Formation et insertion

Publié le 19 novembre 2012

Formation et insertion

par Gérard Aschieri, président de l’Institut de recherches de la FSU

La nécessité d’une insertion professionnelle des jeunes ne doit pas conduire à occulter le fait qu’une formation trop étroitement pratique peut se révéler contre-productive sur le moyen terme.

C’est un reproche souvent fait au système éducatif : la formation ne répondrait pas assez bien aux besoins des entreprises et cette insuffisance serait une des causes du chômage des jeunes ou de la précarité qu’ils connaissent en début de carrière. 

Pourtant lorsqu’on regarde les chiffres on constate que la possession d’un diplôme et plus précisément d’un diplôme de l’enseignement supérieur est un élément déterminant pour l’accès à l’emploi. Selon le CEREQ en 2010 parmi les jeunes sortis de formation 3 ans plus tôt le taux de chômage était de 9 % pour les titulaires d’un diplôme à bac +5 (soit 12 % des sortants) contre 40 % pour ceux sortis sans diplôme (18 % des sortants) et 19 % pour ceux détenant un baccalauréat général (6 % des sortants). 

Certes lorsque l’on regarde les données disponibles en fonction des professions et des types de diplômes, on voit que les bénéfices en termes d’emploi sont loin d’être uniformes et certains diplômes de niveau V ou IV permettent dans certaines spécialités, une insertion meilleure que des diplômes de niveau II. Le seul baccalauréat professionnel est ainsi associé à des taux d’emploi et de chômage proches de ceux des BTS. Mais, dans ce type de comparaison, il faut être extrêmement prudent et tenir compte de l’effet « poursuite d’études » associé au diplôme. Le baccalauréat professionnel est encore assez largement un diplôme à finalité immédiate d’insertion professionnelle (pour environ la moitié de ses titulaires) alors qu’une grande majorité des étudiants de DUT et la moitié des lauréats des BTS se projettent aujourd’hui vers une licence ou vers une école et que, pour les filières plus généralistes, l’interruption d’études à bac +2 est en dehors de la norme et le plus souvent synonyme d’échec. 

Bref la formation n’est pas nécessairement une garantie d’insertion mais l’absence de qualification exclut sans appel. Si les employeurs préfèrent quasi systématiquement recruter des jeunes diplômés c’est sans doute qu’il y a des raisons et qu’elles tiennent entre autres à l’intérêt qu’ils y trouvent. Il faut dire que les employeurs sont confrontés à des contradictions qu’ils ont parfois du mal à maîtriser. D’un côté, une certaine défiance vis-à-vis du monde de l’enseignement et leur souci, en temps de crise, de recruter des personnels immédiatement performants qui puissent être intégrés immédiatement dans une chaîne de production, dans une équipe, pour réaliser le projet du moment (c’est sans doute cela qui explique le succès de l’apprentissage dès lors qu’il joue un rôle de pré-recrutement). Le tout en essayant de payer le moins possible les qualifications. De l’autre, la conscience largement partagée de l’évolution rapide de la plupart des métiers et donc de la nécessité de recruter des salariés dont la formation sera suffisamment ouverte pour leur permettre de s’adapter à ce type de changement. Les évolutions très rapides que connaissent aujourd’hui les métiers rendent ces phénomènes difficilement prévisibles et présentent un défi d’importance à tout le système de formation. Le fait qu’un tiers seulement des salariés, toutes générations confondues, exercent aujourd’hui un métier correspondant à leur spécialité de formation, et que moins de la moitié des jeunes sortant avec un diplôme soient dans ce cas, illustre la complexité de la relation formation-emploi. 

Ces réalités ne peuvent que conduire à se méfier de toute conception adéquationniste qui consisterait à ne se préoccuper que des perspectives d’emploi à court terme pour penser les formations ou établir leur carte. Autant on ne peut pas ignorer la nécessité d’une insertion professionnelle des jeunes que nous formons, autant il serait vain d’en avoir une vision trop myope en se concentrant sur les besoins d’un territoire trop étroit ou de l’état actuel des professions : cette préoccupation ne saurait être opposée à l’élargissement de l’accès aux formations supérieures ou conduire à une assignation des jeunes à des formations indépendamment de leurs goûts et de leurs choix. 

Autant la mise en situation de travail par le biais de formes d’alternance est positive si elle est conçue en articulation avec la formation théorique, autant une formation trop étroitement pratique peut se révéler contreproductive sur le moyen terme voire un terme rapproché. 

La double finalité des diplômes de l’enseignement supérieur, formation générale et formation professionnelle, n’est pas un insupportable grand écart. Elle est au contraire cohérente : former un professionnel efficace ne va pas sans une meilleure formation générale des individus et sans une formation contribuant à une citoyenneté active et responsable dans un monde confronté à des défis de très grande ampleur et dont la complexité est croissante.