La mastérisation peut-elle favoriser l’articulation entre recherche en éducation et formation des enseignants ?

Publié le : 14/10/2008

  • par Patrick Rayou, professeur à l’Université Paris 8

Patrick Rayou propose aux collègues impliqués dans la formation des
enseignants d’inventer des modalités d’accompagnement par la recherche
qui tiennent compte des difficultés réelles rencontrées par les jeunes
enseignants.

 Une des causes majeures des difficultés rencontrées par les IUFM dans l’organisation de circulations entre les résultats de la recherche en éducation et la formation provient de l’interdiction qui leur a été faite de disposer de laboratoires propres. On peut penser et espérer que leur universitarisation mettra fin à cette situation. À condition toutefois que cette opération ne soit pas guidée par des préoccupations qui ne partiraient pas du « coeur du métier », à savoir la formation de professionnels capables de faire face aux situations éducatives issues de la massification du système éducatif. Le pilotage de cette opération par un souci uniquement réglementaire de mise aux normes internationales doublé d’un calcul plus sordide d’économies faites sur les stages ne peut en tenir lieu. Non plus que la création d’un corps de possesseurs d’un master qui n’obtiendraient pas le concours et verraient leur situation précarisée. De même, une universitarisation négociée autour de « parts de marché » prises pas telle ou telle composante universitaire sans le souci de faire concourir tous les potentiels qui contribuent à la professionnalisation des enseignants vouerait l’entreprise à l’échec. Il faut donc partir d’une analyse de ce qui a marché et de ce qui n’a pas donné satisfaction dans cette articulation : la légitimité de la recherche, la nature des savoirs qu’elle propose, la manière d’organiser l’alternance entre les phases d’exercice et leur analyse.

Légitimité de la recherche

L’universitarisation peut contribuer à donner aux recherches en éducation et formation une légitimité qu’elles ont du mal à conquérir même lorsqu’elles sont particulièrement robustes. Des travaux comme ceux sur le redoublement, les « effets établissement » ou les malentendus dans les apprentissages par exemple demeurent méconnus ou peu intégrés dans les pratiques d’enseignement et de pilotage de l’école. Les sciences de l’éducation, bien que contribuant pour une part minime à la formation, sont fréquemment suspectées de dévoyer celle-ci. Les formés, de leur côté, pressés d’acquérir en une année de stage une culture professionnelle nouvelle, ont du mal à faire face à l’urgence et ne sont pas enclins à effectuer le pas de côté requis par une approche réflexive d’un autre type. On peut espérer que la mise en place des masters « enseignement » sera capable de marier sur la durée les logiques du concours et celle de la formation à et par la recherche. Ainsi pourraient être surmontées beaucoup de difficultés liées à l’actuelle successivité du mode de formation (on recrute, puis on forme professionnellement) qui conduit nombre de stagiaires à le réputer « infantilisant ». Les formateurs de l’IUFM, les enseignants-chercheurs des composantes disciplinaires ceux des sciences de l’éducation au sens large, doivent concourir, dès le niveau de la licence, à professionnaliser, chacun avec son apport propre, les futurs enseignants.

Nature des savoirs de la recherche

L’articulation entre recherche et formation suppose aussi que les savoirs issus de la recherche ne soient pas seulement « diffusés » aux futurs praticiens. Les savoirs nécessaires à l’exercice professionnel doivent en effet être « reproblématisés », selon l’expression de Jean-Louis Martinand. La situation actuelle ne s’y prête guère en raison de la successivité précédemment évoquée. Mais aussi parce que les résultats de recherche proposés aux formés peuvent parfois provenir de travaux académiques qui nécessiteraient d’être replacés en contexte. Il importe sans doute de développer les recherches contextualisées appelées par le rapport d’Antoine Prost que la création des IUFM a commencé à susciter mais qui n’ont pas constitué une masse critique suffisante du fait de la coupure entre équipes de recherche universitaire et équipes de formateurs. La mastérisation des candidats aux métiers de l’enseignement et de l’éducation ainsi que celle, progressive, des formateurs, va également appeler la rédaction d’un nombre important de mémoires dont les résultats et les éventuels prolongements en thèse seront de nature à éclairer les pratiques professionnelles à partir de théorisations en phase avec les réalités du métier.

Organisation de l’alternance

Une condition nécessaire à la réussite de l’articulation maintes fois proclamée mais peu réalisée entre recherche et formation tient aux conditions de l’alternance que sauront ou ne sauront pas réaliser les IUFM intégrés dans les universités. La situation actuelle est à bien des égards insatisfaisante car elle fait se succéder plus qu’elle ne met enphase les moments de pratique et ceux de réflexion. Les stagiaires préfèrent alors souvent les savoirs « de terrain », portés par des conseillers, des tuteurs ou des collègues dont ils voient les actes, à ceux, réputés plus surplombants, de formateurs qui ne leur paraissent pas toujours légitimes. Pressés par l’urgence, ils élaborent aussi souvent entre eux, dans les interstices de la formation, des « savoirs de contrebande » qui tiennent plus de la « rassurance » entre pairs que de la réponse sur le long terme aux problèmes rencontrés. Faute de créer les conditions d’une véritable alternance entre l’action professionnelle et sa reprise réflexive, nous risquons de favoriser la diffusion du modèle du compagnonnage qui, procédant par transmission et imitation de savoir-faire, n’est plus adéquat aujourd’hui. À nous d’inventer des modalités d’accompagnement par la recherche qui tiennent compte des difficultés réelles rencontrées par les jeunes enseignants tout autant que de leurs capacités à développer les savoirs professionnels requis par la démocratisation de l’école.