La construction de l'excellence universitaire en République Populaire de Chine.

Publié le : 12/12/2011


La construction de l'excellence universitaire en République Populaire de Chine.

 

La compétition économique mondiale se joue, aujourd'hui plus que jamais, sur le terrain de l'enseignement supérieur. A l'échelle d'un pays, d'une région ou d'une métropole, cette compétition engage la capacité à produire, attirer et retenir les talents qui seront capables de développer une économie créatrice d'emploi et d'innovation. La Chine ne fait pas exception à la règle.

Depuis que le pays s'est engagé dans l'ouverture économique, son système éducatif a connu d'importantes évolutions touchant à son organisation, à son financement, à l'autonomie des établissements, aux programmes d'études, aux contenus, à la pédagogie et aux carrières des universitaires. Ces évolutions témoignent de la capacité du pays à faire évoluer ses institutions à la vitesse du développement économique. Elles sont également la réponse des leaders politiques aux nouveaux besoins d'une population plus aisée, plus éduquée, mieux informée, plus exigeante. Elles révèlent, par dessus tout, les ambitions du gouvernement chinois qui, à travers une politique de construction de l'excellence universitaire et de recherche, souhaite faire de la Chine un lieu d'innovation et de haute technologie.

 

Bien sur, à la fin de l'époque maoïste, la priorité était la reconstruction du pays, terriblement affecté sur tous les plans. Les premiers efforts ont porté sur l'économie, en encourageant l'ouverture et en soutenant l'éclosion d'un entreprenariat non étatique. Il a fallu décentraliser, laisser place à l'expérimentation locale, rassurer les investisseurs étrangers et créer les conditions institutionnelles et juridiques nécessaires au développement d'une économie, certes « socialiste », mais « de marché » tout de même. Sur le plan de l'éducation le gouvernement a choisi de concentrer les efforts et les moyens financiers sur le supérieur, le pays manquant surtout de personnels qualifiés et compétents aux postes de leadership économique, administratif et politique. Entre 1978 et le début des années 2000, l'université a progressivement retrouvé la place centrale qu'elle avait occupée à d'autres époques, de même que les universitaires, exclus pendant longtemps en tant qu'intellectuels, ont été de plus en plus sollicités pour contribuer à l'essor économique du pays. Les défis des premières années d'ouverture étaient d'assurer l'accès à un enseignement supérieur de qualité au plus grand nombre (le taux d'accès est passé en trente ans de 6% a 20%), d'approvisionner le marché de l'emploi avec les compétences requises par les entreprises et de réconcilier les élites politiques avec les élites intellectuelles. La reconstruction de l'enseignement supérieur a requis des investissements considérables, qui ont été réalisés à la fois par l'Etat mais aussi par d'autres acteurs. Si la part du budget de l'Etat consacrée à l'enseignement supérieur a augmenté d'une année sur l'autre (elle est aujourd'hui de plus de 1,5% du PNB), les réformes de 1985 et de 1986 ont rendu possible une responsabilisation croissante des collectivités locales et d'autres organismes dans le financement des universités. En quelques décennies, la Chine a réussi à augmenter le nombre d'établissements (2,263 en 2010) pour faire face à la demande nationale et compte aujourd'hui plus de vingt cinq millions d'étudiants inscrits dans un programme du supérieur. Parallèlement à l'expansion quantitative la Chine a mis en place, selon une logique plus élitiste, des programmes d'identification et de soutien aux établissements d'excellence (les plus importants ont été les programmes 985 et 211) pour se doter à long terme d'universités et de centres de recherche de rang mondial. Grace à la décentralisation financière, à la fusions de petits établissements spécialisés au sein de grandes universités polyvalentes et de recherche et grâce à la redéfinition des types d'établissement, l'Etat central a redéployée ses moyens en concentrant son effort financier sur un petit nombre d'établissements nationaux et de centres de recherche destinés à devenir des pôles d'excellence. A travers le classement annuel des universités mondiales élaborés par l‘université Jiaotong à Shanghai, devenu en moins de dix ans l'une des mesures les plus utilisées de la qualité des établissements universitaires, la Chine a réussi à imposer sur le marché mondial de nouveaux critères de mesure de la qualité lui permettant de porter en 2011 l'une des ses grande universités d'excellence, Tsinghua, dans le top 200 des universités mondiales.

 

Dans un entretien au Guardian en 2010, Richard C. Levin, président de l'université Yale, déclarait que « en moins de 25 ans, en une seule génération, les universités chinoises seront en compétions avec la Ivy league» Pourtant, malgré les succès rapides et la visibilité croissante de établissements chinois sur la scène internationale, les jeunes chinois qui en ont les moyens partent étudier à l'étranger. Le rapport annuel « Open doors » publié le 14 novembre 2011 par l'Institute of International Education (IIE) a livré des données qui confirment une tendance majeure. En 2010-2011 les États-Unis accueillaient 157,558 étudiants chinois, nombre en croissance de 23% par rapport à l'année précédente. Le flux à destination des États-Unis se concentre au niveau du master et du doctorat, et principalement dans les domaines de la gestion (28%) et des sciences de l'ingénieur (19%), suivis des sciences de la vie et de la terre (12%) et des mathématiques (11%). Seulement 8% choisissent les sciences humaines et sociales. Ces choix reflètent ceux des jeunes chinois en général, que ce soit dans leur pays ou à l'étranger. Si le gouvernement a pris conscience de l'importance d'une formation pluridisciplinaire et du développement d'un terreau académique favorable à la créativité et a l'éprit critique, cela passe aujourd'hui par l'introduction de quelques enseignements de sciences humaines et sociales au sein des filières scientifiques et de gestion, plus que par la revalorisation des humanités. Les meilleures universités, comme l'université de Pékin ou Fudan, ont crée des filières d'élite eu niveau licence, permettant ainsi aux meilleures élevés d'une génération d'obtenir une formation pluridisciplinaire sur le modèle du College of liberal arts nord-américain, avant de se s'engager dans une spécialisation.

Toujours dans cet esprit, l'enseignement de l'anglais s'est imposé dans toutes les formations et à tous les niveaux. Les séjours à l'étranger, en échange ou en double diplôme, se sont banalisés. Même si ces dynamiques sont à l'œuvre, elles sont encore fortement limitées par une relative pénurie de ressources qualifiées. Les professeurs formés outremer commencent à retourner en Chine pour s'y établir, mais ils demeurent en nombre largement insuffisant par rapport aux besoins à l'échelle nationale et gardent souvent une affiliation avec leur université d'origine à l'étranger. Certaines universités réussissent à lever les fonds nécessaires pour recruter des chercheurs de rang mondial, mais il s'agit généralement de séjours courts ou d'affiliations « de façade ». Rares sont aujourd'hui les professeurs ayant une reconnaissance académique mondiale qui choisissent d'intégrer durablement l'université chinoise. Le pays offre certes des possibilités de carrière plus rapide mais un environnement général et une qualité de vie moindre par rapport à d'autres pays. L'excessive sélectivité et rigidité du système éducatif primaire et secondaire, la pollution, l'insécurité croissante dans les grandes villes, les insuffisances du système de santé influencent le choix. L'attractivité des universités chinoises d'excellence s'exerce surtout auprès de ceux qui ont fait de la Chine leur objet d'étude ou qui s'intéressent à la Chine dans une dimension comparée. De la même façon, les étudiants qui choisissent d'effectuer une partie des études en Chine, sont majoritairement motivés par l'apprentissage de la langue et par la perspective de vivre dans le pays. Plus récemment, par le biais de doubles diplômes internationaux et de la création de programmes en anglais, des universités comme Tsinghua, Fudan, l'université de Pékin, l'université du Peuple, Tongji et Jiaotong réussissent à recruter des étudiants internationaux en gestion, sciences de l'ingénieur, sciences de l'environnement, relations internationales, droit, communication, journalisme. Les premières générations de « doublé diplômés » valorisent leur parcours sur le marché de l'emploi mais sont souvent déçu par la pédagogie et la qualité inégale des cours et des services, une liberté d'expression académique limitée lorsqu'il est question de politique intérieure.

Pour retenir une partie des jeunes chinois mais surtout pour bénéficier d'un transfert de savoir-faire, certaines universités américaines et anglaises ont été encouragées à s'implanter en Chine. Après Nottingham qui avait ouvert à Ningbo en 2004 et malgré les nombreuses controverses qui accompagnent l'ouverture de campus offshore, l'université de New York (NYU) a annoncé l'ouverture d'un campus à Shanghai en 2013. Il offrira des cursus complets et délivrera des diplômes internationalement reconnus. Les étudiants qui le peuvent préfèrent malgré tout tenter l'admission à l'étranger, sur le campus principal. Certaines familles s'installent dès le secondaire aux États-Unis pour donner à leurs enfants plus de chances d'être admis dans un College américain. D'autres universités, comme Berkeley, préfèrent ouvrir des centres de recherche ne délivrant pas de diplômes mais servant de plateforme pour la formation de jeunes ingénieurs, en partenariat avec l'université et l'industrie chinoise.

A travers une politique de reformes et d'ajustements progressifs, touchant le financement et l'autonomie des établissements, la Chine semble être en mesure d'affronter d'ici quelque années la concurrence mondiale. Toutefois, à coté de quelques pôles d'excellence, souvent liées aux plus grandes universités mondiales, la majorité des établissements connaît encore des problèmes de qualité, d'intégrité, de pénurie de ressourcés qualifiées et d'inadéquation par rapport aux besoins du marché de l'emploi. Retrouver la confiance des familles chinoises dans le système d'enseignement supérieur national sera le prochain défi des responsables politiques.

Alessia Lefébure

Alessia Lefébure dirige le programme Alliance à l'université Columbia, à New York. Rattachée au Centre de Sociologie des Organisations (CSO) à Sciences Po, elle a vécu et travaillé à Pékin entre 2001 et 2006, et s'intéresse aux politiques de l'enseignement supérieur en Chine et dans le monde.