La recherche a payé un lourd tribut, il faut reconstruire

Publié le : 17/06/2012

La recherche a payé un lourd tribut, il faut reconstruire

par Daniel Steinmetz, secrétaire général du SNTRS-CGT

L'objectif prioritaire doit être de rompre avec la concurrence destructrice entre équipes de recherche et, corrélativement, de réaffirmer le rôle central des laboratoires. Ceux-ci doivent être mieux financés et leur vie démocratique développée.

Rarement un quinquennat n'aura été aussi catastrophique pour l'ensemble des travailleurs, y compris pour ceux du secteur de la recherche, que celui de Nicolas Sarkozy. Les différents gouvernements qui se sont succédé ont, en effet, réduit la liberté de recherche au profit d'un pilotage de plus en plus serré en faveur des industriels tout en réduisant les budgets consacrés aux organismes et aux universités. La recherche reposant sur des financements récurrents a disparu au profit exclusif d'une recherche sur contrats de projets financés par l'ANR et évaluée par l'AERES, avec pour conséquence l'explosion de la précarité qui représente maintenant 40 % des personnels de l'Inserm et environ 30 % de ceux du CNRS. L'instabilité chronique des collectifs de travail due à cette précarité massive se heurte à la nécessité de conserver pour un laboratoire les savoir-faire acquis par les personnels hautement qualifiés. La bataille pour un emploi stable et de qualité doit être au coeur de l'action syndicale.
Les organismes de recherche ont été réduits progressivement à de simples gestionnaires de
personnels. La création de structures technocratiques a complexifié le système, le rendant illisible. La LRU a conféré aux universités une autonomie limitée à une autonomie de gestion. L'asservissement aux entreprises s'est accru avec les Fondations de Coopérations Scientifiques auxquelles les universités sont adossées et qui seront de fait contrôlées par des entreprises privées. Le Grand Emprunt est venu complexifier plus encore le système en créant sous couvert d'excellence toute une série de structures dont les directions constituent un déni de démocratie. Ces structures dites d'excellence sont de très puissants outils de restructuration de l'enseignement et de la recherche au profit des seuls industriels. Elles doivent être combattues.

Reconstruire : comment ?

Il est temps de rompre définitivement avec les orientations catastrophiques des années passées. Il faut des changements législatifs rapides (abrogation de la LRU, du Pacte pour la recherche, de l'AERES, etc.). Mais il faut aussi des mesures immédiates, dont en particulier un collectif budgétaire qui transférera dans les EPST et les universités des crédits affectés à l'ANR et au Crédit d'Impôt Recherche pour en faire des crédits récurrents. Cela doit permettre d'empêcher l'asphyxie financière des établissements, de recréer les postes supprimés et de stabiliser le plus possible de précaires. Il faudra aussi annuler les conventions Idex déjà signées. En tant que syndicat des EPST, nous demandons pour ceux-ci le rétablissement de leur vocation à assurer la cohérence nationale de l'effort de recherche publique. Le SNTRS-CGT refuse que le rôle des organismes de recherche se réduise à celui d'agences de moyens, il demande le rétablissement des prérogatives des EPST en matière d'évaluation, de prospective et de financement.
Il faut mettre fin à la concurrence destructrice entre équipes de recherche et réaffirmer le rôle central du laboratoire qui est la structure de base où se pratiquent la recherche ainsi que la formation à et par la recherche, le lieu où se stabilisent les savoirs et les techniques. Les laboratoires, et notamment les UMR, doivent être nettement mieux financés et leur vie démocratique doit être développée.
Nous assistons à l'échec de la stratégie élaborée à Lisbonne en 2000 qui visait à réorganiser la recherche pour aider les groupes privés à prendre des positions dominantes sur les marchés. L'objectif des 3 % du PIB consacré à la recherche n'a pas été tenu, faute d'investissements du secteur privé et de l'État. Et avec 300 000 pertes d'emplois directs et induits enregistrées ces cinq dernières années, l'industrie ne représente plus en France que 11 % des emplois.
Si, pour la CGT, la recherche fondamentale doit rester au coeur des politiques publiques, ces dernières ont également vocation à développer les connaissances dans des domaines plus appliqués et technologiques. Cette place, dévolue aux EPIC et à certains EPST, peut être aussi occupée par des équipes du CNRS et des universités. Il faut développer des coopérations équilibrées entre la recherche publique et les entreprises sans accepter de faire dans le public le travail des centres de recherche industriels.
D'autres solutions que le dégrèvement fiscal doivent permettre d'inciter les entreprises à la recherche. Une véritable politique industrielle de l'État ne peut pas se résumer à des aides fiscales sans contrepartie. Elle nécessite d'autres choix économiques et politiques. 

Quelques mots d'Alain Trautmann

 

Fondateur et ex-porte-parole du mouvement Sauvons la Recherche, Alain Trautmann est biologiste. Il dirige le département Immunologie et hématologie de l'Institut Cochin et il est également coresponsable de l'équipe de recherche Activation lymphocytaire et synapse immunologique. Lauréat 2010 de la
médaille d'argent du CNRS, il a refusé la prime financière attachée à cette distinction. Il est membre élu du Conseil scientifique du CNRS 

Quels premiers changements sont selon toi indispensables dans le financement de la recherche ?
L'asphyxie financière du CNRS a été organisée de façon consciencieuse et méthodique par N. Sarkozy et V. Pécresse. Il est urgent de donner de l'air à cet organisme de recherche. Il pourrait être fait appel sans tarder à un transfert de fonds de l'ANR et à un collectif budgétaire. Dans un deuxième temps, j'espère que les Assises de l'Enseignement supérieur et de la Recherche proposeront un rééquilibrage entre les financements sur appels d'offre et les financements de base (encadrés par les contrats quadriennaux ou quinquennaux des laboratoires avec les organismes de recherche et les universités).
 

Tu as fait partie des organisateurs des États généraux de Grenoble via le Comité d'Initiatives et de Propositions. Quelle est selon cette expérience, la bonne «distance» entre le ministère et les organisateurs/rapporteurs de futures Assises ? Quels moyens ?
Concernant les Assises de l'ESR de cet automne, on peut comprendre que si le ministère s'engage à prendre en compte les conclusions de ces Assises, il souhaite aussi encadrer la discussion. C'est une démarche responsable et légitime, à condition que ce cadrage ne soit pas un corset. Il serait regrettable et contre-productif que les Assises servent uniquement à valider un projet et des conclusions préemptées. Il devra donc y avoir des dispositifs permettant une réelle diffusion des débats locaux (a priori sur un ou des sites web) et une remontée des principales conclusions qui pourraient émerger, même si ces dernières n'apparaissaient pas dans les propositions initiales. Il serait très souhaitable qu'une version provisoire du rapport final soit soumise au débat public, afin que les acteurs de l'ESR se reconnaissent dans les conclusions de ces Assises.
Propos recueillis par Jean Fabbri