Table ronde : ce qui doit changer dans les universités

Publié le : 17/06/2012


Table ronde : ce qui doit changer dans les universités

Entretiens croisés avec Danielle Tartakowsky, candidate à la présidence de l'université Paris 8, Rachid El Guerjouma, président de l'université du Maine, Yves Jean, président de l'université de Poitiers et Bertrand Monthubert, président de l'université Toulouse 3

Trois présidents nouvellement élus et une candidate tirent un bilan sévère de la politique universitaire des 5 dernières années et évoquent les choix prioritaires pour restaurer le sens et la valeur du service public d'enseignement supérieur et de recherche.

Dès maintenant, avant même, des mesures législatives, quels sont les besoins de vos universités ? Que souhaitez-vous comme seconde décision du ministère (la première a été l'abrogation de la honteuse circulaire Guéant-Wauquiez) ?

 

D. T. : Encore candidate, je mesure l'étendue des besoins et m‘interroge sur celle des multiples déclinaisons des politiques engagées au nom de « l'économie de la connaissance » qui est la plus préjudiciable, tant elles sont interdépendantes et dévastatrices. La perspective d'assises de l'enseignement
supérieur et de la recherche et l'annonce d'une loi qui se substituera à la LRU, prévue pour le début 2013, incitent au demeurant de ne pas isoler les dossiers mais à les réintégrer dans le cadre des orientations que nous souhaitons faire prévaloir dans le cadre des débats qui vont s'engager.

Y. J. : Deux mois après mon élection, dans une université pluridisciplinaire de 23 000 étudiants, nos besoins concernent la nécessaire mise en oeuvre d'un collectif budgétaire et une loi pluriannuelle de création de postes d'enseignants- chercheurs et de BIATOSS. Après le dialogue de gestion avec toutes les composantes et les services communs, je constate que la dotation annuelle de l'État est insuffisante de 2,2 millions d'euros pour nous permettre de
fonctionner sans risquer un déficit. Par ailleurs, les missions confiées à l'université s'étant accrues, il est nécessaire de créer 60 postes d'enseignants chercheurs et 30 de BIATSS au cours des cinq années à venir. La réforme de la masterisation pour préparer à nouveau les futurs enseignants dans de bonnes conditions est très importante. Le gouvernement précédent a véritablement cassé la formation des enseignants, il est urgent d'avoir une politique novatrice en ce domaine. Nous pouvons espérer une nouvelle circulaire permettant l'accueil dans la dignité des étudiants étrangers, accordant aux seules universités la validation de la cohérence des parcours pédagogiques des étudiants.

 

R. E. G. : Avec le « pacte pour la Recherche », la LRU, la réforme des statuts des enseignants- chercheurs, le grand emprunt, etc., les universités françaises
ont subi ces dernières années de plein fouet et concrètement la mise en place pratique de « l'économie de la connaissance ». Il en a résulté, déficit, précarisation, universités à deux vitesses, avec les Idex d'un côté, des déserts scientifiques de l'autre. Dans ce contexte, je pense que notre université a
besoin d'un message fort montrant que le changement c'est vraiment maintenant en débloquant par exemple des postes d'enseignants-chercheurs et de BIATOSS dès la rentrée prochaine, en attendant que la loi LRU soit « remplacée » à défaut d'être abrogée. D'après le modèle SYMPA lui-même, il manque au moins 166 postes de titulaires pour l'université du Maine. Les projets de notre université sont quasiment bloqués et nous sommes dans de nombreux secteurs au bord de la rupture. Un autre signe serait l'arrêt ou, à défaut, le gel du processus dévastateur des « investissements d'avenir » qui assombrissent l'avenir de nombreuses disciplines et de nombreuses régions.

 

B. M. : Depuis plusieurs années, de nombreuses structures ont été créées qui rendent le paysage incompréhensible. En particulier, les instruments du grand emprunt, comme les LABEX ou IDEX, se superposent souvent aux structures fondamentales que sont les laboratoires et les universités. Parfois, les contours sont différents. Mais où se fait la cohérence entre ce qui est porté dans un LABEX, par exemple, et la politique scientifique nationale (des organismes de recherche) ou universitaire ? La seconde mesure est donc pour moi la possibilité de revoir ces projets pour simplifier le paysage, vérifier la cohérence avec les politiques définies dans les organismes et universités.

Quel regard portez-vous sur le rôle tenu durant les cinq dernières années par la CPU ? Par le CNESER ? Où seraient les bons équilibres pour une régulation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche ?

 

Y. J. : Je souhaite que la CPU soit un acteur véritablement porteur de propositions pour favoriser un fonctionnement démocratique des universités. Un seul exemple, j'attends que la CPU propose une nouvelle composition du CA et un nouveau mode de scrutin. Le conseil d'administration doit être beaucoup plus représentatif de l'université et par ailleurs, le mode de représentation doit être modifié, la liste majoritaire doit pouvoir gouverner, mais il est souhaitable d'avoir une meilleure représentativité de (ou des) liste(s) minoritaires. Élu avec 60 % des voix des enseignants, je ne trouve pas démocratique que seuls deux élus de l'autre liste siègent au CA !

 

D. T. : Redessinée par les récentes annonces ministérielles, il me semble que la question est, à cette heure, de savoir quels rôles ces deux instances CNESER et CPU dont les statuts diffèrent à plus d'un titre peuvent et doivent jouer dans les débats qui vont s'engager, dans quelle articulation entre elles
comme avec d'autres, au premier rang desquels les syndicats et la communauté universitaire ? La CPU constitue un groupe de pression et remplit des missions d'expertise dont on ne saurait contester l'utilité mais dont il conviendrait d'éviter qu'elles ne s'exercent au détriment des organisations représentatives ou des instances statutaires. Il serait également souhaitable de s'assurer que les orientations défendues dans ce cadre par les présidents d'universités reflètent l'expression de leur communauté universitaire. Les présidents, membres du SNESUP ou se réclamant de ses orientations, doivent se donner les moyens d'élaborer des propositions communes et les faire mieux entendre au sein d'un organisme dont les débats et décisions doivent être transparents, et rendus publics.

 

R. E. G. : En ce qui concerne la CPU, j'ai en mémoire une interview que Jean-Pierre Finance (président de la CPU) avait donnée en 2008 à EDUCPRO où il disait, « en 2001, nous avions proposé la plupart des réformes que l'on retrouve aujourd'hui dans la loi LRU ». Ces propos illustrent le décalage entre les positions de la CPU et celles de la majorité de la communauté universitaire telles qu'exprimées lors du mouvement sans précédent entre 2007 et 2009. Même si la CPU a quelque peu infléchi sa position par rapport à celle du ministère ces derniers temps, le regard que je porte sur son action est assez critique. Il faudrait que ce groupe de pression soit un peu plus en phase avec les aspirations de la communauté universitaire. Je suis tout à fait d'accord pour que les présidents, membres du SNESUP ou se réclamant de ses orientations, se fassent mieux entendre au sein de la CPU. Les bons équilibres pour une régulation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche sont d'abord dans un fonctionnement plus démocratique dans les universités et par une plus grande place aux instances élues comme le CNESER, le CNU, le CoCNRS.

 

B. M. : La régulation nationale est sans aucun doute à inventer. Historiquement, c'était le ministère qui l'assurait, avec plus ou moins de bonheur. L'autonomie est une notion intéressante : elle suppose de donner des marges de manoeuvre aux acteurs locaux, mais elle impose qu'il y ait une régulation nationale, sans quoi il n'y a plus de service public. J'ai rarement entendu remettre en cause l'autonomie des organismes organismes comme le CNRS, d'ailleurs.
Cette régulation peut se faire dans des espaces différents en fonction des missions. Pour la recherche, les organismes sont de bonnes structures pour la
mettre en oeuvre. Pour la formation, le CNESER est indispensable mais devrait sans doute évoluer : actuellement ses avis ont finalement peu de conséquences. Nous devons travailler sur la manière de constituer une structure nationale qui puisse faire des propositions en matière de diplômes, pour que, par exemple, nous puissions réduire le nombre d'intitulés de licence et donner un sens au cadre national des diplômes. Cette structure pourrait être constituée sur un modèle mélangeant les atouts du CNESER et du CNU : à débattre pendant les assises !

La CPU lors de ses journées de 2011 sur les enjeux « bac - 3, bac + 3 » et une large part des exécutifs régionaux favorable à une troisième étape de la décentralisation pointent le niveau régional comme opérationnel pour l'enseignement supérieur : qu'en pensez-vous ?

 

R. E. G. : Le « bac - 3, bac + 3 » est inspiré du modèle américain, revisité lors du colloque de la CPU de 2011, pour lequel la nouvelle ministre a montré de l'intérêt. Du déjà vu... Il fait suite au trompe-l'oeil de l'autonomie sauce RCE et autres PPP, les illusions des plans campus et licence, etc. Cette idée est une autre dimension de la restructuration de l'enseignement supérieur et de la recherche, soutenue par les exécutifs régionaux qui y voient l'amorce de la troisième étape de la décentralisation et une articulation avec la mise en adéquation des besoins locaux de maind'oeuvre moyennement qualifiée. Ce pseudo-concept me semble lourd de danger : ses conséquences découpleraient la recherche, et d'abord les formations en master des trois premières
années du post-bac, et ouvriraient la voie aux collèges universitaires.

 

B. M. : L'enseignement supérieur et la recherche sont des compétences nationales, et pas régionales, et d'ailleurs les présidents de conseils régionaux ne le revendiquent pas. Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas à intervenir, et il faut bien reconnaître que les universitaires les sollicitent en permanence. Il serait illégitime qu'ils interviennent dans le contenu des formations, par exemple. En revanche, je trouve normal qu'ils puissent être partie prenante des aspects d'aménagement du territoire. Dans ma Région (Midi-Pyrénées), qui est la plus étendue de France, le Conseil régional est très vigilant sur l'existence de formations en dehors de Toulouse : cela fait parfois débat, mais je trouve que c'est leur rôle que de se préoccuper des possibilités d'accès à l'enseignement supérieur de ceux qui vivent parfois loin de Toulouse. Il faut donc bien identifier les rôles de chacun.

D. T. : Si l'échelon régional peut avoir sa pertinence, dans l'élaboration des schémas de formation, ce ne peut être que dans une dialectique avec l'échelon national, législatif et réglementaire, et jamais à son détriment. Aussi convient-il de réaffirmer et de revenir à un principe de pilotage national : réaffirmation du caractère national des diplômes, instances nationales d'évaluation et de financement des labos et des enseignants-chercheurs, garantie de l'égalité d'accès aux formations et aux savoirs et diplômes sur l'ensemble du territoire, droits d'inscription et réglementation nationale, meilleure péréquation des moyens attribués aux universités. La loi est toujours plus démocratique et moins inégalitaire que le contrat ou l'arrangement. Cette inscription dans la moyenne durée du débat qui va s'ouvrir n'exclut pas qu'on attende du ministère des signes rapides et tangibles du changement annoncé. Agir sans attendre aux deux extrémités du service public d'enseignement et de recherche permettrait d'en restaurer le sens et la valeur et de redonner l'envie d'y prendre sa part et sa place : cela pourrait se faire par une augmentation sensible des aides sociales accordées aux étudiants dès la rentrée, condition nécessaire d'une amélioration de la réussite en premier cycle, et par une remise en cause immédiate de la réforme de la formation des maîtres dont les effets délétères ne sont plus à démontrer. Une rupture immédiate avec les logiques qui fondent le pacte de la recherche, l'AERES et l'ANR, permettrait simultanément de renouer avec les principes d'une évaluation bien comprise, conçue comme un outil au service de la réflexion collective. Une
remise à plat de la « politique d'excellence» et des empilements des structures qu'elle a générées devrait permettre de substituer des politiques de coopération aux logiques de concurrence, aux effets particulièrement délétères au niveau francilien. Ainsi la question de la gestion des carrières me paraîtelle devoir s'inscrire dans le cadre d'une réflexion plus globale sur le sens que nous entendons donner à l'autonomie, sur ses   objectifs et ses moyens.

Y. J. : L'échelon régional est intéressant pour développer des partenariats avec les collectivités territoriales, dans le cadre d'un schéma de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui favorise une augmentation du nombre de bacheliers rejoignant l'université, qui soutient les actions d'insertion professionnelle, qui privilégie des thématiques de recherche en relation avec nos UMR ou équipes de recherche. Cette dimension territoriale ne peut concerner qu'une partie des missions des universités en articulation avec l'approche nationale et européenne. Les diplômes sont nationaux, le financement de la recherche doit être essentiellement assuré par l'État, l'évaluation des laboratoires, des enseignants-chercheurs doit être nationale... L'État a pour mission de veiller à assurer une péréquation entre les universités pour lutter contre les inégalités territoriales et disciplinaires. Une nouvelle politique de financement des universités et des organismes de recherche est à privilégier, favorisant le soutien aux universités dont la qualité des formations, des taux d'insertion professionnelle, des recherches et des laboratoires doit être le facteur d'attribution des dotations de l'État. La justice, c'est redéfinir les priorités de financement en réaffectant aux universités les crédits largement distribués à diverses agences. Depuis cinq ans, le gouvernement a privilégié quelques pôles universitaires au détriment de la grande majorité des universités, en particulier les universités pluridisciplinaires qui assurent pleinement leurs missions. Il est urgent de modifier les modes d'attribution des dotations nationales.

Le SNESUP demande l'abrogation de la loi LRU, cela conforterait le statut national des enseignants-chercheurs par une nouvelle gestion nationale de leur carrière. Les établissements en seraient-ils affaiblis ?

 

R. E. G. : La loi LRU et le Pacte pour la Recherche ont montré leurs limites, prévisibles. Ils doivent être abrogés et remplacés par un nouveau texte qui engage l'État à une autre politique de développement de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche : nouveau financement des universités, loi pluriannuelle de création de postes d'enseignants-chercheurs et de personnels BIATSS, lutte contre la précarité, démocratisation des universités, abandon
des processus dits « d'excellence », en particulier ceux résultant des « investissements d'avenir » et nouveau financement de la recherche pour éviter l'accroissement des inégalités entre établissements et entre régions, abrogation des textes liés à la formation des enseignants, revitalisation des grands organismes de recherche notamment le CNRS... Tout cela, associé à une nouvelle gestion nationale de la carrière des enseignants-chercheurs, conforterait
assurément leur statut national. Et renforcerait les établissements.

D. T. : Je préciserai simplement que le principe du partage des promotions entre les CNU et les établissements, qui n'est pas chose nouvelle, me paraît devoir être conservé dès lors qu'il permet de pallier les exclusives de certains CNU et de valoriser l'investissement des collègues au sein des établissements.

B. M. : Je suis favorable au remplacement de la loi LRU par une nouvelle loi. La simple abrogation serait un retour en arrière qui ne me semble pas une perspective enthousiasmante : il y avait des problèmes avant la LRU. La question n'est pas l'affaiblissement ou non des établissements : l'enjeu est celui de la qualité du service public. La loi LRU a concentré les critiques en ce qui concerne la gouvernance, et il y a urgence à adopter de nouveaux modes d'élection, une structuration plus équilibrée entre les différents conseils, l'existence de contre-pouvoirs. Mais les questions ne s'arrêtent pas à la LRU : toute la question est la manière dont l'État joue son rôle. Le fait-il par une régulation nationale rénovée, comme évoqué précédemment, ou à coup de concours, type grand emprunt ? Quant aux statuts nationaux, ils jouent un rôle important et il faut les préserver, non pour le confort de leurs bénéficiaires, mais parce qu'ils permettent l'indépendance visà- vis des pressions économiques ou politiques : c'est donc un enjeu républicain. Ces aspects sont au moins aussi importants que la question de la loi LRU. Enfin, la force des établissements se mesure selon moi à la capacité à former au mieux nos
étudiants, à augmenter le niveau de formation dans notre pays, à être à la pointe des savoirs. Je n'ai aucun fantasme d'hyper-présidence, cela me semble totalement contraire à l'esprit universitaire.

Propos recueillis par Jean Fabbri