Les recherches en lettres, sciences humaines et sociales vues par elles-mêmes
Les recherches en lettres, sciences humaines et sociales vues par elles-mêmes
Les objets de nos disciplines ne se prêtent pas à l’approche en termes de réponses à des demandes sociales. Les financements devraient donc encourager les travaux de fond et le développement d’axes éloignés des modes médiatiques et des traditions nationales.
Souvent mises en cause par les standards actuels faits d’utilité, de transferts et autres professionnalisation, les Lettres, Sciences Humaines et Sociales (LSHS) semblent résister difficilement sous les coups de boutoir du néo-libéralisme ambiant, quand elles ne s’interrogent pas sur leur degré de scientificité. Sur la moyenne durée pourtant, ce secteur est loin d’afficher une faiblesse structurelle, comme le montrent les recherches de Christophe Charle(1).
En 2002, il employait 29 000 personnes. Quarante ans plus tôt, dans les années 1960, il n’en comptait qu’un peu plus de 3 000, dont 820 chercheurs CNRS, 2 000 enseignantschercheurs et 300 dans les grands établissements. Entre ces deux dates, la croissance a été continue, même si elle a connu des paliers. Ainsi, entre 1986 et 2005, le nombre des maîtres de conférences et professeurs des universités en LSHS a doublé. Cet accroissement n’a pas été sans effet. Il a ainsi entraîné une multiplication des spécialités et des sous-spécialités et l’apparition de disciplines dont les perspectives épistémologiques sont nouvelles. Désormais, certaines sciences humaines et sociales se définissent par rapport à leur objet (la ville), d’autres par rapport à une technique (communication), tandis que d’autres se définissent avant tout par une approche théorique. Par ailleurs, l’économie ou la psychologie tendent à se rapprocher des sciences expérimentales ou duSouvent mises en cause par les standards actuels faits d’utilité, de transferts et autres professionnalisation, les Lettres, Sciences Humaines et Sociales (LSHS) semblent résister difficilement sous les coups de boutoir du néo-libéralisme ambiant, quand elles ne s’interrogent pas sur leur degré de scientificité. Sur la moyenne durée pourtant, ce secteur est loin d’afficher une faiblesse structurelle, comme le montrent les recherches de Christophe Charle(1). En 2002, il employait 29 000 personnes. Quarante ans plus tôt, dans les années 1960, il n’en comptait qu’un peu plus de 3 000, dont 820 chercheurs CNRS, 2 000 enseignantschercheurs et 300 dans les grands établissements. Entre ces deux dates, la croissance a été continue, même si elle a connu des paliers. Ainsi, entre 1986 et 2005, le nombre des maîtres de conférences et professeurs des universités en LSHS a doublé. Cet accroissement n’a pas été sans effet. Il a ainsi entraîné une multiplication des spécialités et des sous-spécialités et l’apparition de disciplines dont les perspectives épistémologiques sont nouvelles. Désormais, certaines sciences humaines et sociales se définissent par rapport à leur objet (la ville), d’autres par rapport à une technique (communication), tandis que d’autres se définissent avant tout par une approche théorique. Par ailleurs, l’économie ou la psychologie tendent à se rapprocher des sciences expérimentales ou du formalisme mathématique. Cette dernière évolution explique pourquoi les sciences traditionnelles craignent la marginalisation, tant leurs objets semblent ne pas se prêter à l’approche technocratique en demande de recherches appliquées et de réponses à des demandes sociales.
Un empilement de structures
La situation est donc loin d’être homogène, d’autant que la pluralité des statuts n’est pas sans effet. Un cinquième des chercheurs et enseignants- chercheurs de LSHS sont au CNRS, dans des organismes de recherche et dans de grands établissements. Cette dissociation est ancienne. Elle remonte à 1868, Victor Duruy créant l’École pratique des hautes études pour apporter une solution aux carences de l’université du moment. A partir des années 1930, pour les mêmes raisons, de nouveaux organismes sont créés, le CNRS en 1939, l’INED en 1941 et la VIème section de l’EPHE. La justification pour le recrutement de nouveaux chercheurs à plein temps en LSHS était double : la réalisation de grands projets d’érudition ; le soutien aux disciplines nouvelles qui n’avaient pas encore leur public. Une très forte concentration à Paris en a résulté. En outre, à partir de 1966, la politique du CNRS met en place des laboratoires associés, sur la base d’une coopération avec des universités et de certains grands établissements. En réponse à cette tutelle de la recherche sur l’université, le ministère de l’Enseignement Supérieur met en place à partir de 1977 des politiques scientifiques d’établissement et la création d’équipes indépendantes du CNRS. Le résultat est un empilement de structures et de tutelles, un nombre d’équipes considérable, auxquels s’ajoute la multiplication des disciplines et des bailleurs de fonds.
Un modèle inadapté
Si ces problèmes sont anciens, le Pacte de la recherche en avril 2006 et la loi LRU de 2007 notamment n’ont pas cherché à les résoudre. Au contraire, ces dispositions législatives les ont amplifiés. Les politiques ancienne et actuelle ont consisté et consistent dans l’application des structures propres aux sciences expérimentales aux LSHS. Ainsi, la réussite s’évalue désormais en termes de moyens obtenus, supposant des équipements lourds, du travail collectif, l’ouverture internationale et des transferts vers la société. Cette norme devient dominante et les projets déposés s’en nourrissent, sous peine d’être refusés. L’Agence Nationale pour la Recherche, créée par le gouvernement Raffarin, et son corollaire, la diminution des financements récurrents, imposent une culture du contrat, de la recherche par projet, répondant à une demande sociale, en l’occurrence une demande de l’État, des collectivités territoriales et des entreprises. Dès la thèse, les financements orientent les travaux, alors même que leur allocation ne répond pas toujours à une stricte logique scientifique ; pour ne rien dire des bourses financées par des entreprises ou des collectivités territoriales.
Certes, en LSHS, les doctorant(e)s ne reçoivent dans leur grande majorité aucun financement (75 %). Les thèse s’auto-financent, sur la base d’un surtravail permanent qui n’est pas sans conséquence sur le résultat final. En sus, cette liberté est relative, comme en témoigne le maintien de la hiérarchie des sujets. Par exemple en histoire, l’européocentrisme, le franco-centrisme et le parisiano- centrisme continuent de dominer(2). Les différents rapports des organismes d’évaluation de la recherche consultés à partir des années 1960 soulignent la très forte spécialisation en histoire de France de la production historique française, soit les trois quarts. La moitié des historiens de l’époque moderne et contemporaines sont, de même, des spécialistes de l’histoire de France. Les obligations liées à la thèse d’État et maintenant à la thèse nouveau régime, toutes deux souvent construites autour d’un corpus documentaire pré-établi, expliquent en partie cet état de fait ; elles sont plus faciles à remplir en France ou dans des pays proches culturellement. En LSHS, la concentration des ressources documentaires à Paris et dans quelques grandes villes universitaires a une forte incidence sur les sujets traités. Rappelons que les personnels CNRS étudiant ce domaine et situés en Île-de-France représentent à peu près 60 % du personnel total, dont 40 % à Paris même ; sans compter toutes celles et ceux qui, résidant en région parisienne, travaillent dans des universités sises en région.
La décentralisation, en l’occurrence le rôle des collectivités territoriales comme les régions, a pu exercer un effet correctif sur cette situation, notamment pour les disciplines les plus en rapport avec le présent, comme la sociologie ou l’anthropologie. Pour autant, cette correction se fait au détriment de l’autonomie scientifique car elle suppose de fonder des démarches de recherche sur la demande sociale et politique, réduite au territoire. En histoire au contraire, elle a moins d’effets puisqu’elle imposerait une forte réduction à des travaux sur des objets fortement localisés. Mais d’autres influences se font sentir à l’échelle régionale et locale. Les administrations des archives et des bibliothèques, les différents festivals, les musées ou bien encore les fouilles archéologiques affectent la recherche historique.
Portée et limites des incitations globales
Les problèmes évoqués sont connus depuis longtemps. Leur évocation récurrente dans les rapports consacrés à l’enseignement supérieur et la recherche pourrait amener à douter de la possible efficacité des politiques en la matière. Or il est des exemples qui attestent le contraire. Certains sujets sont devenus des thématiques de recherche reconnues du fait d’une intervention volontariste. Par exemple, l’histoire de l’éducation a bénéficié de la création d’un centre de recherche autonome par le ministère de l’Éducation Nationale. D’autres cas pourraient être cités, résultant d’appels d’offres du CNRS ou du lancement de grandes enquêtes en sciences sociales. Toute incitation globale n’est donc pas à rejeter. Toutefois, ces incitations peuvent également produire des rigidités liées à l’importation du modèle des sciences expérimentales en LSHS. Le regroupement des unités de recherche sur le modèle des laboratoires de sciences expérimentales renforce ainsi la tendance à la bureaucratisation et crée un nouveau risque, la mise de ces nouvelles structures au service de quelques équipes.
De plus, en concentrant les moyens financiers, ces incitations freinent l’émergence de nouveaux questionnements. Il faut alors biaiser pour obtenir des financements en adaptant, plus ou moins formellement, les projets aux demandes officielles. L’une des manifestions les plus nettes de ce biais est la multiplication des journées d’études et autres colloques, rencontres au cours desquelles la juxtaposition de recherches déjà faites qui voisinent parfois avec des recherches actuelles ne constitue pas une véritable incitation à l’élaboration de problématiques collectives. Cette politique au coup par coup est soutenue par les services financiers des universités qui découragent les financements pluri-annuels et par les doctorant(e)s ou post-docs voyant dans l’organisation de ce type de manifestation un moyen de renforcer un C.V. ou de constituer un réseau dans la perspective d’un recrutement ultérieur, pour ne rien dire des incitations liées aux multiples commémorations organisées par les autorités politiques nationales et territoriales ou par quelques grandes fondations.
Pistes pour de futures réformes
Ce bilan suggère des réflexions sur le fonctionnement actuel et quelques pistes pour de futures réformes. À l’évidence, le modèle des sciences expérimentales, celui du grand laboratoire, n’est pas adapté au LSHS. Les logiques d’appel à projet (programmes blancs de l’ANR…) amènent à privilégier les rassemblements de circonstance quand il conviendrait plutôt de partir des demandes des équipes existantes. Les financements devraient encourager les travaux de fond et le développement d’axes éloignés des modes médiatiques et des traditions nationales. Il n’y a donc pas d’opposition entre l’autonomie de la science et l’existence d’une politique scientifique, à condition que les pouvoirs publics consentent à tenir compte des enseignements... des LSHS !
(1) Nombre d’informations reprises ici proviennent de l’article de Christophe Charle, « L’organisation de la recherche en sciences sociales en France depuis 1945 : bref bilan historique et critique », Revue d’histoire moderne et contemporaine 55, 2008, 80-97.
(2) Cf. Chr. Charle, Homo Historicus. Réflexions
sur l’histoire, les historiens et les sciences sociales,Paris,2013,27-46