Spécificités du décrochage universitaire

Publié le 15 octobre 2012

Spécificités du décrochage universitaire

 par Jacques Broda, professeur de sociologie, IUT d'Aix-en-Provence 


À partir d’une enquête récente, l’auteur distingue différentes formes de décrochage et propose les moyens d'y remédier.

Toutes les études, enquêtes, analyses du décrochage scolaire pointent en ligne de fond les conditions sociales des familles, l’exclusion, les difficultés du suivi des apprentissages, l’exclusion des enfants issus des classes populaires. Y-a-t-il une spécificité du décrochage universitaire, sous prétexte qu’il s’agit le plus souvent d’adultes, orientés, motivés ? Nous avons pris à bras le corps cette question dans le premier séminaire inter-universitaire consacré au décrochage, à l’I.U.T d’Aix-en-Provence, trois séances retranscrites avec retour, sur la période 2010-2011. Près de trente personnes ont suivi le travail : des enseignants, des étudiants, des personnels de la formation continue, des responsables de C.D.I, des instits... Je donne ci-dessous le résumé de nos conclusions (1).

Décrochage voulu/Décrochage subi 


Des intervenants insistent sur le droit à l’erreur, le droit à l’errance, la liberté du choix, celle de passer d’une formation à l’autre, la polyvalence. Les mêmes affirment : « Les enseignants enseignent, ce ne sont pas des travailleurs sociaux... ». On reconnaît là l’idéologie néolibérale qui dénie les déterminants sociaux, le poids du réel, les conditions pédagogiques. Refoulés les points de fixation du décrochage subi, celui où l’étudiant motivé, décidé, n’en peut plus, s’épuise, entre petits boulots, Mac Do, familles en souffrances, lui-même en souffrance. Une enseignante affirme « un étudiant qui souffre ne peut apprendre ». Tout discours sur le décrochage qui occulte le poids du réel, s’y accommode, s’y plie, signe l’impossible de son efficacité. 

Décrochage inconscient/ Décrochage intérieur


 Le décrochage inconscient doit être entendu à double sens, le décrochage dont on ne se rend pas compte et celui qui a des causes inconscientes. Dans le premier sens, l’étudiant ne perçoit pas qu’il est « largué », livré à lui-même et il ne prend pas réellement conscience de la baisse de ses résultats. Le second sens renvoie à ses causes inconscientes : incapacité à se projeter, intériorisation de l’exclusion symbolique dominante, inhibitions intellectuelles, sexuelles... Quant au décrochage intérieur, Stéphane Bonnery pointe la difficulté de compréhension de la consigne, blocage dans la pensée(2). De nombreux étudiants et enseignants soulignent la catastrophe méthodologique pour les lycéens devenus étudiants sans organisation du travail et de leur temps. Ici la pédagogie de proximité avec des enseignants, ou des tuteurs formés, est impérative. L’analyse ne suffit pas. Il nous faut innover, inventer des formes de prévention, de luttes, de rattrapages contre les gâchis incommensurables du décrochage. Pour de nombreux étudiants, celui-ci signifie la fin de l’espoir universitaire, aussi ténu soit-il, comme porte d’entrée vers l’emploi. La pédagogie intersticielle s’appuie sur les temps de présence réels, et non formels, temps où sont présents dans l’acte d’enseigner et celui d’apprendre étudiants et profs, moments privilégiés, où l’attention est soutenue, le savoir transmis, la relation accomplie. Beaucoup d’étudiants ont du mal à exprimer leur désarroi, leurs difficultés, voire leurs détresses. Décrocher ici est un signe, un appel, qui peut devenir pour la suite un symptôme. Redonner confiance, écouter, orienter l’étudiant dans son parcours prend du temps. Toute la communauté éducative est convoquée afin d’affirmer la centralité étudiante. Cette dernière doit être la priorité éthique des enseignants. ? 

1. Le recueil Premier séminaire interuniversitaire sur le décrochage scolaire, co-écrit avec Hélène Garnier peut-être obtenu en nous contactant à l’I.U.T d’Aix-en-Provence. 
2. Bonnery, S ; Comprendre l’échec scolaire, Paris, La Dispute, 2007.