Pourquoi nous ne signons pas le manifeste « refonder l’université » !

Publié le : 23/06/2009


Pourquoi nous ne signons pas le manifeste « refonder l’université » !

L’adoption au cœur de l’été 2007 de la loi dite de « liberté et responsabilités des universités » (LRU) dans le prolongement du « pacte recherche » de 2005, présentée comme la priorité du quinquennat de Nicolas Sarkozy, a confirmé le processus de déstructuration en profondeur du service public d’enseignement supérieur et de recherche en particulier et du service public en général. Si, encore maintenant, le gouvernement refuse d’entendre les raisons profondes de la colère des universitaires, c’est qu’il sait ce qu’il a à perdre quant à ses choix de société. C’est bien le fond des orientations portées par la loi LRU et le Pacte Recherche qui est en cause.

Comme d’autres initiatives, « l'appel des  refondateurs de l'université », publié à l’issue du premier acte d’une bataille loin de se terminer,  passe par le canal d’une publication collective dans le quotidien Le Monde. A l’agonie, en déclin, médiocre,… par ces termes, ses premiers signataires, universitaires, semblent chercher à convaincre leurs collègues, et plus généralement l'opinion publique, de l'archaïsme de l'Université. Alors que les difficultés rencontrées dans les universités proviennent, en grande part, de la mise en oeuvre des politiques gouvernementales récentes et de ressources publiques notoirement insuffisantes, c’est lui faire un mauvais procès, méconnaître ses évolutions et les dégâts causés.

Avec de tels présupposés, nul ne s'étonnera que, malgré quelques précautions d’usage, ce texte porte les stigmates d’une conception de l’université à deux vitesses. Sans les nommer, des collèges universitaires ouverts à tous les bacheliers, sortes de « propédeutiques » aux accès contingentés, prépareraient à une entrée sélective en master. A ce niveau d’études, pour reprendre les thèses nocives de ce manifeste, seule une mise en concurrence des formations est à même de rendre l'enseignement supérieur efficace ! L’aspiration à des formations post bac, jouant un rôle dans le progrès collectif de notre société, est complètement évacuée de ce texte. Cette conception est fondamentalement en rupture avec notre exigence de démocratisation de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Le passage du manifeste traitant de la "gouvernance des universités" est cependant révélateur. La ministre feint de le mentionner dans sa réponse (Le Monde du 19 mai - Refonder l'université française : notre défi commun). Quand bien même les signataires se contentent de demander "des aménagements significatifs" à la loi LRU, ils considèrent comme indispensables « de réels contre-pouvoirs face aux présidents d'université », « une réforme du recrutement des universitaires qui permette d'échapper au clientélisme et au localisme » ou encore « de mettre un terme à la concurrence généralisée entre équipes, induite par la généralisation du financement contractuel ». Ces aveux justifient une fois de plus le bien-fondé des luttes engagées par le SNESUP.

Les récents bouleversements de la formation, du recrutement, de l’exercice des missions, de l’évaluation et sur le déroulement des carrières des enseignants-chercheurs sont autant de moyens du pilotage autoritaire et bureaucratique de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ces attaques, sans précédent, remettent en cause les libertés académiques et pédagogiques des enseignants. Le fonctionnement coopératif de la recherche est mis en extinction au profit d’une mise en concurrence stérile des établissements, des équipes, des collègues. Sans changement de cap de la politique gouvernementale, la « course à l’armement » dans les établissements pour être plus performant, laissera sur le bas coté des pans entiers de recherche ne relevant pas des priorités définies localement. Les pouvoirs exorbitants donnés aux présidents managers d’universités, la prolifération du localisme, de l’entre soi, sont contraires aux nécessaires régulations fondées sur la collégialité et l’élection.

Les rédacteurs de ce manifeste ont fait le choix de contourner les organisations syndicales ayant largement contribué à l’impulsion du  puissant mouvement revendicatif  de cette année, en particulier le SNESUP-FSU, le SNCS-FSU et le SNTRS-CGT. C’est bien un choix délibéré  d’élaborer ce texte, de ne pas s’appuyer sur le brassage d’idées lié au mouvement d’ampleur dans les universités et d’esquiver la contestation frontale avec la ministre et le gouvernement pourtant largement responsables de la crise actuelle. C’est nourri de cette expérience que le SNESUP est en mesure d’avancer ses propositions pour :

  • Garantir un service public d’enseignement et de recherche unifié, riche, diversifié, permettant l’accès aux études du plus grand nombre, fondé sur la collégialité et sur la réponse aux besoins de société ;

  • Garantir les libertés scientifiques ou pédagogiques et le droit à la recherche ;

  • Assurer les régulations tant nationales que régionales (CRESER) pour pérenniser l’essaimage des formations et de la recherche sur l’ensemble du territoire ;

  • Obtenir une évaluation formative, par des pairs, transparente, replacée dans le cadre préalable de l’évaluation d’une équipe ;

  • Eradiquer la précarité et garantir les droits sociaux des doctorants.

Non, la contestation n’est pas près de s’éteindre ! Notre capacité à résister dans la durée avec le soutien de l’opinion, loin d’être un repli sur soi, est porteuse des germes à même d’impulser un nouveau cadre législatif. Défendre le service public, démantelé pièce par pièce, ne saurait se satisfaire d’une incantation ou d'un manifeste élaboré sans la moindre prise en compte des revendications que la mobilisation universitaire a portées pendant de longues semaines de lutte. C’est d’un vrai débat avec tous les membres de la communauté universitaire, au premier rang desquels le SNESUP, première organisation syndicale dans l'enseignement supérieur, est incontournable. Voilà pourquoi nous ne signons pas le manifeste « refonder l’université ».