Le Monde : Formation des professeurs : parents d'élèves, si vous saviez...

Publié le : 10/02/2009


 

Point de vue

Formation des professeurs : parents d'élèves, si vous saviez...

LE MONDE | 10.02.09 | 14h12  •  Mis à jour le 10.02.09 | 14h12

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projet de réforme de la formation des maîtres entraînera un dramatique
recul pour notre école publique. Qu'on en juge ! Aujourd'hui, après la
licence et une année de préparation du concours, les lauréats ont le
statut de professeur stagiaire.

Ils sont rémunérés durant leur
cinquième année d'étude et leur formation se déroule en alternance dans
des écoles internes d'universités, les instituts universitaires de
formation des maîtres (IUFM) et dans des établissements scolaires.
C'est ainsi que les futurs professeurs des écoles se voient confier des
élèves, en pleine responsabilité, lors de stages occupant un tiers de
l'année, dans trois classes différentes.

Ce n'est pas parfait. Cette formation est
trop courte, elle souffre d'une insuffisante prise en compte des gestes
professionnels, d'une trop faible articulation entre la pratique et les
apports qui l'éclairent (savoirs disciplinaires, didactique, pédagogie,
psychologie, sociologie, histoire de l'école...). Nous ne nous
satisfaisons donc pas du statu quo : il faudrait concevoir une
formation professionnelle plus longue, qui donne toute sa place à la
formation universitaire et joue à fond la carte de l'alternance.

Fallait-il
donc rayer d'un trait de plume le système actuel, sans aucune
évaluation préalable, et le remplacer aussi vite par un autre,
différent et sans équivalent ailleurs ? Qu'il faille dispenser une
formation disciplinaire de large spectre aux futurs enseignants dans
les deux années suivant la licence pour les rendre capables d'intégrer
de nouvelles connaissances dans leur enseignement tout au long de leur
carrière, cela fait consensus. Qu'il faille renforcer leur formation
sur les plans didactique et pédagogique, cela aussi est incontestable.
Et que l'on reconnaisse ce plus haut niveau de formation par la
délivrance d'un master en est une suite logique. Mais la condition
impérative pour que cela soit possible, c'est le maintien de la
formation par alternance. Or ce n'est pas du tout ce que prévoit le
nouveau dispositif, applicable dès septembre.

Pendant leur
formation, les étudiants ne disposeront au mieux que d'un mois de stage
pour s'exercer au métier, mais tous n'en bénéficieront pas car il n'est
pas obligatoire d'en prévoir dans le cursus. Et comment le pourrait-on
quand le ministère promet 40 000 stages pour... 150 000 étudiants ?
Heureusement d'ailleurs pour les rectorats, bien incapables de répondre
à la demande, notamment dans les académies qui ont le plus de candidats.

Et
même quand les étudiants auront un stage, leur obsession légitime sera
de réussir le concours : ses épreuves se situent en janvier et juin de
la 2e année de master. Et il est évident que leur
préparation empêchera aussi de s'engager dans les recherches qu'exige
le mémoire de master.

Ensuite, après cette "formation", les
débutants devront assurer seuls, sans accompagnement véritable, un
enseignement à plein temps à l'année. Ainsi le professeur des écoles
qui aura fait un stage d'un mois (dans le meilleur des cas) au CM1
pourra se voir confier, sans expérience préalable, un CP ou une classe
de maternelle ! Et le jeune professeur de maths ou d'histoire qui aura
pu s'entraîner quelques heures (mais pas toujours) dans une classe de 1re devra enseigner d'emblée à cinq ou six classes allant de la 6e à la 3e dans un collège de banlieue ! Premiers pas inoubliables dans le métier...

Donnerait-on
le permis de conduire à des candidats qui n'auraient jamais pris le
volant ? Que dirait-on d'une formation d'infirmières qui apprendraient
dans les livres à faire les piqûres ? C'est pourtant ce que le
ministère s'apprête à décréter. Les conséquences sont hélas prévisibles
: les débutants auront du mal à gérer la classe et, malgré eux, ils
mettront souvent leurs élèves en difficulté. Les inspecteurs et les
chefs d'établissement seront submergés de plaintes, le pourcentage de
démissionnaires augmentera, on créera des "cellules de soutien
psychologique"...

Cette réforme réussit par ailleurs le tour de
force de susciter simultanément de légitimes inquiétudes quant au
niveau de maîtrise des disciplines par les futurs enseignants,
notamment en raison d'une conception hybride des épreuves des concours.
La réduction de leur nombre (pour faire des économies) empêchera de
s'assurer que les lauréats maîtrisent bien les savoirs et compétences
nécessaires pour enseigner les disciplines scolaires. Le comble est
atteint avec le concours de professeurs des écoles, qui n'aura plus
d'épreuve pour vérifier de façon fiable leur capacité à enseigner le
français !

Enseigner est un métier qui s'apprend, et qui
s'apprend continûment, en même temps qu'une fonction sociale qui exige
une permanente mise à jour des connaissances. Or, non seulement le
projet ne dit rien de la formation continue des professeurs du
secondaire, déjà si restreinte, mais il la met en péril dans le
primaire. En effet, actuellement, les professeurs des écoles peuvent
bénéficier de la formation continue parce que, lors des stages de
formation initiale, leurs jeunes collègues les remplacent dans leur
classe. En divisant par trois la durée de ces stages, on anéantit la
formation continue. On tourne le dos aux conditions du progrès de
l'école.

La logique globale semble d'abord budgétaire : la
suppression du statut de fonctionnaire stagiaire rémunéré équivaut à un
plan social de 20 000 postes. Ce sera aux familles de payer les
études... Du moins, celles qui le pourront. Cette logique est injuste.

Mais
le projet met aussi à mal l'égalité territoriale. Le caractère national
des concours est fragilisé, dans les départements ruraux, l'existence
des sites IUFM installés dans les anciennes Ecoles normales est menacée
et le gouvernement a engagé les universités dans une concurrence
sauvage : on ne peut plus être sûr qu'on formera les mêmes enseignants
d'une région à l'autre ou au sein d'une même région tant les
conceptions du métier varient d'un projet à l'autre.

Est ainsi en
train de se rompre le lien consubstantiel établi depuis Jules Ferry
entre l'école, les maîtres et la République, celui d'une formation
définie et maîtrisée par l'Etat. Nous assistons à la dénationalisation
de la formation des maîtres, le coeur de l'école publique. Pourquoi les
citoyens ne sont-ils pas informés de cette réforme essentielle ?
Pourquoi le Parlement n'en est-il pas saisi ?

Depuis l'automne,
ce projet fait l'unanimité contre lui. La plupart des universités ont
demandé un moratoire pour permettre que s'engage une négociation
sérieuse autour d'une vraie réforme, plus nécessaire que jamais, à un
moment où le métier est de plus en plus difficile. Mais elles ne sont
pas entendues.

Pour l'instant, cette obstination a un résultat
évident : la pagaille dans le monde universitaire. Le retour des
projets de master est imposé pour le 15 février, mais les dernières
précisions du ministère datent du 15 janvier et les textes officiels
sur les épreuves des concours ne sont toujours pas parus...

Que
faire devant tant d'irresponsabilité et tant d'irrespect envers les
acteurs de la formation ? Au regard des délais, il n'y a plus d'autre
solution : les parents d'élèves, appuyés par les parlementaires et les
élus locaux attachés à la qualité de notre école, doivent demander
l'arrêt d'urgence de ce train fou. Nous en sommes convaincus, le
gouvernement devra alors cesser de s'entêter et retirer sa "réforme",
maintenir une année de plus les concours actuels, prendre le temps
d'évaluer l'existant et organiser l'indispensable négociation. C'est
l'esprit républicain et c'est le simple bon sens. Mais il faut agir
vite.

 


Sylvie Clabecq, professeur IUFM Pays de Loire, université de Nantes ;
Guy Couarraze, président de l'université Paris-Sud-XI ;
Claudine Garcia-Debanc, professeur des universités, IUFM de Midi-Pyrénées, université Toulouse-II-Le Mirail ;
Sylvain Grandserre, professeur des écoles, directeur (Seine-Maritime), prix Louis Cros 2007 ;
Hervé Hamon, écrivain, auteur de "Tant qu'il y aura des profs" et éditeur ;
Jean-Jacques Hazan, président de la Fédération des conseils de parents d'élèves de l'école publique ;
Philippe Joutard, historien, ancien recteur ;
Jean-Pierre Kahane, mathématicien, membre de l'Académie des sciences ;
Georges Molinié, président de l'université Paris-IV (Sorbonne) ;
André Ouzoulias, professeur agrégé, IUFM de Versailles, université de Cergy-Pontoise ;
Sylvie Plane, professeur des universités, IUFM de Paris, université Paris-IV.

Article paru dans l'édition du 11.02.09