Audition SNESUP-FSU devant le comité de suivi LRU (12 novembre 2009)

Publié le : 16/11/2009


Audition SNESUP-FSU devant le comité de suivi LRU

12 novembre 2009

Contexte Général

Dans les universités, durant le premier semestre 2009, s'est développée la mobilisation la plus importante, tant dans la durée et l'intensité que dans l'unité de ses acteurs. Loin d'être spontané, ce mouvement résulte en grande partie de la prise de conscience de la nocivité des choix imposés à la communauté universitaire. L'adoption au cœur de l'été 2007 de la loi dite de « liberté et responsabilités des universités » (LRU) dans le prolongement du « pacte recherche » de 2006, présentée comme la priorité du quinquennat de Nicolas Sarkozy, a confirmé le processus de déstructuration en profondeur du service public d'enseignement supérieur et de recherche. L'opposition de notre syndicat a été marquée dès la préparation de la loi LRU et son passage à l'Assemblée Nationale. En juillet 2007, il a été, avec d'autres organisations syndicales à l'origine de l'Appel des Cordeliers refusant cette loi et a organisé une Conférence de presse de 27 organisations dénonçant notamment les atteintes aux libertés scientifiques et pédagogiques portées par cette loi.

Depuis deux ans, l'empilement des décrets de mise en œuvre des principes de la loi « LRU » s'est produit à un rythme accéléré :

  • Le décret électoral (30/10/2007), consacrant le rôle prééminent du président d'université, pulvérisant la collégialité, et exacerbant les tensions entre collègues, notamment du fait du scrutin déformé des collèges enseignants du CA (« bonus majoritaire ») ;
  • Le décret « financier » (27/06/2008) qui, outre l'organisation des recours aux financements propres, renforce les pouvoirs du président et limite les coopérations réelles entre universités et entre collègues sur le mode de la concurrence, incompatible avec le fonctionnement de la recherche ;
  • Le décret « comité de sélection » (10/04/2008), permettant d'effectuer le recrutement « à la tête du client » par le biais de comités ad hoc, fabriqués pour l'occasion par des présidents aux pouvoirs considérables (Droit de Veto) n'a pas fini de saper le fonctionnement et la qualité des équipes de formation et de recherche ;
  • Les décrets « Enseignant Chercheur », « CNU », « contrat doctoral » (signés le même jour 24/04/2009) atomisant les statuts des enseignants chercheurs, les exposant aux pressions locales, remettant en cause les fondements de la collégialité et leurs libertés scientifiques et pédagogiques ;
  • L'arrêté confirmant la dévolution aux présidents des pouvoirs de gestion des personnels (27/7/2009) relevant auparavant du ministère lui-même et la transformation de fait des universités en autant de « petites fonctions publiques ».

A cela se sont ajoutées les questions budgétaires :

  • Si le budget 2008 ne présentait aucune création d'emploi -situation inédite depuis 15 ans-, celui de 2009 créa la stupeur dans les universités et les organismes de recherche en prévoyant plus de 1000 suppressions d'emplois dans l'Enseignement Supérieur et la Recherche. Suite aux mouvements, les emplois supprimés dans les universités ont été compensés par des crédits pérennes, mais des transferts d'emplois ont été mis en place par la DGESIP. Les engagements de non suppression d'emplois pour 2010 sont inscrits dans le PLF 2010. Mais l'augmentation annoncée des crédits ne permet pas de répondre aux besoins en matière d'enseignement, de recherche, et notamment d'abonder les lignes permettant de financer l'égalité TP= TD ainsi que la prise en compte des tâches dans le service, de corriger les « inversions de carrière » des MCF ou de payer les étudiants en stage dans les universités conformément à la nouvelle réglementation.
  • Le ministère a mis en œuvre, sans concertation, un nouveau système de répartition des crédits dit « SYMPA ». Au lieu d'évaluer les besoins, ce nouveau système répartit les crédits votés par le parlement notamment selon des critères de performance opaques et des paramètres arbitraires. Il a particulièrement soulevé l'indignation de la communauté universitaire et a été un des facteurs déclenchant de la colère des IUT. Aujourd'hui, un système SYMPA 2, non concerté avec les organisations syndicales et le CNESER, est semble-t-il finalisé.

En même temps, des opérations de restructuration du paysage universitaire se sont développées, notamment avec le Plan Campus, l'opération Campus Saclay -avec l'adjonction d'établissements privés de statuts divers et la faible part des deux universités-, les évolutions des PRES dans certaines académies (Lille), les fusions faites (Strasbourg) ou projetées d'établissements d'enseignement supérieur (Aix-Marseille), les transferts (de Paris VIII à MLV) ou fusions d'UFR (Lyon 1, par exemple). Elles se caractérisent par une diminution de la vie démocratique, un manque de collégialité et portent la marque d'un fort pilotage ministériel comme dans les restructurations parisiennes.

La composition du CNESER a été modifiée pour y introduire notamment une représentation ès qualité de la CPU ou des proviseurs de lycée. Pour autant les avis du CNESER restent non suivis par le gouvernement. A l'instar de la loi sur la représentativité, le CNESER devrait redébattre six mois plus tard des textes refusés, que le ministère ne pourrait publier en l'état.

 

1 - Mise en péril de la vie démocratique et des fondements collégiaux de l'Université

Le mode de scrutin, par les modalités de constitutions des listes (obligation de présenter des collègues issus de tous les secteurs définis par la loi et prime à la liste majoritaire), peut exclure du CA toute représentation contestatrice à la liste du président, ou les réduire à une présence symbolique même s'ils représentent une part importante de l'université. Le SNESUP demande l'application d'une vraie proportionnelle pour les scrutins aux conseils des établissements d'enseignement supérieur. Les évolutions législatives envisagées vers un vote électronique ne vont pas dans le sens de la vie démocratique : les collègues enseignants-chercheurs participent largement aux scrutins locaux dans les conseils.

La loi LRU s'est traduite par une présence de moins de collègues élus dans les CA (14 au maximum pour les enseignants-chercheurs, chercheurs et enseignants), ce qui fait que moins de collègues élus peuvent participer aux commissions existantes dans les universités. Ceci est aussi vrai pour les Sections Disciplinaires, qui - compte tenu du mode de scrutin - peuvent n'être composées que de membres issus de la majorité présidentielle, ce qui peut jeter a priori le doute sur sa capacité à instruire et à juger sereinement. On le voit avec Toulon où le recteur, sur demande de la ministre, a contesté cette commission (« suspicion légitime »). Il faut augmenter le nombre de membres élus des CA de manière significative. La réduction à 30 membres maximum ne permet en aucun cas d'assurer un fonctionnement collégial des universités, d'autant plus pour des universités comme Strasbourg comportant plus de 40 UFR différentes et accueillant plus de 40000 étudiants.

Avec des ordres du jour de plus en plus importants -où se sont ajoutées par exemple, des discussions sur des questions débattues en CTP- et des calendriers de plus en plus contraints, les élus sont le plus souvent dans l'impossibilité de discuter avec leurs mandants des points à l'ordre du jour des CA (ou des CS et CEVU).

On est donc en face d'une situation où moins de collégialité s'exerce et où la charge importante pour les élus qui « font leur boulot » n'est pas reconnue (décharge ou tableau d'équivalence).

Dans certaines universités, le CS et le CEVU voient pratiquement leur rôle réduit à néant. C'est le cas par exemple de Lyon 1. Dans d'autres, le choix a été fait que le CS et le CEVU instruisent réellement des dossiers (Paris Sud).

Certains CA sont des organes d'enregistrement de décisions prises par une équipe managériale restreinte ou par le président (ex : Aix-Marseille 2).

Il faut constater qu'il n'y a pas réellement de meilleure participation des personnalités extérieures aux conseils : celles-ci laissent en général leur pouvoir au président et aux vice-présidents.

 

2 - Entraves sans précédents aux libertés scientifiques et pédagogiques

Des pouvoirs exorbitants aux présidents d'université

 

Publié en catimini le 4 août, l'arrêté « portant délégation de pouvoir en matière de recrutement et de gestion des professeurs d'université et des maîtres de conférences » détaille en des termes très explicites l'étendue des pouvoirs exorbitants des présidents d'universités à compter du 1er septembre 2009.

Ce texte est dans la droite ligne du décret  « Enseignants-chercheurs » modifié et du passage aux  » responsabilités et compétences élargies » impliqués par l'application de la loi LRU et condamnés par le SNESUP. Son objet est de lister l'ensemble des prérogatives qui étaient celles du Ministre et dont pourra user tout « président manager » d'université dans une gestion purement locale des carrières (recrutement, avancement, mutation, congés...).

Par delà ces pouvoirs concernant les personnels, la loi LRU permet de déléguer aux présidents des pouvoirs du CA comme ester en justice, accepter legs et donations, signer des DBM ou des conventions diverses. Sous prétexte de remédier à l'alourdissement des ordres du jour des CA ou d'améliorer sa réactivité, de telles délégations, parfois impulsées par les services, sont en cours. Il s'agit là de rendre responsable le seul président de décisions qui peuvent être lourdes pour l'avenir de l'université : dépenses importantes liées à une action en justice, respect des conditions accompagnant legs ou dons... D'autres solutions doivent être trouvées.

Remise en cause du recrutement des enseignants-chercheurs

 

L'un des aspects les plus inacceptables de la loi LRU concerne les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs : remplacement des commissions de spécialistes par des comités de sélection ad hoc et instauration d'un droit de veto pour les chefs d'établissements qui se conjuguent pour accroître la nocivité des « concours sur emplois » et donner un pouvoir exorbitant aux Présidents d'Université.

Le système des « concours sur emplois », qui place les recrutements des enseignants-chercheurs dans la logique de la concurrence entre établissements, est déjà ancien. Il a connu de nombreuses variantes, selon le rôle donné à une reconnaissance nationale des qualifications. Depuis 1996, on est revenu à une intervention « en amont » (sauf pour certains concours réservés) : le CNU intervient par discipline pour établir -sans numérus clausus, mais pour une durée limitée à 4 ans- une « liste de qualification ». Mais le dernier mot revient à l'établissement : avant la loi LRU, c'était successivement la commission de spécialistes qui décidait d'un classement des candidats retenus, et le CA de l'établissement qui acceptait ou non le classement. Pour chaque emploi, on pouvait préciser, outre la discipline, un profil (qui n'était d'ailleurs pas toujours respecté dans le choix définitif) ; mais, dans un établissement, la commission de spécialistes était la même pour les divers emplois de la (ou du groupe de) discipline (s) concernée (s).

La justification donnée aux concours sur emplois (auxquels font exception les concours d'agrégation pour la majorité des recrutements de Professeurs dans les groupes 1 et 2) est que tel établissement doit avoir la possibilité de choisir ses enseignants-chercheurs en fonction de ses spécificités en matière de formation et de recherche. Mais ce système présente de nombreux effets pervers. Il déroge aux principes d'unité en vigueur dans les autres corps de la fonction publique, et - comme les mutations obéissent aux mêmes modalités - il constitue un obstacle considérable à la mobilité. Il favorise trop souvent le localisme dans les recrutements, en même temps qu'il conduit à ne pas pourvoir une proportion importante d'emplois. Enfin, il oblige de nombreux candidats qui veulent augmenter leurs chances à effectuer - éventuellement plusieurs années consécutives - un pénible et coûteux « Tour de France ».

La loi supprime les commissions de spécialistes, qui - composées pour 4 ans - statuaient sur l'ensemble des emplois d'une (ou plusieurs) disciplines d'un établissement, et leur substitue des « comités de sélection » ad hoc, qui peuvent être différents pour chaque emploi. Le recrutement sur emploi vacant peut se faire à tout moment en passant par un tel comité composé à cet effet, ce qui supprime toute campagne (nationale) de recrutement, lancée par la publication simultanée de tous les postes à pourvoir.

Par rapport au projet de loi initial, la parité A/B a été rétablie et il a été ajouté qu'une majorité doit être composée de spécialistes de la « discipline en cause », mais la définition de cette discipline reste floue et il n'y a pas de correspondance avec les sections du CNU. Alors que les commissions de spécialistes étaient issues, pour l'essentiel, d'élections, les membres des comités sont « proposés par le Président et nommés par le CA » (siégeant en formation restreinte), après avis du CS. Les mutations deviendront encore plus difficiles, puisqu'on ajoute - dans ce cas - une condition supplémentaire : l'avis favorable -en amont du comité- du conseil scientifique.

Les comités de sélection ne devant fournir qu'un avis motivé, c'est le CA restreint qui effectue le choix (en proposant un nom ou un classement), le président pouvant s'octroyer la prérogative de le saisir d'une proposition à prendre ou à laisser. Pour parachever le renforcement du pouvoir présidentiel, le chef d'établissement dispose d'un droit de veto (droit réservé jusqu'à présent aux seuls directeurs de composantes relevant de l'article 33 comme les IUT).

De la sorte, est poussée à l'extrême la nocivité des concours sur emplois, puisque chaque comité peut être différent selon le poste à pourvoir (et adapté au candidat favori de la direction). Et loin d'atténuer le risque de localisme ou de clientélisme (argument donné pour justifier la présence d'une majorité d'extérieurs), ce nouveau système ne peut que l'accroître : le Président - qui dispose de la majorité des voix dans le CA - peut fixer à sa guise la composition des comités (notamment dans le choix des « extérieurs ») et peut jouer de son droit de veto pour pousser « ses » candidats.

Ces nouvelles procédures, qui remettent en cause la collégialité et instaurent dans l'Université des modalités de recrutement dignes des entreprises les plus autocratiques, ont suscité l'indignation de nombreux collègues, y compris parmi ceux qui n'étaient pas aussi hostiles à d'autres dispositions de la loi (en particulier les conférences de Doyens de Droit et de Sciences économiques). Elles ont été mises en place partout depuis la campagne d'emploi 2009, certaines universités choisissant cependant les membres des comités de sélection dans un « vivier » stable d'élus de l'université et de collègues extérieurs à l'université. Ces procédures sont à l'origine de nombreux dysfonctionnements : réunions des comités de sélection en effectif très réduit (4 par exemple pour les professeurs) - ce qui ne peut que contribuer à renforcer les effets de chapelle  -, inversions de classements par les CA lorsque les comités de sélection en avaient fourni, non pourvoi des emplois, peu de mutations...

Allant plus loin encore dans cette remise en cause de la fonction et des services publics, la nouvelle loi ouvre en grand la possibilité de recrutements de contractuels, y compris pour les activités d'enseignement et de recherche.

Ces seules dispositions -contraires aux traditions démocratiques de l'Université et remettant en cause la qualité et l'objectivité scientifiques des recrutements- suffisent à justifier l'exigence d'abrogation de la loi LRU. En attendant, le SNESUP appelle à des mesures immédiates : désignation de comités « stables » valables pour l'ensemble des emplois à pourvoir dans une discipline et fondés sur des élections, composition paritaire (A/B), établissement par ces comités d'une proposition de classement, refus du droit de veto présidentiel. Au niveau national, il demande le rétablissement d'un mouvement national, avec l'organisation d'un « deuxième tour » pour pourvoir les postes laissés vacants, ainsi que des mesures (telles qu'un tour préalable, ou un quota) pour favoriser les mutations.

Alors que la promotion gouvernementale des chaires mixtes (130 prévues initialement) a fait l'objet d'un battage fort dans les établissements et les organismes, seul un nombre réduit de ces chaires ont été pourvues. La communauté scientifique a parfaitement perçu ce dispositif comme un moyen de pression et de concurrence entre enseignants-chercheurs et chercheurs.

Enseignants de second degré

 

Aucun texte spécifique n'est venu à ce jour préciser leur mode de recrutement dans l'enseignement supérieur alors qu'ils constituent une part importante du corps enseignant. Aucun droit à mutation n'existe. De nombreux établissements ont mis en place des processus avec des commissions ad-hoc pour les recrutements. Si leur service statutaire d'enseignement est défini par les textes (384 h), rien n'existe pour prendre en compte leurs diverses activités pédagogiques et administratives ou leurs activités de recherche lorsqu'ils en effectuent. ,

Entraves au droit à la recherche

 

Deux mois depuis l'entrée en vigueur du décret modifiant le statut des enseignants chercheurs et, déjà, les effets délétères des politiques scientifiques locales, conséquences directes de la loi LRU, s'accentuent. Le SNESUP dénonce les nombreuses situations d'exclusion de leurs laboratoires d'enseignants-chercheurs dont la thématique ne s'inscrit pas dans les priorités de la politique scientifique locale ou dans tel projet ANR. Les pressions financières qui s'exercent sur les établissements, la mise en œuvre zélée dans certains laboratoires des critères bibliométriques et classements de l'AERES conduisent les collègues à une course à la publication ou au dépôt de brevets, au risque de sacrifier le fond de leur recherche et leur liberté scientifique sur l'autel de la « performance ». À ce titre, la situation des collègues dans le domaine des lettres et sciences humaines et sociales est particulièrement préoccupante. Il n'est pas tolérable de rendre responsables ces prétendus « non-publiants » des conséquences de la « politique d'établissement » et notamment de la réduction de la recherche à un périmètre local qui les exclut. Il n'est pas concevable qu'ils soient contraints, pour pouvoir poursuivre sereinement leurs travaux, de trouver seuls une nouvelle équipe de rattachement ou bien de renoncer à leur thématique de recherche. Le SNESUP dénonce la mystification consistant à reprocher aux universitaires leur supposé manque de publication alors que les récentes réformes gouvernementales portent les germes du processus qui conduira certain collègues à devenir « non publiant ».

Outre ces situations d'exclusion imposées par l'établissement via l'AERES ou non, d'autres collègues ne peuvent vivre leur métier dans la sérénité : ceux qui sont contraints d'accepter de lourdes charges pédagogiques ou administratives dans leur établissement (collègues des IUT ou des IUFM par exemple), ceux qui sont dans une situation rendant difficile l'activité de recherche (site isolé, discipline peu présente dans l'établissement, etc.). De telles situations risquent fort de se pérenniser et d'empêcher ces collègues de poursuivre leurs travaux de recherche.

Le SNESUP condamne ces entraves au droit à la recherche comme autant d'atteintes au potentiel de créativité de la recherche publique portées par une politique gouvernementale prônant la performance et la concurrence et imposant en fait un cadre scientifique stérilisant et étriqué.

Or, le lien enseignement-recherche est consubstantiel à l'enseignement-supérieur. Dans les établissements, c'est à tous les enseignants-chercheurs, ainsi qu'à tous les enseignants qui le souhaitent, que doivent être accordés le droit effectif et la possibilité réelle de faire de la recherche.

Dans ce contexte, il faut noter les inflexions que le gouvernement a dû concéder à la suite du mouvement dans les universités l'an dernier. En effet, suite aux interventions syndicales, la dernière mouture affirme la possibilité - certes insuffisante - pour tout enseignant-chercheur « de participer aux travaux d'une équipe de recherche [...], le cas échéant, dans un établissement autre » (1). Tout doit être mis en œuvre pour permettre aux collègues dont la thématique de recherche ne relève pas de leur établissement de poursuivre l'avancement de leurs travaux. Le cas échéant, des mesures d'aide à la recherche, par exemple par le biais de CRCT, doivent être proposées. Le SNESUP réitère sa ferme opposition à toute forme de modulation inter-individuelle des services. À cet égard, la circulaire d'application du décret Enseignant-Chercheur, limite clairement la portée de la modulation des services au seul report pluriannuel.. À ce titre, les modalités selon lesquelles sera exercée la nouvelle mission d'évaluation quadriennale dévolue au CNU revêtent une importance majeure : cette évaluation doit être conçue de manière formative, et non punitive.

 

« Responsabilité et compétences élargies » : Stérilisation de l'université par les logiques d'individualisation performance

 

Depuis janvier 2009, 18 universités ont obtenu la possibilité de « bénéficier des responsabilités et de compétences élargies » (RCE) :

  • leurs conseils d'administration peuvent définir « ...les principes généraux de répartition des obligations de service des personnels enseignants et de recherche entre les activités d'enseignement, de recherche et les autres missions qui peuvent être confiées à ces personnels. » (Art. L. 954-1 du code de l'éducation créé par la loi LRU du 10/08/2007).
  • leurs présidents sont les seuls à porter la responsabilité de « l'attribution des primes aux personnels... selon des règles générales définies par le conseil d'administration. » (Art. L. 954-2) et à pouvoir « recruter, pour une durée déterminée ou indéterminée, des agents contractuels pour assurer... des fonctions d'enseignement, de recherche ou d'enseignement et de recherche » (Art. L.954-3).

Au 1er janvier 2010, trente-trois nouveaux établissements devraient, sous réserve d'un vote favorable de leur CA, s'y ajouter, et dix-neuf établissements feront l'objet de la vague d'audit préalable par l'IGAENR. Au total, soixante-dix établissements voient leurs préoccupations quotidiennes focalisées sur des mesures qui vont bouleverser et faire éclater durablement le service public. Alors que les consultations organisées dans certains établissements montrent un rejet très majoritaire des réformes gouvernementales par la communauté universitaire, pourquoi des présidents d'universités sont-ils conduits à vouloir devancer l'appel ? En fait, le passage aux RCE ne procède pas d'un réel choix, alors que la loi LRU donnait aux établissements jusqu'à 2012 pour prendre cette décision. Les rapports d'expertise ont montré, dans de nombreuses universités, de réelles difficultés notamment en matière de gestion des personnels - est-ce un hasard si le MESR impose que les payes restent gérées par les TPG moyennant un contrat de sous-traitance ? - Mais le ministère fait miroiter aux établissements non encore passés aux RCE la possibilité de bénéficier d'une aide financière et de négocier au mieux plafond d'emplois et masse salariale ou financements par PPP de telle opération. Sur ces bases faussées, et avec des ordres du jour modifiés dans « l'urgence », les conseils votent le passage aux compétences élargies, espérant ainsi un accroissement   de la part contractuelle de leurs dotations. .

Quel bilan aujourd'hui pour les universités déjà passées aux « compétences élargies » ?

  • Un fonctionnement type chambre d'enregistrement de certains conseils
  • Des dérives autoritaires au lieu d'une gestion collégiale : ainsi, remplir ses missions ne suffit plus pour se voir justement reconnu. (congés de maladies ou de maternité sources de suspicion, chasse aux collègues qui ne « feraient » pas leurs heures d'enseignement, ...).
  • Une volonté de mettre en place une évaluation-sanction
  • Des évictions de laboratoires de recherche
  • Un poids important de « l'adéquation avec la politique scientifique de l'Université» et de la « notation de l'unité de recherche » par l'AERES dans les demandes d'emplois
  • Si la plupart des universités passées aux RCE ont refusé d'attribuer seules la « prime d'excellence scientifique » largement contestée dans ses objectifs et son montant, l'attribution locale des primes, sans augmentation des moyens correspondants, et différentiées entre personnels, crée des situations de tension.
  • Une augmentation de la précarité avec le recrutement de CDD

 

3 - Restructuration concurrentielle et mise en danger du service public d'ESR

Les budgets et la logique financière de la LRU : la fin des coopérations entre établissements.

 

S'inscrivant dans les orientations de la SNRI, le gouvernement cherche à engager les universités et les organismes de recherche dans la valorisation de la recherche publique et sa mise à disposition aux intérêts économiques immédiats du pays. Doter en capital des fondations ou des « sociétés d'accélération du transfert de technologie » -qui seraient économiquement viables d'ici 10 ans-, illustre parfaitement la volonté affichée de la ministre d'obtenir un retour immédiat sur investissement. Il n'est pas acceptable que le rattrapage budgétaire dont l'ESR a besoin se fasse sur ces modalités. C'est d'un engagement financier public d'ampleur qu'il a besoin.

Convoqués le lundi 17 mars en formation restreinte, les membres du CNESER ont reçu le mardi 11 mars par courrier électronique un complément à l'ordre du jour annonçant la mise en débat du décret financier : texte dont l'importance, à l'instar du décret électoral, aurait nécessité un débat en formation plénière. Mis aux pieds du mur, les élus de la plupart des organisations syndicales ont quitté la séance après avoir voté une motion de protestation. Cela n'a pas empêché le ministère d'organiser le vote de ce texte par quelques organisations acquises pour la plupart à la mise en oeuvre zélée de la loi LRU (MEDEF, UNI, QSF...). De la voix même du cabinet de la ministre, martelant sa volonté de « simplifier » et « d'assouplir » l'organisation budgétaire et de faire un « enjeu fort » de la globalisation du budget, il s'agit de « faire réalité des grandes transformations » liées aux « compétences élargies » données aux universités et induites par l'intégration au budget global de la masse salariale (8 milliards d'euros), ainsi que de l'immobilier (alors que les sommes nécessaires à leur remise en état sont suspendues à l'arbitrage de Bercy).

Dans la logique de la loi LOLF et de la loi LRU, le budget global limite -au nom de la fongilibité asymétrique, qui permet tout transfert excepté ceux qui augmenteraient les dépenses de personnel- la masse salariale par un plafond maximum d'emplois, et détermine l'ampleur des recrutements hors statuts ou précaires. L'incitation à faire la chasse à d'autres ressources que celles dévolues par les dotations budgétaires d'Etat, par la recherche de ressources propres et l'appel aux fondations, se traduit par l'élaboration de trois types de documents. En sus du budget « principal », doivent être établis un budget annexe du SAIC (service d'activités industrielles et commerciales), et un « état prévisionnel des recettes et des dépenses par fondation ». Dans une logique de « déconcentration », le décret organise le transfert au recteur, chancelier des universités, de nombreuses compétences initialement dévolues au ministère. Plus particulièrement Il s'agit du contrôle « a priori » de filiales dont le pourcentage des actions détenues par les universités passe de 80 % à 50 %. Il renforce les pouvoirs du président d'université qui peut prendre l'initiative de décisions budgétaires modificatives. Contrairement au décret précédent, le budget de l'Université n' » intègre » plus » les budgets des composantes (excepté les écoles ou instituts internes), dont les responsables ne peuvent plus être ordonnateurs secondaires (au mieux, ils peuvent recevoir une délégation de signature). « Sur proposition du président... le conseil d'administration arrête la procédure interne d'élaboration du budget et notamment les modalités d'association des différentes composantes » (art. 53). Ira-t-on vers des UFR sans budget ?

Ce décret de « refonte du budget des universités » organise bien plus que des dispositions financières, mais aussi la recomposition de l'ensemble du paysage universitaire, remettant en cause des coopérations du type PRES et condamnant nombre d'établissements à fusionner ou à péricliter. La « mutualisation » de services communs entre établissements - l'on pense plus particulièrement aux SAIC dont la fonction est la gestion financière dans un « budget annexe » « des contrats de recherche, d'essais, d'études, d'analyses, de conseils et d'expertises effectués pour le compte d'un tiers » ou des « produits d'éditions » (art. 6) - est contrainte par l'obligation que la tutelle du service commun ne peut être exercée que par un seul des établissements (art. 53). Ainsi, des ressources qui pourraient devenir décisives - vu le niveau du désengagement financier de l'Etat - devront être pilotées par un seul établissement. Loin d'être technique, ce décret renforce donc la concurrence entre établissements et découragera les coopérations à égalité, qui pourraient unir les acteurs du service public d'enseignement supérieur et de recherche et fertiliser leurs productions.

Le cas des IUT ou des IUFM

 

C'est dans ce cadre que se pose la question de l'affectation en propre des moyens aux instituts et écoles internes. Cette question est particulièrement cruciale pour les IUFM et les IUT, dont l'existence est notamment conditionnée par la possibilité de remplir leurs missions. Celles-ci s'appuient pour les IUT - qui ont joué un rôle d'ascenseur social pour de nombreux étudiants - sur un Programme Pédagogique National, qui fixe pour chaque spécialité un contenu et un volume horaire décliné par unité d'enseignement en cours, TD et TP. C'est le respect de ce PPN qui garantit la qualification des jeunes et la reconnaissance du DUT dans les conventions collectives. Pour les IUFM, c'est la préparation des concours nationaux et la formation de fonctionnaires de l'état - selon une réglementation ou un cahier des charges -, qui est en jeu. Il n'est donc pas possible que chaque université décide seule des moyens qu'elle affecte à ces formations.

La gestion des personnels :

 

Concernant les personnels, certains problèmes induits par la gestion locale vont générer la concurrence entre individus ou se trouver exacerbés :

  • Masse salariale : son montant va devoir être utilisée tant pour les salaires que pour les primes. Il va rapidement y avoir hiatus entre recrutements de personnels qualifiés et attribution des primes correspondants au statut des personnels, particulièrement en l'absence de moyens suffisants.
  • Répartition des services et modulation de service : la circulaire d'accompagnement du décret enseignant chercheur - donnant une conception pluri-annuelle, ne pouvant s'écarter de la durée de référence de 192 h TD sur une certaine durée - constitue une inflexion que le gouvernement a dû concéder à la suite du mouvement dans les universités l'an dernier. L'absence de possibilité de recours national - sauf auprès de la ministre - risque cependant d'entrainer une application à la discrétion du président de cette modulation, suite à une évaluation sanction et non formative. Des garanties supplémentaires doivent être données.
  • Référentiel national des tâches : le ministère a choisi de réduire le référentiel à une liste courte et aux intitulés trop généraux occultant les spécificités et la réalité des tâches assurées par les enseignants-chercheurs et enseignants. Le SNESUP estime que doivent y figurer les diverses activités qui se sont ajoutées au fil des ans aux missions et à la charge de travail des enseignants-chercheurs et qui découlent de l'organisation collégiale du travail universitaire (notamment les lourdes tâches induites par une fonction élective). En particulier, le référentiel privilégie les tâches de « direction » et minore les autres formes d'investissement collaboratifs des collègues. Les tâches accomplies par un enseignant du supérieur mais qui, pour le SNESUP, devraient relever normalement d'un personnel BIATOSS qualifié (glissements de fonction) sont restées absentes du référentiel. La mise en œuvre de ce référentiel risque d'être sujette à interprétation et d'exposer les intéressés à l'arbitraire local. Concernant le chiffrage des tâches, hormis les rares cas où une réglementation nationale est incontournable, l'absence de toute référence à un calcul national - ou même à une fourchette - renvoie aux établissements le soin de quantifier le forfait horaire local associé aux tâches ainsi listées. Faute de financement correspondant, sachant aussi le contexte du sous encadrement de l'Université et de ses différents secteurs, la prise en compte des tâches en application de cet arrêté se traduira par un creusement des inégalités dans la reconnaissance de mêmes tâches entre différents établissements comme entre collègues ou entre secteurs d'un même établissement. Le SNESUP refuse cette dérive et renouvelle son exigence que ce dispositif s'applique à tous les personnels enseignants exerçant dans les établissements d'enseignement supérieur publics et soit accompagné des créations d'emplois nécessaires.
  • Redéfinition des fonctions des personnels administratifs, redéploiements internes avec ou sans changements de catégories :, à partir de l'exigence d'une plus grande qualification des personnels administratifs et techniques liées aux compétences élargies, on définit ou redéfinit des fonctions de personnels catégorie A qui seront recrutés comme ITARF ou comme CDD ou CDI afin de leur assurer des conditions de salaire ne correspondant pas au statut de la fonction publique. En même temps, on externalise des fonctions autrefois assurées par des personnels de catégories C comme le ménage ou le gardiennage. Comme le ministère exige deux postes catégorie C pour un poste catégorie A, cela contribue à diminuer le nombre d'emplois affectés à un établissement, voire à modifier le potentiel de certaines UFR ou de certains services.
  • Restructuration de services, de composantes : cette situation peut amener à déplacer des personnels d'un site à l'autre, les obligeant à de longs trajets ou privant les collègues de services de proximité dans leurs UFR
  • Primes d'Excellence Scientifique, primes liées à un intéressement des personnels : ces dispositions vont encore exacerber la concurrence entre les collègues, entre disciplines alors que l'enseignement supérieur et la recherche ont besoin de coopération, de collégialité. Au delà d'un mandat des syndicats d'intégration des primes dans les salaires, des critères clairs et transparents doivent être trouvés pour définir le montant et décider de l'attribution des primes, quelles que soient les catégories de personnel touchées. Cela vaut pour la Prime d'Excellence Scientifique qui devrait relever d'une instance nationale majoritairement élue. Alors que le gouvernement a dû revenir à un traitement national par la MSTP, sur des bases des sections CNU par disciplines, il est essentiel de revenir à un examen des dossiers et une attribution nationale des primes.
  • Pour les recrutements, le droit de veto du président -applicable également aux personnels administratifs et techniques- s'oppose au statut de fonctionnaire, et notamment au droit de mutation ou de rapprochement de conjoint.
  • Précarité : faute de créations d'emplois et compte tenu des missions de formation et de recherche à remplir, fortement facilité par la loi LRU le recours aux emplois précaires se poursuit. Ses effets sont aggravés par les fortes disparités rencontrées concernant les salaires et concernant la définition du service. Le ministère persiste à refuser d'encadrer les pratiques des établissements, ce qui engendre des conséquences humaines insupportables. La situation des doctorants n'est pas du tout réglée par l'adoption du contrat doctoral qui d'une part est un mauvais statut, d'autre part est contourné par des établissements passés aux RCE. Doctorants comme post-doctorants ne voient pas leur situation s'améliorer. Les CDI qui commencent à apparaître ne constituent pas une solution à la précarité et un plan de résorption devient de plus en plus une urgence.

Le CTP local doit pouvoir intervenir contre toutes ces dérives. Cependant, son mode d'élection fait que dans de très nombreuses universités, il ne comporte que peu d'enseignants-chercheurs, ce qui déporte les questions soulevées.

La dévolution du patrimoine

 

S'agissant de la dévolution du patrimoine, qui n'est demandée que par certaines universités, c'est un pas de plus qui serait ainsi franchi. Les universités françaises sont pour le plus grand nombre d'entre elles dotées d'un patrimoine immobilier nécessitant de profondes réhabilitations, dues notamment à la carence du financement de l'entretien par l'Etat. Cette dévolution serait donc un nouveau moyen pour l'Etat de se défausser de ses responsabilités, les transférant aux collectivités locales qui devraient financer leur université de proximité ou obligeant les universités « autonomes «  à se lancer dans une course aux financements privés.

 

Annexes

Adresse aux parlementaires
Communiqué du 4 août sur les pouvoirs du président
« les responsabilités et compétences élargies ou la flexibilité des ressources humaines » par S. Tassel
«  six mois après le passage aux RCE : comment se porte le laboratoire francilien de la LRU ? » A. Raskine - C. Toulgoat

 

 (1) Extrait du décret n°84-431 (statut des enseignants-chercheurs) modifié « Tout enseignant-chercheur doit avoir la possibilité de participer aux travaux d'une équipe de recherche dans des conditions fixées par le conseil d'administration, le cas échéant, dans un établissement autre que son établissement d'affectation. »