CPE, libéralisme & Europe

CPE, précarité, chômage : sortir de la logique libérale européenne pour une autre Europe
Lille, le 2 avril 2006
Auteur(s) :
Marc Delepouve, Membre du bureau national du SNESUP-FSU
CPE, précarité, chômage
Sortir de la logique libérale européenne ; répondre aux enjeux de notre temps
Le contexte européen | Un CPE à l'encontre d'un nouveau cours de l'Histoire | Le temps du reflux du libéralisme est venu | L'aspiration à une autre Europe se répand
Le CPE s'inscrit dans la mise en ?uvre de l'idéologie libérale. Après le refus, le 29 mai 2005, d'une constitution européenne marquée de cette même idéologie, aujourd'hui le peuple français s'exprime à nouveau. Aucun acte juridique européen n'oblige la France à amplifier la précarité. Faut-il en déduire que le CPE n'est pas une question européenne ?
Le contexte européen
Les traités européens donnent à l'Union Européenne (UE) un cadre favorisant l'extension sans fin du libre échange et la mise en concurrence au plan mondial. Mais un cadre qui pose, par contre, des entraves au développement des politiques sociales et environnementales. Ces traités favorisent le marché, les entreprises multinationales et la sphère financière, au détriment des politiques publiques et des salariés.
L'application de la défunte constitution aurait aggravé cette situation, notamment en facilitant encore davantage la dilution du marché européen dans le marché mondial : voir l'article 315, lequel aurait rendu plus aisée cette dilution en ce qui concerne les quelques secteurs, dont l'éducation, sur lesquels les traités aujourd'hui en vigueur posent quelques garde-fous.
Ainsi nous avons le grand marché européen, engloutissant toujours plus de secteurs d'activité, comme le montre le projet de directive Bolkestein sur les services et ses directives sectorielles jumelles. Et nous avons le marché mondial qui, à son tour, absorbe toujours plus le marché européen, comme le montre les négociations actuelles au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Finalement, nous avons une construction de l'UE qui, à bien des égards, est l'exact contraire de la construction d'un espace politique, puisqu'il s'agit de sa dissolution progressive dans l'espace mondial. D'autant qu'aux politiques sociales, environnementales ou fiscales européennes s'oppose le plus souvent la contrainte, inscrite dans les traités, du vote à l'unanimité, voir des interdictions. Unanimité et interdits que ne rencontre aucune mesure libérale !
L'UE met ainsi ses 25 Etats en concurrence, entre eux et avec les autres pays du monde, et n'instaure quasiment aucune règle pour humaniser ce qui s'apparente de plus en plus à une jungle, à un espace de non droit. Les traités sont en cause, nous venons de le voir. Ces traités résultent de choix des gouvernements européens. Et ceux-ci, fidèles à leur logique libérale, font désormais de la surenchère (voir en particulier la stratégie de Lisbonne).
Dans ce contexte hyperconcurrentiel les politiques nationales sont focalisées sur la compétitivité économique, la production, le chômage. Chômage qui, d'une part, résulte largement de ce contexte européen librement choisi par les gouvernements ; et qui, d'autre part, sert de prétexte à ces mêmes gouvernements pour défaire les droits sociaux acquis durant les trois premiers quarts du XXe siècle et empêcher la conquête de nouveau droits ; mais aussi pour justifier une augmentation de la production, sacralisée quelque soit son contenu, sans égard (hormis quelques mesures dérisoires) pour l'environnement, mettant en péril le climat, la biodiversité, les ressources en eau? et la survie même de l'humanité.
Dans ce même contexte hyperconcurrentiel s'envolent les profits des grandes entreprises et de la sphère financière. Les grands privilèges sont sauvegardés, et sont même en plein essor.
Un CPE à l'encontre d'un nouveau cours de l'Histoire
Le gouvernement Villepin a choisi d'aggraver de façon conséquente la précarité, par le CNE d'abord, puis par le CPE. Cette nouvelle étape du libéralisme en France, que peuvent nous envier nombre de libéraux en Europe, vise notamment à renforcer la soumission des salariés, menacés par le gouffre du chômage. La goutte est d'ampleur. Le vase déborde. A ce jour, Jacques Chirac et Dominique de Villepin tentent d'imposer une version du CPE modifiée à la marge. La mobilisation historique de la dernière semaine aurait dû les convaincre que, faisant suite au vote du 29 mai 2005, c'est un profond refus de plus de libéralisme qui s'exprime, et qui s'exprimera désormais.
Le temps du reflux du libéralisme est venu
Il y a overdose, le corps social français est saisi d'un phénomène de rejet. Phénomène qui ne connaît pas de frontière. Voir le vote du 1 juin 2005 au Pays-Bas, contre le projet libéral de constitution européenne. Vote confirmé par nombre d'enquêtes d'opinion auprès de populations de l'Union. Ces dernières semaines ont vu d'importantes mobilisations en Allemagne, contre l'augmentation du temps de travail, et contre une loi venant aggraver la précarité. Outre Manche, les employés des services locaux britanniques sont en grève : ils défendent leur retraite.
La conscience que l'attaque contre les droits des travailleurs a une dimension européenne tend à se généraliser. Dans leur combat contre le CPE, de multiples soutiens adressés aux syndicats français et à l'association Attac viennent de toute l'Europe. Le 4 avril des délégations syndicales de pays d'Europe participeront à la manifestation parisienne, et la Confédération européenne des syndicats (CES) organisera des rassemblements devant les ambassades de France dans les différents pays de l'Union. La conscience sociale européenne est en construction : la mobilisation contre le CPE français en est une nouvelle étape, avant le quatrième Forum social européen (FSE) qui se tiendra à Athènes du 4 au 7 mai prochain.
L'aspiration à une autre Europe se répand à travers
l'Union
Certes, la CES est encore à ce jour repliée sur le triangle compétitivité, croissance, emploi. Mais se développe la conscience que l'humanité, dans sa folle course libérale, est en train de détruire à grande vitesse le milieu dans lequel elle vit.
- L'Europe doit devenir un espace qui permette de redonner tout son sens à la politique :
- Organiser les échanges (capitaux, biens, services, technologies) avec le reste du monde selon des modalités de coopération. N'accepter de soumettre certains secteurs d'activités aux règles du marché que si celui-ci est lui-même soumis à des règles sociales, environnementales et fiscales. La sphère financière et les entreprises multinationales accaparent aujourd'hui une part totalement démesurée des revenus de l'humanité : des règles fiscales mondiales et européennes peuvent y apporter une correction.
- Financer un développement des régions les moins riches, dans le respect de la planète, notamment via des institutions onusiennes devenues financièrement indépendantes des pays riches et des entreprises multinationales, grâce à la mise en place d'impôts internationaux.
- Mettre en place une politique de crédits à taux différentiés en fonction de critères sociaux et environnementaux.
- Imposer sur le territoire de l'UE des règles sociales, environnementales et fiscales ambitieuses.
- Mettre en place des politiques d'emplois publics ou subventionnés répondant à des besoins humains ou environnementaux. Le financement serait assuré grâce aux règles fiscales européennes et internationales.
- Mettre en place un vaste plan européen de recherche et de formation répondant aux enjeux environnementaux, inscrit dans un réseau de recherche international et coopératif.
- Assurer à chaque européen le droit à une continuité de revenu " emploi/formation ".
- Assurer à chaque européen le droit à un revenu " décent ". Nous sommes dans une société de surproduction matérielle : le droit à ne pas participer à la production économique doit être assuré.
- Réduire le temps de travail et développer des activités participant à la vie démocratique, sociale et culturelle.
- En lien avec les deux alinéas précédents, développer des lieux de vie hors travail. En assurer le financement public et la création d'emploi nécessaires.
Une autre Europe est possible, il revient à chacune et chacun de se mobiliser.