L'ARESER (Association de réflexion sur les enseignements supérieurs et le recherche) : Vingt ans déjà

Publié le : 15/05/2012


L'ARESER (Association de réflexion sur les enseignements supérieurs et la recherche) :

Vingt ans déjà

par Christophe Charle, président de l'ARESER, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

L'ARESER, fondée en 1992 et présidée jusqu'à sa mort en 2002 par Bourdieu, a vocation, à la manière d'un « intellectuel collectif », à échapper aux querelles disciplinaires et aux combats catégoriels.

En mars 1992, sur ma proposition et à la suite de diverses réunions préparatoires auxquelles ont participé notamment P. Bourdieu, Daniel Roche, Bernard Lacroix, Ann Thomson, etc., a été publié dans Libération un « appel à la communauté des chercheurs et des universitaires ». Rassemblant une centaine de signatures, il a abouti à la fondation de l'ARESER, que P. Bourdieu présida jusqu'à sa mort en 2002 tandis que j'en assumai le secrétariat1. Notre projet était de créer un intellectuel collectif au sein des universités pour échapper à la fois aux querelles disciplinaires, aux combats seulement catégoriels et aux limitations inhérentes à l'action syndicale du fait de l'individualisme de ce milieu. Le moment nous semblait propice puisque nous étions dans une phase d'expansion des crédits, des postes et des inscriptions et que le gouvernement semblait contraint à une politique ambitieuse compte tenu du retard
accumulé dans les années 1980. Pour autant, à mi-mandat du second septennat de F. Mitterrand, on constatait, comme pour le premier, un essoufflement évident, aggravé par le recul de l'électorat de gauche qui allait culminer dans la défaite de 1993. Il nous paraissait nécessaire de remobiliser nos collègues et d'être une force de propositions alors que les menaces de réaction s'accumulaient avec la seconde cohabitation de 1993-95. Notre philosophie était à la fois de défendre l'autonomie universitaire contre les projets technocratiques qui ont fleuri tout au long des années 1990 et jusqu'à aujourd'hui mais aussi
d'anticiper sur les problèmes et les questions non dites des débats officiels. Notre premier apport, outre de nombreuses prises de position dans la presse lors de la sortie de rapports officiels ou de projets de réforme, a été la publication collective de Quelques diagnostics et remèdes urgents pour une université en péril en 1997 aux éditions Liber raisons d'agir.

Refuser le modèle universitaire anglo-américain

Outre un état des lieux critique sur les fauxsemblants de la seconde massification, nous y faisions des propositions de réforme concrète afin d'échapper à la dialectique éternelle de la critique désenchantée ou de l'utopisme si radical qu'il ne laisse aucun espoir d'issue dans les conditions du moment. Nous
attirions l'attention en particulier sur la naissance d'une séparation entre des « universités Potemkine » nées de la multiplication des antennes ou nouvelles universités pour faire face à l'augmentation des flux étudiants en premier cycle et des universités « majuscules », seules capables de faire de la recherche et d'accueillir les formations les plus poussées. Nous critiquions aussi la tendance au localisme qu'encourageaient cette séparation et
l'appui des collectivités locales fières de leur université gage de développement économique et de lutte contre le chômage. Les développements actuels nous ont donné raison. La mise en place du LMD, puis des PRES, du plan Campus, du grand emprunt et des initiatives d'excellence a entraîné une reconfiguration des universités visant à retrouver une taille critique, proposer des formations diversifiées et concurrentielles et attirer des étudiants venus d'autres régions ou d'autres pays européens. Les désavantages dénoncés en 1997 (investissements français insuffisants comparés à ceux des pays étrangers) persistent puisque les nouvelles procédures hiérarchisent d'une autre manière un paysage universitaire déjà très inégalitaire. Elles contribuent à mettre les universités françaises en position de faiblesse dans la logique d'une concurrence internationale présentée comme le stimulant unique. On voit bien ce qui se profile et contre lequel le mouvement des chercheurs puis les grèves de 2009 ont été les réactions, en partie défaites, de la communauté
universitaire mobilisée que nous appelions de nos voeux en 1992 : l'abandon de pans entiers des universités à une relégation dans les premiers cycles et l'investissement préférentiel sur quelques grands pôles, à dominante scientifique et économique et où afflueront en plus des investissements issus des fondations et des entreprises en fonction de recherches appliquées. Bref, c'est la projection américaine sur la situation française dont la tradition est tout autre mais qui trouve des alliés au sein des corps universitaires aussi bien dans les disciplines scientifiques, médicales et de gestion que dans les disciplines très récentes dont la légitimité ne peut venir que de leurs applications pratiques ou de leurs débouchés. Face à cela, les disciplines de sciences humaines et sociales ou revendiquant leur autonomie par rapport au « marché » sont sur la défensive, en raison à la fois de l'idéologie dominante et des choix préférentiels des étudiants. Notre second livre collectif Les ravages de la « modernisation » universitaire en Europe publié en 2007, en dresse un premier bilan dans une perspective européenne. Notre prochain projet est l'organisation à l'automne 2012 d'un colloque international faisant l'état des évolutions en direction d'un marché de l'enseignement supérieur régi par les modèles anglo-américains à partir d'études de divers pays hors d'Europe. Nous avons choisi une voie étroite et exigeante, refuser d'être un faux syndicat ou un lobby, ou à l'inverse un club de penseurs coupés du monde et imaginant la « vraie » université. Nous voulons travailler en profondeur sur ce monde que nous croyons connaître même si nous n'en avons qu'une vue partielle et nous refusons d'adhérer aveuglément à l'ordre universitaire établi en appliquant toutes les injonctions et les analyses venues d'en haut pour en tirer du pouvoir et du prestige. Bref pour reprendre la célèbre phrase de Balzac, nous voulons « faire partie de l'opposition qui s'appelle la vie ».

1. Pour plus de détails voir des extraits de l'appel in P. Bourdieu, Interventions 1961-2001 Marseille, 2002, p. 293 et s. et 367 sur le départ de Claude Allègre du ministère en 2000.