Des moyens pour l'univ.?

Tribune de Jean Fabbri parue dans les pages Point de vue du daté du 30 août 2006
29/08/2006
Auteur(s) :
Jean Fabbri, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-FSU
Des moyens pour l'université,
Dans Le Monde du 14 juillet, François Goulard, ministre de l'enseignement et de la recherche, a invité les universités et les grandes écoles à se rapprocher. Après un juste début d'analyse, on reste stupéfait par l'absence du moindre engagement sur les inégalités de moyens (postes d'enseignants, budget...) entre ces établissements. Le ministre semble ignorer l'état réel des relations entre les deux systèmes de formation : des passerelles nombreuses existent déjà depuis bien des années entre les écoles et les universités (concours d'entrée après l'ancien DEUG ou sur dossier, entrée sur titre, formations doctorales...), sans compter que bien des écoles d'ingénieurs sont dans des universités. Quant aux enseignants, ils sont issus des mêmes formations, ils ont aussi le même statut.
Le rapprochement se doit donc d'avoir un autre contenu. Les enseignants-chercheurs, quel que soit leur lieu d'exercice, s'inscrivent de fait dans une fluidité entre recherche et enseignement et, au sein de celui-ci entre parcours "académique" et "professionnalisant". Articuler ceci avec pertinence scientifique et efficacité est un souci bien plus partagé que l'obsession des classements : celui de Shanghaï pour les établissements ou ceux, nombreux, qui font le succès des magazines et se présentent comme des palmarès de formation.
Il doit s'agir, en rapprochant les deux systèmes, de diffuser en profondeur dans la société les hautes exigences scientifiques, de former par et à la recherche des milliers de jeunes. La spécificité des champs disciplinaires, cela en particulier pour les lettres, arts, sciences humaines et sociales, exige de penser ces rapprochements sans uniformité et avec l'exigence politique de faire reconnaître toutes ces qualifications dans les grilles salariales du public comme du privé. C'est un domaine où l'Etat employeur peut largement montrer l'exemple.
Nul besoin de modifier la loi ou la réglementation, ce qu'avancent le gouvernement et le ministre dans sa tribune, pour favoriser des convergences entre universités et écoles, sauf à dissimuler derrière ces propos d'autres intentions. Sous couvert de "professionnalisation" des cursus universitaires et de rapprochement des deux systèmes, il ne convient pas d'assujettir les objectifs de formation, voire de recherche, à des logiques avant tout économiques, ni de transformer les instances universitaires élues et pluralistes d'aujourd'hui - ouvertes sur leur environnement scientifique et économique - en des relais d'orientation fixés ailleurs.
Les silences du ministre Goulard - très distincts des propos tonitruants de Gilles de Robien - sur les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) sont révélateurs. Affirmer, comme le ministre de l'éducation nationale, que, quel que soit son projet personnel et scientifique, tout bachelier avec mention (très bien ou bien) doit trouver place dans une CPGE, c'est dévaloriser le premier cycle universitaire (le niveau L), c'est stigmatiser les enseignants du supérieur, qui, dans des conditions souvent peu faciles - mais avec des innovations pédagogiques bien réelles et un engagement de tous les instants - oeuvrent à la réussite des étudiants sans autre a priori que la détention du bac !
L'une des vraies questions réside non pas dans le rapprochement déjà plus qu'engagé entre les formations d'ingénieurs (de bac + 2 à bac + 5 pour faire simple) et les formations universitaires, mais dans la cohérence des moyens offerts à tous les jeunes étudiants dès le premier cycle. L'écart entre la dépense moyenne publique et budgétaire par étudiant de CPGE (12 700 euros) et celle dans les universités (moins de 7 000 euros) doit se réduire en augmentant les moyens d'encadrement (enseignement en petits groupes, activités de projet, tutorat...) et des moyens administratifs et techniques des universités. La France est à la traîne des pays d'Europe pour l'accès et la réussite dans le supérieur. La dualité de l'enseignement supérieur ne peut le dissimuler.
Par contre, au-delà des seules formations d'ingénieurs, est également posée la nécessité d'appuyer bien davantage sur la recherche l'ensemble des formations post bac. Le Snesup a mis en débat la construction d'un vaste service public rénové et rassemblé des formations post-bac. Les étudiants, les acteurs du monde économique, ont tout à gagner à des dispositifs unifiants (sans être uniformisateurs), qu'ils concernent, outre les écoles et CPGE, les études paramédicales, celles de gestion et de commerce, celle des professions artistiques...