique, afin d’atteindre l’objectif de 3% du PIB.

En fait, dans ce projet, c’est une conception de la science bâtie sur le seul principe de concurrence qui est à l'œuvre alors que tant dans sa formation que dans l'exercice de son activité de recherche, le chercheur ou l'enseignant-chercheur est d'abord dans une logique de coopération et de développement partagés. Pour ces raisons, les représentants du SNESUP s’opposeront à ce projet. Ils vous appellent à le retirer et à ouvrir enfin de vraies négociations avec les représentants des acteurs de la recherche et du puissant mouvement impulsé en 2004 dans la communauté scientifique.

Paris, le 9 novembre 2005