Les recherches en lettres, sciences humaines et sociales vues par elles-mêmes

Publié le : 19/03/2013


Les recherches en lettres, sciences humaines
et sociales vues par elles-mêmes

 par Christophe Pébarthe, MCF HDR en histoire ancienne, université de Bordeaux 3

Les objets de nos disciplines ne se prêtent pas à l’approche en termes de réponses à des
demandes sociales. Les financements devraient donc encourager les travaux de fond et
le développement d’axes éloignés des modes médiatiques et des traditions nationales.

Souvent mises en cause par les standards
actuels faits d’utilité, de transferts et autres
professionnalisation, les Lettres, Sciences
Humaines et Sociales (LSHS) semblent résister
difficilement sous les coups de boutoir du
néo-libéralisme ambiant, quand elles ne s’interrogent
pas sur leur degré de scientificité.
Sur la moyenne durée pourtant, ce secteur est
loin d’afficher une faiblesse structurelle,
comme le montrent les recherches de Christophe
Charle(1). 

En 2002, il employait 29 000 personnes. Quarante
ans plus tôt, dans les années 1960, il
n’en comptait qu’un peu plus de 3 000, dont
820 chercheurs CNRS, 2 000 enseignantschercheurs
et 300 dans les grands établissements.
Entre ces deux dates, la croissance a
été continue, même si elle a connu des
paliers. Ainsi, entre 1986 et 2005, le nombre
des maîtres de conférences et professeurs des
universités en LSHS a doublé. Cet accroissement
n’a pas été sans effet. Il a ainsi entraîné
une multiplication des spécialités et des sous-spécialités
et l’apparition de disciplines dont
les perspectives épistémologiques sont nouvelles.
Désormais, certaines sciences
humaines et sociales se définissent par rapport
à leur objet (la ville), d’autres par rapport
à une technique (communication), tandis
que d’autres se définissent avant tout par
une approche théorique. Par ailleurs, l’économie
ou la psychologie tendent à se rapprocher
des sciences expérimentales ou duSouvent mises en cause par les standards
actuels faits d’utilité, de transferts et autres
professionnalisation, les Lettres, Sciences
Humaines et Sociales (LSHS) semblent résister
difficilement sous les coups de boutoir du
néo-libéralisme ambiant, quand elles ne s’interrogent
pas sur leur degré de scientificité.
Sur la moyenne durée pourtant, ce secteur est
loin d’afficher une faiblesse structurelle,
comme le montrent les recherches de Christophe
Charle(1).
En 2002, il employait 29 000 personnes. Quarante
ans plus tôt, dans les années 1960, il
n’en comptait qu’un peu plus de 3 000, dont
820 chercheurs CNRS, 2 000 enseignantschercheurs
et 300 dans les grands établissements.
Entre ces deux dates, la croissance a
été continue, même si elle a connu des
paliers. Ainsi, entre 1986 et 2005, le nombre
des maîtres de conférences et professeurs des
universités en LSHS a doublé. Cet accroissement
n’a pas été sans effet. Il a ainsi entraîné
une multiplication des spécialités et des sous-spécialités
et l’apparition de disciplines dont
les perspectives épistémologiques sont nouvelles.
Désormais, certaines sciences
humaines et sociales se définissent par rapport
à leur objet (la ville), d’autres par rapport
à une technique (communication), tandis
que d’autres se définissent avant tout par
une approche théorique. Par ailleurs, l’économie
ou la psychologie tendent à se rapprocher
des sciences expérimentales ou du formalisme mathématique. Cette dernière
évolution explique pourquoi les sciences
traditionnelles craignent la marginalisation,
tant leurs objets semblent ne pas se prêter à
l’approche technocratique en demande de
recherches appliquées et de réponses à des
demandes sociales. 

Un empilement de structures 

 

La situation est donc loin d’être homogène,
d’autant que la pluralité des statuts n’est pas
sans effet. Un cinquième
des chercheurs et enseignants-
chercheurs de LSHS
sont au CNRS, dans des
organismes de recherche et
dans de grands établissements.
Cette dissociation est
ancienne. Elle remonte à
1868, Victor Duruy créant
l’École pratique des hautes
études pour apporter une
solution aux carences de
l’université du moment. A
partir des années 1930, pour les mêmes raisons,
de nouveaux organismes sont créés, le
CNRS en 1939, l’INED en 1941 et la VIème
section de l’EPHE. La justification pour le
recrutement de nouveaux chercheurs à plein
temps en LSHS était double : la réalisation de
grands projets d’érudition ; le soutien aux
disciplines nouvelles qui n’avaient pas encore
leur public. Une très forte concentration à Paris en a résulté. En outre, à partir de 1966,
la politique du CNRS met en place des laboratoires
associés, sur la base d’une coopération
avec des universités et de certains grands
établissements. En réponse à cette tutelle de
la recherche sur l’université, le ministère de
l’Enseignement Supérieur met en place à
partir de 1977 des politiques scientifiques
d’établissement et la création d’équipes indépendantes
du CNRS. Le résultat est un empilement
de structures et de tutelles, un nombre
d’équipes considérable, auxquels
s’ajoute la multiplication
des disciplines et des
bailleurs de fonds. 

Un modèle inadapté 

 

Si ces problèmes sont
anciens, le Pacte de la
recherche en avril 2006 et la
loi LRU de 2007 notamment
n’ont pas cherché à les
résoudre. Au contraire, ces
dispositions législatives les
ont amplifiés. Les politiques ancienne et
actuelle ont consisté et consistent dans l’application
des structures propres aux sciences
expérimentales aux LSHS. Ainsi, la réussite
s’évalue désormais en termes de moyens
obtenus, supposant des équipements lourds,
du travail collectif, l’ouverture internationale
et des transferts vers la société. Cette norme
devient dominante et les projets déposés
s’en nourrissent, sous peine d’être refusés.
L’Agence Nationale pour la Recherche, créée
par le gouvernement Raffarin, et son corollaire,
la diminution des financements récurrents,
imposent une culture du contrat, de la
recherche par projet, répondant à une
demande sociale, en l’occurrence une
demande de l’État, des collectivités territoriales
et des entreprises. Dès la thèse, les
financements orientent les travaux, alors
même que leur allocation ne répond pas
toujours à une stricte logique scientifique ;
pour ne rien dire des bourses financées par
des entreprises ou des collectivités territoriales. 

Certes, en LSHS, les doctorant(e)s ne reçoivent
dans leur grande majorité aucun financement
(75 %). Les thèse s’auto-financent, sur
la base d’un surtravail permanent qui n’est pas sans conséquence sur le résultat final. En
sus, cette liberté est relative, comme en
témoigne le maintien de la hiérarchie des
sujets. Par exemple en histoire, l’européocentrisme,
le franco-centrisme et le parisiano-
centrisme continuent de dominer(2). Les
différents rapports des organismes d’évaluation
de la recherche consultés à partir des
années 1960 soulignent la très forte spécialisation
en histoire de France de la production
historique française, soit les trois quarts.
La moitié des historiens de l’époque moderne
et contemporaines sont, de même, des spécialistes
de l’histoire de France. Les obligations
liées à la thèse d’État et maintenant à la
thèse nouveau régime, toutes deux souvent
construites autour d’un corpus documentaire
pré-établi, expliquent en partie cet état
de fait ; elles sont plus
faciles à remplir en
France ou dans des pays
proches culturellement.
En LSHS, la concentration
des ressources documentaires
à Paris et dans
quelques grandes villes
universitaires a une forte
incidence sur les sujets
traités. Rappelons que les
personnels CNRS étudiant
ce domaine et situés en
Île-de-France représentent
à peu près 60 % du personnel total,
dont 40 % à Paris même ; sans compter
toutes celles et ceux qui, résidant en région
parisienne, travaillent dans des universités
sises en région. 

La décentralisation, en l’occurrence le rôle
des collectivités territoriales comme les
régions, a pu exercer un effet correctif sur
cette situation, notamment pour les disciplines
les plus en rapport avec le présent,
comme la sociologie ou l’anthropologie. Pour
autant, cette correction se fait au détriment de l’autonomie scientifique car elle suppose de
fonder des démarches de recherche sur la
demande sociale et politique, réduite au territoire.
En histoire au contraire, elle a moins
d’effets puisqu’elle imposerait une forte
réduction à des travaux sur des objets fortement
localisés. Mais d’autres influences se
font sentir à l’échelle régionale et locale. Les
administrations des archives et des bibliothèques,
les différents festivals, les musées ou
bien encore les fouilles archéologiques affectent
la recherche historique. 

Portée et limites
des incitations globales 

 

Les problèmes évoqués sont connus depuis
longtemps. Leur évocation récurrente dans les
rapports consacrés à l’enseignement supérieur
et la recherche
pourrait amener à douter
de la possible efficacité
des politiques en la
matière. Or il est des
exemples qui attestent le
contraire. Certains sujets
sont devenus des thématiques
de recherche
reconnues du fait d’une
intervention volontariste.
Par exemple, l’histoire de
l’éducation a bénéficié
de la création d’un centre
de recherche autonome par le ministère de
l’Éducation Nationale. D’autres cas pourraient
être cités, résultant d’appels d’offres du
CNRS ou du lancement de grandes enquêtes
en sciences sociales. Toute incitation globale
n’est donc pas à rejeter. Toutefois, ces
incitations peuvent également produire des
rigidités liées à l’importation du modèle des
sciences expérimentales en LSHS. Le regroupement
des unités de recherche sur le
modèle des laboratoires de sciences expérimentales
renforce ainsi la tendance à la bureaucratisation et crée un nouveau risque,
la mise de ces nouvelles structures au service
de quelques équipes. 

De plus, en concentrant les moyens financiers,
ces incitations freinent l’émergence de
nouveaux questionnements. Il faut alors biaiser
pour obtenir des financements en adaptant,
plus ou moins formellement, les projets
aux demandes officielles. L’une des manifestions
les plus nettes de ce biais est la
multiplication des journées d’études et autres
colloques, rencontres au cours desquelles la
juxtaposition de recherches déjà faites qui
voisinent parfois avec des recherches
actuelles ne constitue pas une véritable incitation
à l’élaboration de problématiques collectives.
Cette politique au coup par coup est
soutenue par les services financiers des universités
qui découragent les financements
pluri-annuels et par les doctorant(e)s ou
post-docs voyant dans l’organisation de ce
type de manifestation un moyen de renforcer
un C.V. ou de constituer un réseau dans
la perspective d’un recrutement ultérieur,
pour ne rien dire des incitations liées aux
multiples commémorations organisées par
les autorités politiques nationales et territoriales
ou par quelques grandes fondations. 

Pistes pour de futures réformes 

 

Ce bilan suggère des réflexions sur le fonctionnement
actuel et quelques pistes pour de
futures réformes. À l’évidence, le modèle
des sciences expérimentales, celui du grand
laboratoire, n’est pas adapté au LSHS. Les
logiques d’appel à projet (programmes blancs
de l’ANR…) amènent à privilégier les rassemblements
de circonstance quand il
conviendrait plutôt de partir des demandes
des équipes existantes. Les financements
devraient encourager les travaux de fond et
le développement d’axes éloignés des modes
médiatiques et des traditions nationales. Il n’y
a donc pas d’opposition entre l’autonomie de
la science et l’existence d’une politique scientifique,
à condition que les pouvoirs publics
consentent à tenir compte des enseignements...
des LSHS !  

 

(1) Nombre d’informations reprises ici proviennent
de l’article de Christophe Charle, « L’organisation
de la recherche en sciences sociales en
France depuis 1945 : bref bilan historique et critique
», Revue d’histoire moderne et contemporaine
55, 2008, 80-97. 

(2) Cf. Chr. Charle, Homo Historicus. Réflexions
sur l’histoire, les historiens et les sciences sociales,
Paris,2013,27-46