Analyse jur. cpe (htm)

Publié le : 06/02/2006

SYNDICAT
NATIONAL DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
                
    



Ensemble,
mettre en échec le CPE :


Brève analyse juridique critique du projet de « Contrat de Première
Embauche »



Le gouvernement prétend impose son
projet de CPE contre l’avis de tous les syndicats, alors qu’une
nette majorité de la population s’y oppose, et que la JOURNEE du
7 Février montrera la force de la mobilisation commune des jeunes étudiants
et lycéens, et des salariés. Le SNESUP-FSU appelle les personnels
de l’enseignement supérieur et de la recherche à y participer
massivement : c’est l’avenir des jeunes qu’ils forment qui
est menacé, c’est le sens et la mission de l’enseignement
supérieur qui sont en cause.

Les 10 points ci-dessous précisent
le contenu réel des dispositions du projet. Derrière l’argument
ressassé, « le CPE c’est un CDI », le CPE
(comme le CNE) c’est en fait le droit pour l’employeur de licencier
quand il veut, sans motiver sa décision, tout en bénéficiant
d’exonération totale des charges sociales. Pour le jeune salarié
en CPE les droits réels ses moyens de se défendre collectivement
ou juridiquement seraient en fait suspendus à la décision et au
bon vouloir de l’employeur. Cette subordination arbitraire qui est le
point clé du projet CPE est un élément d’un projet
libéral contre les droits des salariés du secteur privé,
et aussi contre les garanties de la Fonction Publique.

(Dossier établi par Philippe Enclos, avec les contributions de Gérard
Cendres, maîtres de conférences en droit public et responsables
nationaux du SNESUP-FSU).


1) La rupture anticipée du contrat de
travail.


- Le CPE pourrait être utilisé dans tous les cas légaux
de recours au CDD, (sauf pour les emplois saisonniers et les emplois temporaires
dans certaines professions mentionnées au code du travail). Commentaire
: il est déjà possible d’utiliser le CDI pour pourvoir des
emplois temporaires, bien que ce soit rarement le cas ; mais la
réglementation actuelle du CDD prohibant la rupture anticipée
sauf faute grave, l’utilisation du CPE aurait pour effet de supprimer
cette protection :
le CPE s’attaque aussi bien aux garanties (insuffisantes)
des CDD qu’aux fondements du CDI.

2) Deux ans sans aucune protection contre le
licenciement !


- Ce contrat serait soumis aux dispositions du code
du travail en ce qui concerne les règles de licenciement sauf pendant
les deux premières années à compter de la date de sa conclusion.

La durée des contrats de travail, y compris du contrat de travail temporaire
(intérim), précédemment conclus avec l'entreprise dans
les deux années précédant la signature du CPE, ainsi que
la durée des stages, viendraient en déduction de la période
des deux ans dite de « consolidation ».

Commentaire : cette disposition est un trompe-l’œil
; d’une part, c’est déjà le cas lors du recrutement
d’un salarié sur CDI à l’issue d’un CDD, d’autre
part les employeurs se garderont évidemment d’embaucher en CPE
d’anciens salariés (sauf d’anciens CPE : voir ci-dessous).

- Ce contrat pourrait être rompu, sans obligation
de mentionner un motif, à l'initiative de l'employeur ou du salarié,
pendant les deux premières années à compter de la date
de sa conclusion,
dans les conditions suivantes. La rupture devrait être
notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Commentaire : certes ce n’est pas une nouveauté,
ces règles existent déjà pour les CDI ordinaires, à
l’issue de la période d’essai. Mais. La
plupart des conventions collectives ont introduit des règles et des préavis
limitant les pouvoirs de l’employeur dans la période d’essai.
Ces dispositions seraient annulées par le CPE, c’est l’arbitraire
pendant deux ans. Deux ans pour l’instant (voir point 6).

3) Des indemnités de fin de contrat
réduites, une banalisation de la « faute grave du salarié»
.

- Lorsque l'employeur serait à l'initiative de la rupture du CPE, et
sauf faute grave du salarié, il verserait
à celui-ci, au plus tard à l'expiration du préavis, outre
les sommes restant dues au titre des salaires et de l'indemnité de congés
payés, une indemnité égale
à 8% du montant total de la rémunération brute payée
au salarié depuis la conclusion du contrat
.

Commentaire : contrairement aux apparences, cette indemnité
n’est pas un cadeau ; une telle indemnité, dite « de fin
de contrat », existe déjà lorsque les relations contractuelles
ne se poursuivent pas à la fin d’un
CDD (sauf exceptions) ; son montant est alors égal à 10 % de la
rémunération totale brute versée pendant la durée
du contrat
. Par ailleurs, cette indemnité constitue une incitation
financière à utiliser l’argument « pour faute grave
» pour rompre la période de « consolidation » Or, en
général, les employeurs demandent aux candidats à l’embauche
les motifs de rupture de leur précédent contrat, précisément
pour éviter de recruter des licenciés pour faute grave. Enfin,
l’introduction de cette faculté de rompre la période initiale
de deux ans en invoquant la faute grave banalise ce qui est actuellement une
exception en matière de rupture anticipée d’une période
d’essai normale.

4) Toute contestation par un salarié
interdite après un délai réduit à 12 mois.


- Toute contestation portant sur la rupture se prescrirait par douze mois à
compter de l'envoi de la lettre recommandée notifiant la rupture.

Commentaire : cette prescription
de 12 mois est scélérate, car ce type de contestation ne se prescrit
actuellement que par 30 ans ! La prescription de droit commun en ce qui concerne
les actions relatives au salaire, que le projet de CPE ne modifie pas explicitement
est de cinq ans !


- La rupture du CPE devrait respecter les dispositions législatives
et réglementaires qui assurent une protection particulière aux
salariés titulaires d'un mandat syndical ou représentatif.

Commentaire : les jeunes accédant à un emploi
prennent des responsabilités collectives (délégués
syndicaux, délégués du personnel, élus au Comité
d’entreprise, etc..) mais avec une connaissance de leur emploi, de leurs
collègues, de travail. La précarité du CPE est contradictoire
avec les dispositions protégeant l’exercice du droit syndical.

5) CPE à répétition :
un dispositif de précarisation des emplois.


En cas de rupture à l'initiative de l'employeur, au cours des deux premières
années, il ne pourrait être conclu
de nouveau CPE entre le même employeur et le même salarié
avant que ne soit écoulé un délai de trois mois à
compter du jour de la rupture du précédent contrat.


Commentaire : autrement dit, sous réserve de respecter
(mais qui vérifiera ?) un délai de trois mois à l’issue
d’un CPE, l’employeur serait autorisé
à embaucher à nouveau le même travailleur en CPE, et à
réitérer l’opération sans limitation. Actuellement,
la loi interdit de recruter à nouveau par CDD sur le même poste
avant un délai de carence égal au tiers de la durée du
CDD précédent, ce qui a pour finalité de limiter la précarisation
des emplois. On voit donc clairement que le projet CPE équivaut sur ce
point à la suppression d’une règle anti-précarité.

6) Formation continue, logement : des garanties
apparentes, sans droits réels.


- Le salarié titulaire d'un CPE pourrait
bénéficier du congé de formation similaire à celui
dû aux salariés en CDD.


Commentaire : poudre aux yeux, encore une fois ! Il est
établi depuis fort longtemps que les titulaires de CDD n’accèdent
que très rarement au congé de formation ; l’employeur ne
manque pas de moyens de faire pression sur un salarié pour le faire renoncer
à un projet de congé de formation. En outre, cela signifie que
le CPE n’ouvrirait pas droit au congé de formation des titulaires
de CDI, bien que le CPE soit un CDI. En clair : pas de garantie d’accès
à la formation continue.

- L'employeur serait tenu d'informer le salarié, des dispositifs
auxquels il peut avoir accès au titre du 1% logement (« Locapass
»).

Commentaire : rien qui n’existe déjà
!

7) Cadeau à l’employeur : exonération
totale des charges sociales pendant trois ans !


Commentaire : c’est un dispositif qui,
en l’absence de garantie de compensation par l’Etat, met gravement
en cause les ressources des organismes sociaux (sécurité Sociale,
Assedic..). Et si l’Etat compense ce cadeau, véritable aubaine
pour les employeurs, les charges sociales se trouvent transférées
de l’employeur sur le contribuable...

Et pour les salariés : des droits réduits
en cas de chômage à l’issue du CPE :
leur allocation
forfaitaire (16,40 euros par jour !) serait versée pendant deux mois

contre 7 mois ou 12 mois dans le régime actuel.

8) Les fragiles limites du droit du licenciement
encore plus affaiblies :


Actuellement, le code du travail oblige l’employeur, d’une part,
à convoquer le salarié à un entretien préalable
individuel, au cours duquel celui-ci peut se faire assister, En cas de licenciement
économique d’au moins 10 salariés au cours d’une même
période de 30 jours, l’entretien individuel est remplacé
par la consultation du comité d’entreprise, ou, en l’absence
de CE, des délégués du personnel, et un plan de sauvegarde
de l’emploi doit être mis en place pour tenter de reclasser les
salariés. D’autre part, l’employeur
doit justifier d’une « cause réelle et sérieuse »,
faute de quoi il s’expose à devoir payer des dommages-intérêts
au salarié si celui-ci saisit le conseil de prud’hommes.

Le licenciement discriminatoire, quant à lui, est réputé
nul : l’employeur s’expose, outre dommages-intérêts,
à devoir réintégrer le salarié. En supprimant l’obligation
de motiver le licenciement, le projet de CPE interdit au salarié de contester
le motif, ce qui l’empêche donc d’invoquer une discrimination.
Ce sont ces protections, acquises grâce aux
luttes en 1973 (licenciement individuel) et 1975 (licenciement économique)
qui seraient supprimées par le système de la « période
de consolidation » : une régression de plus de 30 ans !

9) Un élément clé d’un
projet libéral étendu : l’extension de cette précarisation
à tous les CDI !


D’après un article de C. Jakubyszyn dans Le Monde du 26 janvier
: « selon nos informations, l’un des
schémas étudiés par Matignon est celui de la généralisation
de la période d’essai de deux ans introduite par le CPE et le CNE
à tous les CDI et, parallèlement, la suppression du CDD »
.
Le journal rappelle que le ministre de l’emploi a annoncé mi-janvier
qu’une consultation des partenaires sociaux sur « une
réforme globale du contrat de travail » pour aller vers un «
CDI assoupli » sera menée d’ici le mois de juin...

10) La fonction publique, et notamment l’enseignement
supérieur et recherche peuvent-ils être concernés par l’application
de ces dispositifs ou similaires ?


D’abord, il faut noter le recul du ‘statutaire’
au profit du ‘contractuel’ dans ses diverses formes (CDI, CDD…),
rapprochant ainsi la ‘fonction publique’ du droit commun des contrats
de travail. Ensuite, la volonté de constituer l’université
comme une entreprise ayant à sa tête un président-chef d’entreprise,
ayant pouvoir de gestion sur les emplois, notamment les emplois contractuels
et). Enfin, la mise en place de l’ANR et le projet de « Pacte recherche
» vont dans le même sens.

Toute atteinte aux garanties des salariés du privé se répercute
quasi automatiquement sous une forme ou une autre, dans la fonction publique.
Il y a quelques années, Gérard LYON-CAEN craignait le démantèlement
du contrat du travail à durée indéterminée et des
garanties qui vont avec. Il faudrait alors y ajouter le risque de démantèlement
du statut de la fonction publique !